Initié en 2012 par Jacques Attali, le Mouvement pour une Economie Positive mobilise l’ensemble des acteurs du changement autour d’une vision alternative de l’économie, tournée vers l’humain et l’avenir de la planète.
Trois jours intenses d’échanges et d’interventions autour de thématiques variées telles que l’économie circulaire, les nouveaux enjeux de l’industrie, les nouveaux modèles de mesure de la performance, la protection des forêts, ou encore la santé, l’éducation, l’engagement, la solidarité, etc.
Bref retour sur ces trois jours dédiés à l’économie positive…
Le rapport sur l’économie positive
Lors de la première conférence annuelle de l’économie positive, organisée au Havre en septembre 2012, le président de la République François Hollande avait confié à Jacques Attali la rédaction d’un rapport sur l’économie positive, afin de produire une définition de ce concept, ainsi qu’un index d’évaluation et des recommandations de mesures à mettre en oeuvre par le gouvernement français. Un an plus tard, c’était donc chose faite ! Le rapport « Pour une économie positive » a été remis par Jacques Attali au Président de la République française le 21 septembre, et devinez quoi : j’y étais ! J’ai en effet eu le plaisir d’être invitée au Palais de l’Elysée à venir assister en petit comité à ce temps fort de l’économie positive, en présence de personnalités engagées, politiques, entrepreneurs… tous convaincus qu’une forme d’économie plus « juste » est possible.
Pour réaliser ce rapport composé de 45 propositions concrètes, Jacques Attali s’est entouré de consultants, mais aussi d’un groupe de réflexion réunissant une trentaine de chefs d’entreprises, représentants de la société civile, de différents ministères, d’instances internationales. Le Président s’est montré très attaché aux indicateurs, à la mesure de cette nouvelle forme d’économie. « Il n’y a pas de politique sans qu’il y ait la vérification de ce qu’elle peut apporter ». Un indicateur de positivité de l’économie qu’il s’agira de faire vivre et de diffuser hors de France. Car le Président a par ailleurs souligné « la dimension planétaire » de cette nouvelle économie : il ne s’agit pas là que d’un concept, cette idée doit être portée aussi concrètement sur un plan international. Mais tout l’enjeu est désormais de convaincre ! Car si pour nous, les « défenseurs » de cette nouvelle économie nous avons la conviction que cette crise historique est également une formidable opportunité pour se réinventer, comment convaincre les français qui sont, il faut bien le dire, au creux de la vague ? Le gros problème est que nous avons tendance à nous laisser guider par l’urgence, c’est ce qui caractérise l’économie actuelle. Or, l’économie positive vise à réorienter le capitalisme vers la prise en compte des enjeux du long terme. Il y a donc un énorme travail de pédagogie et de sensibilisation à faire auprès des français. (Moins de 1/3 des français connait les termes « entreprise sociale » ou « entrepreneur social »). Comme le disait Francis Blanche, « il vaut mieux penser le changement que changer le pansement »…Pierre Moscovici, Ministre de l’économie et des finances, Benoit Hamon, Ministre de l’économie sociale et solidaire et de la consommation, et Michel Barnier, Commissaire européen au marché intérieur et aux services, présents au LHFORUM 2013, ont exprimé leur souhait de mettre en œuvre certaines mesures du Rapport « Pour une économie positive ». Affaire à suivre donc !
Retrouvez les propositions de ce rapport sur l’article du site Youphil qui a également participé au groupe de réflexion dédié.
Quelques chiffres qui donnent envie d’agir MAINTENANT
- 1 milliard de personnes souffrent de la faim soit 1 terrien sur 7 alors que en parallèle, 1/3 des aliments produits dans le monde sont gaspillés chaque année soit environ 1,3 milliard de tonnes
- 67 millions d’enfants en âge de fréquenter l’école ne sont pas scolarisés et 53% des enfants non scolarisés en 2008 sont des filles
- On compte 32 millions de réfugiés climatiques dans le monde en 2012
- Chaque minute 10 hectares de forêts disparaissent, l’équivalent de 20 terrains de foot et 22% des êtres humains dépendent des forêts pour vivre.
- D’ici 2013 il faudra 2 planètes pour satisfaire les besoins de l’homme
- 1 espèce disparaît toutes les 20 minutes
- 31,6 milliards de tonnes de CO2 émis en 2012
- Chaque année 4 milliards de tonnes de déchets son produits par l’homme, le coût de la gestion des déchets était de 158 milliards d’euros en 2010 et sera de 290 milliards d’euros en 2050.
- Le recyclage permet de générer environ 120 milliards d’euros de chiffres d’affaires annuel.
- 768 millions de personnes n’ont pas accès à l’eau et partagent leur point d’eau avec des animaux
- Plus d’un enfant meurt chaque minute de diarrhée dans le monde
- 2,5 milliards de personnes n’ont pas accès à des toilettes.
- L’économie positive emploie + de 11 millions de salariés dans l’UE
- 5 milliards d’euros par, ce sont les économies réalisées par les collectivités grâce à dix entreprises sociales !
Ils ont retenu mon attention…
Difficile pour moi de retranscrire l’intégralité des échanges et interventions. D’une part parce qu’il était impossible d’assister à tout, tout le temps (c’est d’ailleurs souvent ce qu’il y a de plus frustrant dans ces événements : devoir choisir entre les différents sujets tous très intéressants qui ont lieu simultanément, et comme vous le savez « choisir c’est renoncé »
; mais j’ai souhaité tout de même revenir sur quelques intervenants qui m’ont touché par leur détermination, et leurs projets.Tony Meloto – Gawad Kalinga
Qui ne connait pas Tony Meloto ? Cet ancien cadre de Procter & Gamble a opéré à 35 ans un total changement de vie ! Ne supportant plus cette vie réservée à une élite alors que des millions de gens restent dans l’extrême pauvreté et la violence dans ce pays, les Philippines. Il décide de tout lâcher. « Je suis d’abord devenu un missionnaire chrétien», raconte-t-il, avant de décider de s’attaquer à la transformation de la société. «Il fallait que je retrouve des valeurs humanistes afin de pouvoir à mon tour faire preuve d’humanité en direction des plus pauvres.» Tony Meloto crée alors en 2003 son ONG baptisée Gawad Kalinga, ce qui signifie prendre soin. Le défi qu’il se propose de relever est ambitieux : débarrasser le pays de la pauvreté d’ici 2024 en aidant 5 millions de foyers à retrouver leur dignité.La première phase de son programme (2003-2010) s’est attaquée à la justice sociale : de la terre aux sans-terres, des maisons aux sans-abris et de la nourriture aux affamés. Il s’infiltre au cœur de la violence dans les grands bidonvilles de Manille auprès des gangs et des dealers avec l’objectif un peu fou de les faire changer en leur permettant de retrouver leur dignité. Ce sont ces hommes, squatter des bidonvilles qui sont invités à participer activement à la construction de ces premières maisons et villages autosuffisants et écologiquement responsables. Des entreprises comme Air France-KLM, Hyundai, Nestlé, Philips, Procter & Gamble, Shell ou Unilever participent à ces programmes. Cette approche holistique de la lutte contre la pauvreté en aidant les gens à s’aider eux-mêmes, avec des partenariats multipartites fait de la Gawad Kalinga un modèle qui inspire bien d’autres réalisations, aux Philippines et ailleurs : Indonésie, Cambodge, Papouasie Nouvelle Guinée,…
Une deuxième du programme sur la période 2010-2017 consiste à développer des social business toujours plus innovants avec comme objectif l’autonomisation des communautés par la création d’activités professionnelles et l’exploitation des richesses naturelles du pays. Quelques exemples de social business : Bambike qui fabrique des vélos en bambou. Sur la base de l’exploitation locale du bambou, cette entreprise innovante permet de générer de l’emploi local durable. Autre exemple : la fille de Tony Meloto, a lancé avec son mari Dylan Wilk entrepreneur anglais une société de cosmétique bio appelée Human Nature qui travaille avec des ingrédients bio produits localement. Enfin dernier exemple chère à Tony Meloto le concept de « Enchanted farm » : pour éviter l’exode rural, des activités génératrices de revenus sont co-créées entre des entrepreneurs et des membres des communautés Gawad Kalinga.
La troisième phase de la vision de Gawad Kalinga prévue à partir de 2018, concernera le progrès social. L’idée : « passer d’un niveau de subsistance à un niveau de prospérité, passant de la honte à la fierté, du second rang à celui de citoyen du monde première classe. »
Ce qui marque les esprits lorsque l’on voit Tony Meloto, c’est son incroyable ambition mêlée à une sérénité et une foi qui nous désarme totalement. Cette impression, que tout est simple, facile, évident… alors que son défi est colossale !! Lorsque Tony Meloto partage sa vision, son mot d’ordre est de traiter le pauvre comme un membre de sa famille, chaque communauté comme sa propre maison. « Je demande aux gens d’aimer leur pays, pas de donner ». Et si c’était le vrai sens de l’altruisme?
Son choix permet aujourd’hui à 1 million de personnes de vivre plus confortablement…
François Marty – Chênelet
C’est ma découverte de ce LH Forum 2013 : François Marty, le Président au caractère bien trempé de Chênelet, dont la vocation est de permettre la construction de maisons écologiques pour les pauvres. Lauréat du prix Ashoka en 2008, du prix Rethnik CCI Paris en 2009, du prix spécial jury RSE Région Nord-Pas de Calais en 2009 et du prix coup de cœur des maires de France en 2010, il a également été l’ancien conseiller et Chef de Cabinet de l’ancien ministre Guy Hascouët au Secrétariat d’Etat à l’économie solidaire. Avec un réel franc-parler et une spontanéité, il nous a parlé de son modèle économique, de son combat autour des logements sociaux et il surtout nous a donné sa vision personnelle de l’économie positive et de l’entrepreneuriat social.François Marty est un patron atypique. En vingt ans, son entreprise d’insertion a formé 2 000 personnes et est devenue leader de la filière bois de la région. Son ambition est d’accélérer la production de maisons écologiques pour les plus pauvres. « Sur soixante ans, la construction ne représente que 17 % du coût réel d’une habitation. Les 83 % restant sont des charges. Le vrai moyen de faire de l’habitat social c’est de baisser ces charges, de consommer moins d’énergie, donc d’être écolo. » L’association de réinsertion le Chênelet créée, en 1992 a généré une cinquantaine d’emplois à travers du débardage, de l’exploitation forestière, une scierie, de la fabrication de briques, du maraîchage, des jardins de cocagne et de gîtes ruraux. Rejoint par des entrepreneurs engagés dans l’action sociale, Chênelet Construction a conçu des maisons écologiques en bois, pour des ménages à faible revenu, dont le chauffage et l’éclairage ne dépassent pas 550 euros de charges par an, soit quatre fois moins qu’une maison classique.
François Marty nous propose une vision réaliste, concrète et décomplexifiée de la solidarité : « ça sert à rien d’avoir des bonnes idées généreuses pour l’humanité si vous n’avez pas de business modèle »…. »Il faut avoir mauvais caractère, il faut avoir des convictions dans ses idées. J’en ai marre qu’on nous prenne pour des héros, on a pas pu s’empecher de faire ce qu’on a fait c’est tout. »…
A travers son intervention François Marty a souhaité nous interpeller sur trois sujets en particulier : l’entrepreneur réclame tout d’abord un « droit à tâtonner », se tromper. « Nous vivons dans une société où avant d’avoir fait il faut prouver qu’on a bon ». Ensuite, il nous rappelle que nous avons le droit d’être sélectif dans nos actions, on ne peut pas être partout et avoir réponse à tout. On ne peut pas résoudre tous les problèmes de la planète. Ca n’est pas grave, c’est juste humain ! « On a le droit d’être solidaire et de ne pas être universelle. Penser local et agir local c’est déjà bien ! ». Enfin François Marty souligne très justement qu’être acteur de la solidarité ne fait pas de nous des gens niais face aux grandes entreprises, elles ont au contraire beaucoup à apprendre de nous, à nous de ne pas oublier de les challenger ! « Si les grandes structures mettent de l’argent chez nous sans réfléchir c’est ou qu’ils ne sont pas bons ou qu’on ne les challenge pas bien ».
J’ai à la fois était séduite pas cette vision, ce projet plein d’avenir, ce bon sens et cette détermination qu’on ne peut que féliciter. Enfin je terminerai sur cette remarque très juste : »Solidaire c’est simplement une attitude par rapport à la vie »
Saïd Hammouche – Mozaïk RH
A but non lucratif, Mozaïk RH est le 1er cabinet de recrutement et de conseil RH spécialisé dans la promotion de l’égalité des chances et de la diversité. Son fondateur et dirigeant Saïd Hammouche, en est persuadé : »la banlieue est un réservoir de talents ». Mozaïk RH a pour vocation de réussir le recrutement des jeunes talents des quartiers populaires afin de démontrer que la diversité génère de la richesse. Mozaïk RH participe à l’équilibre social en permettant aux jeunes diplômés d’accéder à des postes à la hauteur de leurs compétences indépendamment de leur origine sociale, ethnique et géographiqueSi le taux de chômage se situe autour de 10 % en France, il dépasse les 30 % dans les banlieues dites sensibles, alors que 65 % des jeunes sortent diplômés du système scolaire. Dans le même temps, les chambres consulaires ou syndicales se plaignent du manque de candidats compétents. Pour Saïd Hammouche, la première tâche de Mozaïk RH est donc bien de faire tomber les préjugés, « d’intéresser les recruteurs, et surtout les managers, à des personnes auxquelles ils ne s’intéressent pas en règle générale, et ainsi favoriser de cooptation de nouveau types de profil ». En cinq ans, 1.700 jeunes issus de quartiers difficiles en banlieue parisienne ont été embauchés grâce à son cabinet de recrutement.
Mais c’est aussi à l’économie toute entière que bénéficie le succès de Saïd Hammouche. Selon le grand cabinet d’audit McKinsey, la plus-value créée par Mozaïk RH à l’échelle nationale en 2011 était de 2 millions d’euros. C’est le résultat du calcul des richesses supplémentaires générées par les 500 jeunes embauchés et les coûts évités aux services publics de l’emploi. Et Saïd Hammouche ne compte pas s’arrêter là. 14 millions d’euros supplémentaires seraient créés si une dizaine d’agences émaillaient le territoire national, en extrapolant les chiffres de McKinsey. Il est venu à l’occasion de cette seconde édition du LH Forum, partager ces formidables avancées, cette nouvelle conquête des territoires, avec un enthousiasme et une détermination qui était belle à voir ! Il nous démontre ainsi avec Mozaïk RH que 1/ l’économie positive c’est du concret, 2/ l’économie positive peut favoriser l’innovation et 3/ l’économie positive est capable de s’auto-financer !
Le Mouvement pour une économie positive travaille d’ores et déjà au développement du LHFORUM dans d’autres régions du monde. L’objectif : aller à la rencontre des acteurs de l’économie positive au-delà des frontières nationales. L’ambition : fédérer une communauté internationale d’individus partageant les valeurs de l’économie positive et agissant pour l’intérêt des générations futures.