Il y a des fois où c'est plus dur que d'autres de choisir un livre.
Vous venez d'en terminer un superbe et embrayer sur une autre
histoire vous semble impossible. Vous ne savez plus vers quel auteur
vous tourner, vers quel genre non plus. Et puis voilà que les
éditeurs semblent tous sortir leur atout de leur jeu et vous êtes
là, devant la table de votre libraire préféré à devoir opérer
un choix. Vous pourriez tous les prendre c'est sûr mais voilà,
votre porte monnaie n'est pas extensible et les journées ne le sont pas plus.
Alors vous lisez quelques pages ici ou là, histoire de vous
imprégner du style de l'auteur, de l'essence de son roman, vous
passez à l'autre, revenez au premier. Bref, vous connaissez le topo.
Vous choisissez...
... ici s'arrête donc la chronique dont vous êtes le
héros pour revenir à ma modeste personne et au choix qui s'est donc
porté sur Maître de la matière d'Andreas Eschbach. L'histoire,
c'est celle d'abord de deux gamins de dix ans, Charlotte et Hiroshi,
qui se rencontrent au japon, commencent une amitié comme seuls les
enfants semblent en être capables. Elle a la faculté de
reconstituer l'histoire d'un objet rien qu'en le touchant, de tout
connaître de celui-ci, jusqu'à son origine. Et lui, lui, il est
disposé à rendre tout le monde heureux et libéré des entraves du
travail. Il a pour cela eu une idée toute simple. Si simple qu'il se
demande pourquoi personne n'y a songé avant lui. Il mettra tout en
œuvre le long de sa vie pour y parvenir. Jusqu'à ce que Charlotte
et lui, après s'être croisés à plusieurs reprises dans le courant
de leur existence soient confrontés au mystère d'un artefact coincé
dans la glace d'une île en Russie et qui n'est pas étranger à leur
histoire, aux voies qu'ils ont suivies, aux choix qu'ils ont fait.
Je pourrais vous faire une chronique thématique, aborder un à un les
sujets abordés dans ce livre, appuyer sur la pertinence des propos
et considérations dont il se fait indéniablement l'écho. Que ce
soit sur les questions environnementales, sur la répartition des
richesses, les inégalités flagrantes qui gangrènent nos sociétés.
Je pourrais aussi vous parler de l'évocation faite d'une humanité
consciente des menaces qui la guettent mais qui rechigne pourtant à
s'inscrire dans un changement radical, à envisager des voies
divergentes d'évolution et de progrès sous prétexte que l'inconnu
est synonyme de danger, qu'il implique le changement de statut
d'une classe de nantis prête à tout pour préserver ses acquis...
Oui, je pourrais.
Mais non. Là aujourd'hui, maintenant c'est du
plaisir simple de la lecture dont on va parler. Vous savez, ces
petits signes qui ne trompent pas et qui, au final, valent bien des
discours. L'immersion rapide dans les filets de l'histoire, la
facilité à trouver bien des prétextes pour s'octroyer des plages
de lecture, bénir l'attente chez le docteur, l'arrêt inopiné du
train sur la voie sans aucune raison, et qui dure, heureusement ;
imaginer ce qui va bien pouvoir se passer, être avides de connaître
la suite tout en souhaitant ne pas terminer le livre trop
rapidement ; fébriles de profiter de tout ce qu'il propose, de
suivre cet homme qui a voulu garder ses rêves d'enfant, un homme qui
à défaut de rester un enfant, justement, est devenu un génie dont
on se demande s'il sera bon ou mauvais...
En tout cas, quand on passe ainsi sans
heurts d'une vision assez intimiste des personnages à des scènes de
grand, très grand spectacle (et les mots sont pesés - ne vous étonnez d'ailleurs pas si votre voisin vous remet le menton en place quand les voies de la nanotechnologie s'ouvriront à vous...) - quand tout s'articule aussi bien donc, sans qu'Andreas Eschbach n'ait besoin de forcer le trait, on se dit que le livre
d'après, il a intérêt à s'accrocher.... ou à accrocher tout
court.
Maître de la matière, de Andreas Eschbach, traduit de l'allemand par Pascale Hervieux, éditions de l'Atalante (La Dentelle du Cygne) 2013, 640 p.