« Et n’oubliez pas, nous sommes toujours plus grands que ce que disent les livres. »
1ère de couverture « Le rire du grand blessé » Cécile Coulon aux éditions Viviane Hamy
Minois espiègle, blondeur venue d’un ailleurs et casquette gouailleuse, Cécile Coulon prend la lumière mais pas la pose. En elle le juste dosage de férocité enfantine et de lucidité évoquant une Björk des mots. Aussi à l’aise avec le verbe pic à glace qu’avec la rime farouche, la jeune auteure nous livre dans son nouveau roman sa vision d’un monde totalitaire ayant dévoyé le livre pour le transformer en outil d’asservissement. Entassées dans des stades, épiées par des miliciens impavides ou des chiens féroces, les masses laborieuses attendent chaque semaine leurs lots de sensations littéraires ânonnées par un lecteur gourou, lui-même au service du « Grand », auto-proclamé despote des mots.
L’ambition de ce programme éducatif par la lecture sensation : la servilité de la population. Une population à la merci de ses tsunamis émotionnels dont les exagérations sont épiées par des agents recrutés dans les campagnes moribondes. 1075 est l’agent ultime : analphabète, mutique, abandonnant le bras maternel sans sourciller, capable d’endurer toutes les humiliations du corps, il lui faut peu de temps pour intégrer l’élite du « Service National » en charge de canaliser l’hystérie des foules. Mordu un soir de « Manifestation littéraire à haut risque » par un molosse, 1075 se retrouve hospitalisé et alité. Devenu inutile son corps pèse de tout son poids sur son âme vouée à une inertie définitive. Mais, ne suffit-il pas parfois d’un mot juste pour que s’entrouvre la plus coriace des prisons mentales ?
S’emparant avec l’aplomb de ses 23 ans des grandes thématiques chères aux sommités viriles de la littérature d’anticipation, Cécile Coulon est une séductrice des mots. Non pas une séductrice qui calculerait son coup pour mieux nous tenir à sa merci, mais une séductrice ayant gardé encore assez de candeur pour nous conquérir. Cécile Coulon a indéniablement la bosse du style comme d’autres ont la bosse des maths. Fluide, précis, balançant crânement entre effleurements et âpreté sa prose regarde droit dans les yeux la poésie. Une agilité stylistique qu’elle met ici au service d’un développement glaçant sur la fonction du livre dans un monde transformé en parc d’attractions. Une littérature rendue omnisciente, déifiée comme le fut en d’autres temps la canette de coca. Une littérature sans dualité et violemment addictive orientant le lecteur vers une émotion exclusive. Face à la tyrannie de l’émotion unique, unissons enfin nos rires de grands blessés. Merci Cécile Coulon.
Astrid MANFREDI, le 30/08/2013
Informations pratiques :
Titre : « Le rire du grand blessé »
Auteure : Cécile Coulon
Editeur : Viviane Hamy
Nombre de pages : 132
Prix France : 17 euros