Mars 2011, un morceau saisissant et aventureux, un piano mélodieux sur lequel jongle une voix belle et fragile : Into The Wild est le premier morceau dévoilé de The Human Octopus, premier album de Cascadeur. Disque ambitieux et captivant, œuvre d’un musicien encore inconnu, anonyme mystérieux, dissimulé derrière son masque de luchador.
Si les titres les plus efficaces, et sûrement les plus accessibles, que sont Walker et Meaning ont tendances à occulter les autres, plus intimistes, chaque morceau demeure un petit fragment d’âme de l’album. De Highway 01 à Your Shadow, tous sont profonds et pénétrants: de véritables hymnes à la mélancolie.
Un morceau de Cascadeur est rare et précieux.
La première vague déferlée en mars 2011 sur l’excellent et aventureux a cessé de nous rassasier depuis un moment, nous laissant impatient d’entendre à nouveau la voix si particulière et fragile du plus subtil des musiciens casqués de l’hexagone. Premier single de son prochain album, prévu pour février 2014, Ghost Surfer étanchait en partie notre soif. Toujours très aérien, Cascadeur offrait une nouvelle envolée à son projet, rythmée et attrayante.
« Ma musique est contrastée, c’est un peu l’exploration intime de grands espaces »
ATD. Hello Cascadeur, je ne vais pas te demander de te présenter de manière classique parce que l’on commence à te connaître. Un premier album en mars 2011, The Human Octopus et ton nouvel album est prévu pour le 3 février 2014. Voilà pour les grandes lignes.
Est-ce que tu pourrais te présenter quelques mots?
Cascadeur. On va dire, vaisseau en phase de décollage, c’est optimiste mais j’aime bien.
ATD. A propos de ton nom, on parle de jouet d’enfance, de prise de risques etc, d’où ça vient exactement ?
Cascadeur. Oui, il y a eu plusieurs pistes pour asseoir le nom. C’est parti de quelques amis proches qui ont entendu mes premières démos. J’avais fait des morceaux mais je n’avais pas de noms et ils m’ont tout de suite parlé de risque, de hauteur, de fragilité etc. Ensuite mon idée était de revenir à l’enfance, j’avais déjà fait pas mal de projets et je voulais revenir au piano et à la voix qui constituent vraiment mon enfance musicale. A partir de là j’avais déjà deux pistes, en continuant de réfléchir à mon enfance, je me suis dit qu’il y a un truc que je n’aimais pas beaucoup faire et qui expliquait une partie de mon parcours, l’exposition. Je n’aimais pas m’exposer, j’ai aussi fait de la peinture et de la même façon je peignais beaucoup mais je ne m’exposais pas. Il y avait sans doute une raison psychanalytique je sais pas (rire). Il y avait un truc parce que j’avais ce même problème en musique, je ne montrais pas mes projets. J’en avais pas mal parce que j’avais besoin de faire beaucoup mais la plupart restaient « dissimulés » chez moi. Je me comportait de la même façon enfant, je ne voulais pas m’exposer mais en même temps il fallait que je me montre. Et pour ça je descendais dans des endroits publics mais déguisé, en Zorro, en indien etc. Comme plein d’enfants finalement mais ça m’a marqué parce que j’ai toujours aimé ce dédoublement que permet le masque. C’est en réfléchissant à tout ça que ça m’est « apparu », ce rapprochement, cette proximité que j’avais avec un cascadeur. Quelqu’un qui double une vedette multi-éclairée, qui prend des risques tout en restant dans l’ombre, qui a également une forte exigence parce que c’est un travail très minutieux, pointilleux. Ça m’a tout de suite parlé et en plus j’avais ce jouet d’enfant, Cascadeur le motard blanc avec son casque sur un tremplin rouge. Et j’ai décidé de m’appeler comme ça, ça me permettait de m’amuser de moi-même aussi. Enfant j’étais très casse-cou et plus du tout maintenant, je suis trop prudent (rires).
ATD. Comment tu décrirais la musique que tu composes autrement que « piano-voix planant » ? Peut-être plus précisément ou plus personnellement ?
Cascadeur. Je pense que c’est un peu paradoxal comme musique, à la fois intimiste parce que j’aime assez la proximité avec les choses alors qu’en même temps j’aime beaucoup les grands espaces. J’aime bien le cinéma et j’ai dû être bercé par toutes ces orchestrations, cette approche spatiale de la musique. Ce que je fait n’est pas toujours très orchestré mais reste lié à l’exploration de l’espace. C’est vrai que l’accoutrement, le casque et les combinaisons, tout cela est aussi spatial, ça peut être 2001, des choses comme ça. C’est l’exploration d’espaces sonores, et aussi d’espaces physiques. Je dirais qu’elle est contrastée, c’est l’exploration intime de grands espaces peut-être.
ATD. C’est sympa comme description. En parlant de cinéma, si ta musique devait être une BO, ce serait de quel film?
Cascadeur. Hum…C’est compliqué notamment parce qu’il y a beaucoup de réalisateur que j’aime bien. Curieusement j’ai l’impression que je ne fais pas tellement attention à la musique de film, je me fais cette réflexion parfois. Je crois que je me plonge plus du côté de la réalisation et que j’omets ainsi la musique. Un des souvenirs marquant chez moi c’est Sergio Leone, un vrai souvenir d’enfance. Après il y a plein de réalisateurs que j’aime bien, comme Kubrick ou Orson Welles, j’aime bien les frères Cohen, Tarantino m’intéresse et puis Scorcese. Même Cassavetes avec cette urgence et ce peu de moyen qui s’approche du jazz, de l’improvisation. Je vais dire Sergio Leone pour être fidèle à mes premières impressions. Après Kubrick a ce truc cascadeur, il est très maîtrisé, c’en est maladif, c’était quelqu’un qui voulait tout contrôler, je ne pense pas être comme ça hein (rires), mais ce degré de maîtrise m’impressionne. Cette part d’obsession m’intéresse aussi, une notion que l’on retrouve un peu chez De Palma aussi. Mais allez va pour Sergio Leone.
« Je ne voulais pas qu’on m’enferme dans une sorte de musique de chambre dépressive et mélancolique »
ATD. T’as sorti récemment ton EP Ghost Surfer sur lequel figure le titre éponyme, un peu plus vieux lui. Je trouve que cette chanson diffère de ce que tu faisais avant, c’est plus rythmé, plus catchy peut-être. Est-ce que ton prochain album s’oriente dans cette direction ou pas du tout, c’est juste un truc que tu voulais faire, essayer quelque chose de nouveau ?
Cascadeur. C’est marrant parce que j’ai lu un commentaire sur ITunes de quelqu’un qui était déçu par le morceau, qui parlait de pression de la maison de disque et de manque d’inspiration. C’est intéressant pour moi de lire ça et je peux comprendre alors que ce n’est pas un secret mais c’est moi qui ai presque imposé ce titre-là. C’est-à-dire que je suis arrivé avec un certain nombre de maquettes et j’ai pas mal insisté sur deux des morceaux de l’album qui sont plus pop. Ils ne se sont peut-être pas imposés tout de suite sur maquette mais j’avais envie aussi d’un autre souffle et je ne voulais pas qu’on m’enferme si tu veux dans une sorte de musique de chambre dépressive et mélancolique. Je ne voulais pas être prisonnier dans un style, je suis très sensible au fait d’être dans l’émotion, ça me touche toujours autant mais j’ai besoin de respiration et ce morceau Ghost Surfer est cette respiration. En tant que musicien, ce n’est pas un morceau facile, il peut le paraître mais il est truffé d’accords, d’accords tronqués, de mesures découpées. Il est quand même un peu complexe et sophistiqué mais il parait sans doute limpide c’est vrai.
C’était intéressant pour moi, je voulais casser cette sphère dans laquelle j’évolue le reste du temps. Il reste quand même une palette de ce que j’aime. Culturellement, j’apprécie aussi ce qui est plus pop même si j’ai une propension à aimer les choses très mélancoliques. Pour moi il y a une mélancolie, peut-être pas évidente il est vrai, dans cette chanson, le couplet m’émeut. Le refrain parait effectivement plus joyeux mais c’était aussi un travail sur le slogan. Pour moi le refrain est un slogan, c’est une interrogation autour de l’héroïsme avec finalement cette chorale, tous ces gens qui parlent de Ghost Surfer, ce personnage un peu héroïque et mythique, un peu comme le quant-dira-t-on, les rumeurs. Au contraire, le couplet est plus centré sur le personnage, c’est le narrateur qui est à l’intérieur de son masque, de sa cagoule et qui évoque ses relations avec le monde extérieur. Ses relations avec les autres, amoureuses peut-être, on parle de vague mais ça reste assez flou. Je voulais qu’il y ai deux discours au sein d’une même chanson.
ATD. Ok. Changement de direction maintenant. Ce soir tu joues ici (à La Maroquinerie) et je viens de te voir mais je ne pense pas avoir déjà assisté à un concert de musique disons calme et planante. Je suis plus habitué à des trucs qui bougent plus. Qu’est-ce que je suis censé faire, et tous les spectateurs, pendant que tu joues ?
Cascadeur. Rester (rires). Non mais je pense que ça ne va pas être trop soporifique ce soir parce qu’on a modulé le set et il est un peu plus nerveux. On s’adapte, c’est vrai que ce n’est pas un concert normal dans la mesure où l’on a 45 minutes, qu’il y a d’autres groupes donc c’est un peu plus vif quand même. Si tu vas à un concert complet j’ai, c’est vrai, des morceaux beaucoup plus intimistes. Mais ce soir ça va être assez dynamique, tu vas presque pouvoir danser (rires).
ATD. Qu’est-ce que tu aimes penser que les gens font en t’écoutant ?
Cascadeur. Il y a un certain nombre de personnes qui m’écrivent et qui me disent « Je roule la nuit ». Ça me touche parce que personnellement je suis sensible à ça. J’aime bien rouler la nuit en musique, je ne m’écoute pas (rires), c’est vraiment quelque chose que j’apprécie et que je comprend. C’est la pérégrination de quelqu’un derrière une sorte de pare-brise-écran avec des apparitions, des choses comme ça. Oui, rouler la nuit dans des véhicules. Ou voler. Je sais qu’il y a des gens qui dansent des slows sur certains de mes morceaux, j’ai eu des beaux messages, vraiment chouettes. J’imagine qu’on doit s’engueuler aussi sur mes compos (rires).
ATD. Tu composes une musique, un style qu’on retrouve assez rarement finalement. C’est quoi tes influences, qu’est-ce qui t’as poussé vers ce genre de compositions ?
Cascadeur. C’est vraiment le fruit d’un parcours assez long. Il y a eu le classique qui a été important, j’ai fait beaucoup de classique. Le jazz aussi que j’ai beaucoup écouté et joué. Et puis l’influence de mes parents qui m’ont fait écouter beaucoup de musique lyrique, qui m’ont un peu tiré par la main à pas mal de concerts quand j’étais enfant. C’était difficile parfois mais ça m’a formé,ou déformé, j’ai été sensibilisé. Pour moi la voix c’est d’abord des impressions lyriques. La musique contemporaine également, je suis allé à des festivals, avec mes parents toujours (rires), j’ai été conditionné. Je crois que c’est un magma d’éléments, pas mal de folk, tout ce qui est un peu transversal comme ça. J’aime assez les outsiders, l’idée de looser me plait aussi. Ces gens peu connus mais qui ont laissé un disque ou qui continuent à vivre mais qui ont arrêté la musique et dont on ne sait plus rien. J’ai un exemple en tête là : Mark Hollis de Talk Talk qui est une figure un peu mythique je trouve. Un personnage intéressant, qui a eu un grand succès avec Talk Talk. Un groupe composés de musiciens qui cherchaient beaucoup et qui se sont peu à peu écartés. Il a fait un album solo il y a plus de dix ans qui est étonnant et maintenant on en sait plus ce qu’il devient. J’écoute vraiment beaucoup de trucs, je vois sur ton papier là, il ne faut peut-être pas que je lise (rire), Sigur Ros pourquoi pas oui. Il y a plein de choses qui me touchent, il y a tellement de belles choses, tellement de choses que j’ignore aussi.
ATD. A propos des choses qu’on ignore, un artiste que tu trouves trop peu connu. Un groupe que t’adore et que t’aimerai faire découvrir ?
Cascadeur. C’est difficile de dire ça, à la limite je préfère parler d’un mort, comme le père de Jeff Buckley. Tim Buckley qui a je trouve un sacré parcours, il est mort à 28 ans, il a fait beaucoup de disque, c’était aventureux. C’est son fils qui l’a un peu plus révélé, il a eu une vie assez particulière mais je trouve que c’était un sacré compositeur et sacré chanteur. Il était expérimental, il est passé par plein de phases. Même si c’est une figure relativement connue, il y a de toute façon toujours plein d’injustices, plein d’excellents musiciens qui n’ont même jamais pu faire un disque.
ATD. Et ton dernier coup de cœur ? Le truc que t’a écouté et qui t’as vraiment plût et marqué ?
Cascadeur. J’aime bien Local Natives, je les ai entendus en concert près de chez moi. Je connaissais un peu leurs albums, je trouve qu’il y a des bons morceaux. Après j’aime bien mettre des colles (rires) donc je vais t’avouer que je ne suis pas fan de toutes les chansons mais certaines sont vraiment supers. C’est un peu dans la lignée de Grizzly Bear, de tous ces gens-là, c’est aussi audacieux, c’est des harmonies vocales, des recherches de sons, de rythmes qui me plaisent. Après il y a vraiment beaucoup de choses et ce serait injuste de citer quelqu’un en particulier. Je peux mentionner London Grammar aussi, j’ai entendu un morceau et je suis curieux d’écouter l’album. Je trouve que la voix est intéressante mais je ne connais pas encore assez pour me prononcer. J’attends bien sûr le nouvel album de Midlake!
ATD. L’endroit où tu rêverais de faire un live ? Une salle ou un lieu non dédié à la musique.
Cascadeur. Sur un circuit automobile mais en 2 CV, dans une voiture pourrie pour ne pas avancer trop vite et pouvoir y jouer. C’est marrant ça. J’ai déjà fait ça une fois mais pas dans un circuit, dans un vieux van. Ça c’était vraiment très cascadeur parce que ça freinait tout le temps, le clavier tombait sans arrêt mais c’était amusant. Ouais un circuit ça peut être sympa, mais rouler lentement hein ! Sinon j’aurai trop la trouille (rires).
ATD. Et partager une scène avec qui ?
Cascadeur. Hum, pas facile de te répondre. James Blake, j’ai une proximité avec lui je pense. Je suis assez sensible à ce qu’il fait. J’aime bien son traitement du son et sa voix. Ce qu’il fait est intriguant aussi donc pourquoi pas.
« Je passe souvent inaperçu à mes propres concerts, ce qui est chouette et frustrant à la fois »
ATD. Une question d’une de nos lectrice qui m’a demandé de te la poser : Est-ce que t’acceptes les bisous et comment t’en faire ?
Cascadeur. Oui j’accepte mais c’est toujours un casse-tête avec moi. Quand je suis non-masqué tout le monde me passe à côté alors que moi j’aimerai bien, discuter ou avoir des bisous, et une fois que je suis masqué je suis en train de jouer. Il faut monter sur scène. C’est vrai que ce n’est pas le meilleur projet pour dialoguer, rencontrer les gens. Je passe souvent inaperçu à mes propres concerts. Ce qui est chouette et frustrant à la fois parce que j’aimerai bien plus discuter (courte pause, ndlr) et avoir des bisous (rires).
ATD. Tu n’as jamais envisagé d’enlever ton masque? Pour te rapprocher de ton public justement?
Cascadeur. Je le faisais à un moment, au début je l’enlevais à la fin de mes concerts. C’est une interrogation constante mais je crois que c’est important. C’est plus qu’un gadget pour moi, je ne chante pas de la même façon avec et sans masque, je ne joue pas de la même façon non plus. C’est essentiel et le retirer casserait quelque chose. Peut-être que certaines personnes aiment le projet parce que justement je ne suis pas en avant, enfin mon visage, ma personne n’est pas en avant. Après on peut tout imaginer, que ça laisse plus de place à la voix, aux instruments mais c’est vrai que c’est un drôle de choix de vie. En même temps je n’envie pas forcément les gens qui s’exposent. C’est difficile aussi tu vois, des fois je suis avec des gens dont le visage est un peu explosé, ça change ton rapport à l’autre, les autres changent par rapport à toi. Ils rentrent dans une pièce et c’est tout de suite compliqué. Cette petite célébrité je ne comprends pas que tant de gens courent après.
ATD. Pour finir, qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour la suite ?
Cascadeur. Je dis souvent ça : pouvoir continuer. C’est un peu bête mais c’est un luxe. Je fais ce que j’aime, une des choses que j’aime et c’est une chance, c’est difficile aujourd’hui. Je me sens soutenu même si tu as toujours un peu de pression parce que tu ne sais pas comment vont être reçus les morceaux. Je lis ce qu’on m’écrit, ça me touche, plus que si je n’avais pas de masques j’ai l’impression, paradoxalement. Je reste hyper-fragile malgré tout ce déguisement et une posture parfois théâtrale (rires). Et donc forcément, plus tu t’exposes, plus on expose ton travail et plus t’as de retour de bâton c’est normal. Dans mon cas j’ai eu de la chance, c’était plutôt positif mais c’est vrai que dès qu’il y a un truc négatif, tu ne l’oublies pas. Pour l’instant j’ai été épargné mais je me prépare toujours au pire. Comme un vrai cascadeur je m’attends au crash et j’espère que ça viendra le plus tard possible.
Nous aussi !
Quelques heures plus tard, Cascadeur livre un set magique et magistral, masqué et enveloppé dans une combinaison complète. Dévoilant quelques titres de son prochain album qui ont augmenté encore, si cela est possible, notre impatience et excitation. Proche de l’audience tout en restant dans son personnage aérien et détaché, Cascadeur impressionne par sa maîtrise et l’adaptation réussie des morceaux de son premier disque à la scène. Il nous avait promit un concert envoûtant et grisant, 60 minutes et un rappel en solo avec son piano (magnifique Into The Wild) plus tard, confirmation est faite.
Casque bas monsieur.
Crédit photos : Cascadeur