Un obélisque dressé sous un porche percé : Hubert Robert a peint à plusieurs reprises ce motif explosif, avec des intentions bien différentes de celle qu’un esprit moderne pourrait facilement suspecter…
Ruines avec un obélisque au fond
Hubert Robert, 1775, Musée Pouchkine, Moscou
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Du passé au présent
Au fond un obélisque avec ses hiéroglyphes…
Au centre un portique romain, orné de statues gigantesques. L’une tend une couronne de laurier vers la plaque SPQR, à la gloire de l’Empire disparu.
Sous le portique, un escalier descend jusqu’au niveau archéologique, où le peintre a gravé sa signature dans une autre couronne de lauriers.
De l’arrière-plan au premier plan,
de la place à la cave en passant par le portique,
du royaume d’Egypte au royaume de France en passant par l’Empire Romain,
le sens de lecture et le sens de la promenade
coïncident avec le passage du temps.
Les personnages
Pas moins de dix-sept figurants s’appliquent à animer ce décor aux proportions gigantesques. En suivant le même parcours, de l’arrière-plan au premier, l’oeil isole successivement six groupes de personnages, dont chacun illustre une idée simple que l’on peut s’amuser à baptiser.
L’Indifférence et l’Attention
En haut de l’escalier, une femme vue de dos s’éloigne, tandis que deux autres renseignent un jeune homme bien mis : sans doute un peintre, ou un touriste.
La Maternité
Sur l’escalier, une femme vêtue d’une toge blanche telle une matrone romaine descend les marches en serrant son enfant dans ses bras.
La Curiosité
En bas de l’escalier, deux hommes, l’un tenant un bâton et l’autre une torche, s’intéressent à une cavité dans laquelle une échelle est placée : peut être un troisième archéologue y est-il déjà descendu.
La Séduction
Adossée à la fontaine antique, une jeune femme debout harangue deux filles captivées par un jeune homme qui se penche vers elles, tandis qu’une troisième fille fait diversion en désignant les archéologues.
La Subsistance
Du côté gauche de la fontaine tarie, une mère s’occupe de ses deux enfant qui jouent avec un bâton. Son dos nu suggère qu’elle s’apprête à leur donner le sein. Sans doute faut-il comprendre que le lait se substitue à l’eau qui giclait des deux gueules de lion. En bas, un chien est déjà occupé à se sustenter dans une écuelle en poterie, sans se préoccuper du roi des animaux.
Le sacrifice
Dernier groupe, de pierre cette fois : un groupe de prêtres conduit un boeuf au sacrifice, tandis qu’Hubert Robert se tresse des lauriers.
Des saynettes sans prétention
Ces figurants minuscules n’ont pas d’autre prétention que d’amuser le spectateur et d’animer ce grand morceau d’architecture, en lui insufflant un peu de vie et de fantaisie.
Hubert Robert les recopie d’ailleurs d’un tableau à l’autre, sans grand souci de cohérence, comme nous allons le voir en parcourant rapidement une série de tableaux construits sur le même décor.
Vue pittoresque du Capitole
Hubert Robert, Musée des Beaux-Arts, Valenciennes
La statue équestre
A la place de l’obélique trône la statue de Marc-Aurèle, seule référence qui justifie le titre du tableau : tout le reste relève effectivement du pittoresque.
L’escalier sous le portique
Le portique avec son escalier confime l’interpération temporelle : depuis le passé impérial de l’arrière-plan, il nous fait descendre vers le présent et le peuple animé des ruines.
Les figurants
Nous retrouvons, de haut en bas :
- la femme indifférente qui s’éloigne vers le fond,
- la mère qui descend l’escalier (cette fois en tenant son enfant par la main),
- le jeune homme qui s’appuie sur la pierre,
- la femme qui garde son enfant.
Quant aux archéologues, ils sont remplacés, en bas à droite, par un couple qui s’extasie sur la taille d’un sacophage brisé.
L’obélisque
Hubert Robert, 1787, The Art Institute, Chicago
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Retour de l’obélisque dans ce grand tableau (2,55 m x 2,23), une des quatre peintures décoratives qui ornaient le château de Méreville (voir 3 Arches de triomphe )
Les figurants
Toujours quelques figures récurrentes : la femme qui s’éloigne, le chien et le coin des archéologues, encore en bas à droite : en l’occurrence, deux hommes qui montrent à une femme une pierre gravée avec l’inscription : Méreville.
Une galerie en ruines
Hubert Robert, 1785, Musée Jacquemart André, Paris
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La vie continue
Quittons un instant notre série pour ce tableau assez différent, qui développe un des aspects de la ruine chez Hubert Robert : son caractère hospitalier. Loin d’être un réduit inhabitable, la galerie souterraine est un lieu de passage où la vie continue : le troupeau entre et sort, le cheval amène des provisions.
Les colonnes à demi enterrées ont retrouvé l’échelle humaine. Sur l’amas de gravats, à gauche, une vache paissait ; un berger la ramène vers le troupeau.
Même la crevasse dans le toit prend une tonalité optimiste : la lumière qu’elle dispense permet aux femmes de faire la lessive et de traire.
L’escalier de pierre
Hubert Robert, 1774 à 1784, Collection privée
Ce tableau est le proche cousin de celui dont nous sommes partis. Tous les ingrédients y sont désormais réunis : l’obélisque, l’escalier sous l’arche, la crevasse dans le plafond et la cavité sous l’escalier, explorée par un homme portant une torche.
La ruine-carrefour
Le décor conçu par Hubert Robert fonctionne parce qu’il est ouvert derrière et devant, permettant la circulation du passé glorieux vers le présent prosaïque :
l’escalier, tel une cascade de pierre, matérialise la descente du temps.
Aussi il ne faut pas s’étonner que certains des figurants soient vêtus à l’antique : l’alibi du pittoresque autorise le mélange des âges.
Ce que ce décor-ci à de particulier, c’est qu’il offre un second axe de circulation : entre le plafond troué et l’escalier prolongé par l’échelle, entre le céleste et le chtonien, la ruine établit une communication verticale :
le vieil axe mythique qui relie le Ciel et la Terre.
Un bâtiment a pour but de protéger qui l’habite, en l’isolant de l’extérieur. Une ruine, nous dit Hubert Robert, est un lieu de mélange,
un carrefour où l’axe horizontal du temps qui passe
croise l’axe vertical de la permanence .