Otages : la subtile ruse de Marine Le Pen
Publié Par Michel Desgranges, le 3 novembre 2013 dans PolitiqueMarine Le Pen aurait-elle trop regardé la série Homeland avant de faire ses commentaires polémiques sur les otages libérés ?
Par Michel Desgranges.
Le voici.
Madame Bête immonde est une avide fan de la série américaine (inspirée d’une série israélienne de plus faible diffusion) intitulée Homeland, dont elle ne raterait aucun épisode, même pas pour protester contre le bannissement des sandwiches au jambon en banlieues sensibles (et diverses).
Nicholas Brody, le héros de Homeland est un marine (ô manes de Freud !) fait prisonnier par des djihadistes en Afghanistan (ou un pays de ce genre). Durant les huit années de sa captivité, il se convertit à l’Islam, noue des liens d’amitié avec le chef de ses ravisseurs (syndrome de Stockholm, me souffle-t-on) et accepte de le seconder dans ses noirs et terroristes desseins. Effectivement, une fois libéré (sans versement de rançon !) et accueilli en héros aux États-Unis, Brody va… je ne dévoilerai pas ce qui s’ensuit, me contentant de noter que Carrie, l’héroïne (une dame de la CIA), sera jetée dans un asile de fous pour avoir clamé que Brody est un traître.
Dans la vraie vie, il se trouve que des otages français ont, après une longue captivité, été libérés, sans versement de rançon, accueillis, sinon en héros, du moins en grande pompe, par le Président-que-le-monde-entier-nous-envie lors de leur arrivée sur le sol gaulois, en un grand moment d’émotion larmoyante retransmis par tout ce qui diffuse des scènes conviviales et solidaires.
Comme tout bon citoyen et bonne citoyenne, Mme Bête immonde vit le spectacle sur son nationalphone et dans son cerveau des séquences de la fiction Homeland se superposèrent aux images de la vraie vie. Un processus intellectuel s’enclencha… serait-il possible que… ? Mme Bête immonde regarda mieux l’écran… les otages libérés étaient, par la pilosité de leur visage et leur vêtement, exactement semblables au portrait-robot hollywoodien des terroristes undercover.
Le sang et le patriotisme de Mme Bête immonde ne firent qu’un tour, furent convoqués caméras et micros, et prononcée une déclaration un peu obscure et alambiquée, suggérant plus que ne disant, comme il se doit lorsqu’il s’agit de débusquer agents doubles et triples, et surtout des Nicholas Brody bien de chez nous.
De cette dénonciation, Mme Bête immonde attendait une hausse de sa cote de popularité (peut-être après un détour à l’asile comme Carrie, mais il faut accepter de souffrir pour investir l’Élysée), la légion d’honneur et des remerciements.
Las, ce furent d’abord des quolibets qui lui furent prodigués, puis des injures et ricanements suivis d’une vigoureuse diabolisation, d’un recul dans les sondages, et de la honte du ridicule.
En cette occurrence, et peu importe le bien-fondé ou non de ses sournoises allégations, Mme Bête immonde avait surtout montré une pitoyable absence de sens politique, c’est-à-dire, dans une démocratie télévisuelle, de maîtrise de la communication, laquelle tient plus au choix du moment où des propos sont exprimés qu’à leur contenu, car ce moment conditionne les réactions de leurs auditeurs.
Mme Bête immonde n’avait pas compris que ce moment était entièrement dominé par une liesse unanime faisant des otages libérés d’intouchables idoles, et que tout propos critique à leur égard, même un simple soupçon de suspicion… serait traité comme un blasphème passible du bûcher rapidement dressé par les faiseurs d’opinion.
N’étant aucunement partisan de Mme Bête immonde, sa maladresse ne me navre point, mais alors que je me préparais, en observateur assez dilettante, à en tirer des conclusions ethno-sociologiques, un fin politologue intervint pour me dire que je n’avais pas discerné la véritable raison de l’intempestive intervention.
Mme Bête immonde, me fut-il expliqué en cette belle langue pratiquée à Sciences-Po, est dans une stratégie de normalisation. Elle a déjà franchi avec succès une première étape en présentant un programme dont les incohérences et la démagogique imbécillité se situent dans la norme des projets de ses concurrents. Aujourd’hui, en affichant hautement à la face du peuple sa bêtise, elle se place ainsi dans la norme des politiciens respectables et respectés, et sa provisoire rediabolisation sera nécessairement lavée par une plus durable dérediabolisation.
Désormais reconnue en tant que politicienne comme les autres, Mme Bête immonde, conclut mon savant interlocuteur, n’a plus qu’à prononcer encore deux ou trois âneries médiatisées pour se distinguer du troupeau sans s’en écarter, et voler vers une victoire bien méritée.
C.Q.F.D.
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