Les poèmes de ce recueil dissèquent notre monde moderne. Les “Manipulations” racontent toutes les images dégradantes, révoltantes, avilissantes que la télévision nous balance dans la plus totale indifférence. Elle, quand elle s’assoit dans un café, ne pense qu’à ce que Eux peuvent lui offrir comme cadeaux et s’étonne d’être seule et de n’avoir rien. Quant à cette sacro-sainte Liberté, dont tout le monde se réclame, que tout le monde veut défendre, que tout le monde cite comme des “Perroquets”, qui est réellement capable de dire liberté de quoi? Le métro-boulot-dodo, lui, ressemble d’avantage à un “négrier” qui emmène les travailleurs dans un bus pour nettoyer le sol, gagner trois francs qui leur seront taxés. Le bruit, assourdissant, lassant, porte sur les nerfs au point que le “silence subtil” lui-même surprend. Tomberons-nous dans le “Filet”, le piège du réseau qui nous prive de note identité? Ou aurons-nous d’autres “Ambitions”, être heureux, serein, profiter et exploiter l’autre?
Il est toujours délicat de parler de poésie. Ce que l’on y recherche est tellement subjectif! Ici, le parti pris est de parler du monde moderne dans tout ce qu’il a de désenchanté. N’espérez donc pas retrouver des rimes, des images harmonieuses, des strophes calibrées. Chaque poème crée ici son propre rythme. Je dois avouer que parfois, j’ai eu un peu de mal à y adhérer. Mais la plupart du temps, je me suis surprise à entendre chaque texte déclamé à mon oreille avec une pertinence surprenante et je pense que ces textes gagneraient à être mis en voix, voire en musique.
Avec sévérité, dureté, ils constatent que nous vivons dans un monde déshumanisé. Un simple journal télévisé devient une succession d’images toutes plus poignantes les unes que les autres qui pourtant retombent comme un soufflé une fois le générique passé. Le travail est avilissant, sans but ni sens, comparé à un esclavagisme volontaire. On ne sait même plus la valeur des grands mots dont on se réclame. L’homme n’a jamais été si libre et il n’a pourtant jamais été si prisonnier: les menottes et prison qui surgissent dans la fin du recueil sont bien les fruits même du progrès.
Là est peut-être le seul reproche que je ferai à ces textes. Je les ai trouvé terriblement sombres, et les seuls notes un peu moins soumises sont celles qui se mettent à la place de l’oppresseur, comme si le seul moyen de relever la tête était d’être du côté des méchants. Et si le dernier poème encourage à “Mourir d’être privé de soi-même ou Etre soi-même et en mourir”, j’ai bien l’impression que la seule note positive consiste à être libre dans sa tête, dans sa conscience, mais que cela ne permet pas vraiment de se soulager d’un monde aussi sombre, ni pour y vivre ni pour le changer. J’aurais aimé que les poèmes ne se contentent pas d’un constat un peu désespéré d’un monde industriel sans âme, et qu’ils aient un peu plus de poigne aussi dans la révolte.
En revanche, j’ai tout particulièrement aimé les illustrations: aux couleurs franches et violentes, elles participent à faire de chaque poème un véritable instantané, un moment à l’intensité grave. On est presque mal à l’aise de voir ces visages en gros plan et ces contrastes frappants. Cela donne un objet-livre très réussi.
La note de Mélu:
Convaincant, mais il manque un petit pas encore pour que ça me parle complètement. Un grand merci aux éditions World Crisis Crew pour cette lecture.
Un mot sur l’auteur: Pascal Scheidegger est un poète suisse, dessinateur en bâtiment de métier.
catégorie “chiffre”