Fiche Rêve et Silence

Publié le 03 novembre 2013 par Enjeux Sur Image

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 Fiche N° 24  11 avril  2013

Oriol et Yolanda vivent à Paris avec leurs deux filles. Il est architecte, elle est professeur de lycée. Au cours de vacances dans le delta de l’Èbre, au sud de la Catalogne, un accident bouleverse leur existence.

Rêve et silence  de Jaime Rosales

Tourné en 35mm. 2.35:1, Scope, Dolby stéréo N/B et couleur à Paris et dans le Delta de l’Ebre (Espagne). Avec la participation artistique de Miquel Barceló.

France /Espagne – 2012 – 1h50  Date de sortie 3 octobre 2012

Avec:

Yolanda Yolanda Galocha
Oriol Oriol Roselló
Jaume Jaume Terradas
Laura Laura Latorre
Alba Alba Ros Montet
Celia Celia Correas

Jaime Rosales (Barcelone, 1970)

Après avoir fait des études de commerce à ESADE, il obtient une bourse pour étudier le cinéma dans la prestigieuse École Internationale de Cinéma et Télévision de San Antonio de los Baños (EICTV) à Cuba.

Las horas del día. Festival de Cannes 2003, Quinzaine des Réalisateurs. Prix FIPRESCI de la critique internationale.

La soledad. Festival de Cannes 2007, Un Certain Regard.

Un tir dans la tête. Festival de San Sebastián 2008, compétition. Prix FIPRESCI de la critique internationale.

Rêve et silence. Festival de Cannes 2012, Quinzaine des Réalisateurs.

Peu de films actuels donnent à qui l’accepte l’occasion de partager une expérience profonde. Ceux tenant à la fois du constat lucide et de la proposition inespérée sont encore plus rares. On mesure le caractère essentiel du nouveau film de Jaime Rosales, Rêve et silence. Ses essais précédents, dont La Soledad et Un tir dans la tête avaient prouvé sa maîtrise et son inventivité ; mais rien ne laissait présager l’ampleur métaphysique, et mystique, de son nouvel opus – comme si l’on était passé, d’un coup, de la fine sensibilité de Nuri Bilge Celan à la terrible plénitude d’Ingmar Bergman : des Climats à Sarabande. Rosales reprend le motif de La Soledad (l’individu confronté à la mort d’un proche dans une société en crise) en universalisant le propos ; ce n’est plus le terrorisme, mais un banal accident de voiture qui place l’être devant le scandale et le mystère de la mort. C’est cette énigme fondatrice de toute culture digne de ce nom qu’explore le cinéaste espagnol. Pour oser regarder fixement ce point aveugle, Rosales forge un langage cinématographique fort, mariant ascèse de la distance et précision de la proximité, noir et blanc constant et couleur rarissime, simplicité et étrangeté (un plan par scène, un cadre autonome des personnages, une temporalité fragmentée jusqu’aux amorces de pellicule, une absence de toute source sonore ajoutée), langage dont la radicalité manifeste un rapport décalé à l’espace et au temps. L’effet produit par une telle mise en scène fait penser à un engin spatial explorant une planète inconnue : les humains dont on saisit des bribes de quotidienneté (des faiblesses, des douleurs, mais aussi des joies passagères) sont observés par une Présence absolue qui conjuguerait ubiquité et éternité. Les confins fantastiques d’une telle vision ouvrent, comme chez Dreyer (dont Rosales semble partager la foi dans une vie qui, de Vampyr à Ordet, vaincrait la mort), sur une perception du sacré. Les moments les plus troublants se déroulent dans un jardin public qui rappelle celui de La jetée ; comme chez Marker, l’insouciance des jeux d’enfants et la décontraction des adultes forment le cadre d’échanges impossibles, la toile de fond de ce qu’il faut appeler miracle, qui voit la mère retrouver sa fille défunte. Aussi l’avancée du père dans une allée déserte, de dos, talonné par une caméra subjective qu’on devine être sa fille ; une caméra qui finit par s’arrêter, un père qui finit par se retourner sur ce contrechamp invisible, indicible, puis s’en va tel Orphée sans Eurydice. Moments de pure poésie que chacun pourra interpréter selon sa vérité intime. Le film se trouve encadré par le travail pictural d’un artiste dont les figures viennent confirmer un sens religieux déjà pressenti lors d’un beau contrejour abstrait sur des croix et un Christ au cimetière, avec la ligne d’un avion dans le ciel. Façon pour le cinéaste de suggérer que le sacré peut prendre les formes les plus diverses, du poème jusqu’au rite ; du rêve jusqu’au silence.

Philippe Roger

Etudes – Revue de culture contemporaine

http://www.revue-etudes.com/Cinema/Reve_et_silence/7502/14896