Un engagement du Grenelle de l'environnement
Il convient tout d'abord de rappeler que l'éco taxe poids lourds est une mesure issue de l'engagement n°45 du Grenelle de l'environnement :
"Engagement n°45 : Création d’une éco-redevance kilométrique pour les poids lourds sur le réseau routier non concédé.
Objectif : mise en place effective en 2010. Modes de compensation via divers mécanismes et reprise en pied de facture. Affectation de cette ressource aux infrastructures ferroviaires (AFITF). Demande de révision de la directive Eurovignette en vue d’une meilleure intégration des coûts environnementaux. Le montant de la taxe, qui doit pouvoir être répercuté, serait fonction des émissions spécifiques du véhicule, de la charge utile maximale et du nombre de kilomètres parcourus."
Cette mesure largement consensuelle était destinée à internaliser les externalités négatives du transport routier (émissions de gaz de serre, artificialisation des sols..) et à contribuer au financement du fret ferroviaire qui ne cesse de décliner. Au-delà, cette écotaxe avait également pour projet d'encourager une relocalisation de notre économie en décourageant les transports longue distance.
En 2007, tous les collèges du Grenelle ont voté cette mesure, ce compris ceux qui, explicitement ou implicitement, approuvent désormais la décision du Gouvernement de ne pas l'appliquer. Une mesure qui existe depuis 2001 en Suisse et qui a été adoptée dans six autres Etats de l'Union européenne.
Un consensus national
L'éco taxe est donc débattue en France depuis 2007. Mais ces 7 ans de réflexion auront surtout permis à ce que le consensus droite/gauche qui s'était exprimé en sa faveur se transforme soudainement, certes pour des motifs très divers, en consensus en sa défaveur.
Rappelons pourtant les termes de cet article 11 de la loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l'environnement, voté à la presque unanimité des députés
"(...)Une écotaxe sera prélevée sur les poids lourds à compter de 2011 à raison du coût d'usage du réseau routier national métropolitain non concédé et des voies des collectivités territoriales susceptibles de subir un report de trafic. Cette écotaxe aura pour objet de financer les projets d'infrastructures de transport. A cet effet, le produit de cette taxation sera affecté chaque année à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France pour la part du réseau routier national. L'Etat rétrocèdera aux collectivités territoriales le produit de la taxe correspondant aux sommes perçues pour l'usage du réseau routier dont elles sont propriétaires, déduction faite des coûts exposés y afférents. Cette redevance pourra être modulée à la hausse sur certains tronçons dans un souci de report de trafic équilibré sur des axes non congestionnés.
Cette taxe sera répercutée par les transporteurs sur les bénéficiaires de la circulation des marchandises. Par ailleurs, l'Etat étudiera des mesures à destination des transporteurs permettant d'accompagner la mise en œuvre de la taxe et de prendre en compte son impact sur les entreprises. Par exception, des aménagements de la taxe, qu'ils soient tarifaires ou portant sur la définition du réseau taxable, seront prévus aux fins d'éviter un impact économique excessif sur les différentes régions au regard de leur éloignement des territoires de l'espace européen."
La loi du 3 août 2009 prévoit donc que cette écotaxe entre en vigueur en ...2011. La loi n'est donc pas appliquée. Ce qui est grave lorsque l'on est attaché à son respect. Ce qui l'est moins pour ceux qui réduisent la loi à un instrument de communication. Pourtant, ce n'est pas cette illégalité là qui suscite le débat. Mais une autre : la possible illégalité du contrat par lequel l'Etat a délégué à une société "privée" le soin de mettre en percevoir le dispositif de perception de cette écotaxe.
Cette loi du 3 août 2009 était l'expression d'un consensus sur un point précis : l'écologie n'est pas l'ennemie de l'économie. Si le Grenelle a été organisé juste avant le début de la crise économique actuelle, fin 2007, cette loi a été votée après. D'où sa force et son intérêt. Et cette loi a été suivie d'autres lois et décrets.
Or le consensus sur lequel elle était fondée se rompt actuellement : à droite comme à gauche, des voix s'élèvent contre l'écotaxe au motif qu'il s'agirait d'un luxe inutile en temps de crise. Qu'une loi votée aussi largement puisse ne recevoir aucune application interroge non seulement les juristes mais tout citoyen.
Le point de bascule
La "suspension' de l'éco taxe - qui ressemble fort à un abandon - représente davantage qu'une nouvelle décision très peu favorable à l'écologie.
Cette décision de report de l'écotaxe représente un point de bascule.
Elle témoigne de ce que l'écologie, non seulement n'est plus vécue par certains responsables politiques comme une solution à la crise économique et sociale du pays mais, plus grave encore, peut désormais être présentée comme un problème. Le point de bascule est là : l'écologie, le développement durable sont un problème, pas une réponse à un problème. En présentant l'écotaxe comme la cause légitime d'un mouvement de contestation lui aussi déclaré assez légitime pour faire l'objet d'une réunion immédiate et très médiatique à Matignon, l'Etat réduit la fiscalité écologique à la cause d'un problème.
Pourtant, la part de la fiscalité verte dans la pression fiscale est presque anecdotique et la plupart des nouvelles mesures envisagées a été abandonnée : le verdissement de la taxe intérieure sur les carburants est reportée à 2016, la fiscalité du diesel est abandonnée, le bonus écologique pour les véhicules moins polluants disparaît etc... Qu'à cela ne tienne, les nouveaux opposants à l'écotaxe l'érigent en symbole du "ras-le-bol fiscal".
Peu importe que le développement durable soit une source d'économies - d'énergie et de matières -et de nouveaux marchés considérables pour les entreprises L'Etat préfère remonter la route de l'histoire à contresens. Plutôt que d'organiser le passage à un nouveau modèle économique, que l'on pourrait qualifier de "circulaire", l'Etat choisit donc de mettre sous perfusion l'ancien. Ainsi, peu importe que le modèle agricole intensif soit à bout de souffle, il tente de le prolonger, soit en simplifiant les conditions de création des porcheries, soit en reportant l'éco taxe.
Une communication en forme de confusion
Sans leur prêter l'importance qu'ils ne peuvent avoir, les sondages semblent démontrer que les personnes interrogées sont partagées entre la satisfaction que soit abandonnée une nouvelle "taxe" dans un contexte de "ras-le-bol fiscal" et le regret que la politique économique du Gouvernement soit en forme de montagnes russes. Pour convaincre, la communication destinée à accompagner la décision de reporter l'écotaxe est donc renforcée : le Gouvernement n'a pas pris une décision "anti écolo" mais a mis un terme à un "scandale d'Etat".
Le Président du Groupe socialiste au Sénat est monté lui-même au créneau pour proposer la mise en place d'une commission d'enquête sur les conditions dans lesquelles l'Etat a sélectionné le projet de la société "Ecomouv".
Problème : la légalité de la "procédure de passation du contrat de partenariat portant sur le financement, la conception, la réalisation, l'entretien, l'exploitation et la maintenance du dispositif nécessaire à la collecte, à la liquidation et au recouvrement de l'éco-taxe poids lourds nationale" a déjà été contrôlée par le Conseil d'Etat. Il est bien sûr possible de commenter mais pas de remettre en cause cette décision de justice. Pour être tout à fait précis et n'étant l'avocat d'aucune des parties de ce dossier, je ne détiens aucune information qui me permette de m'assurer de la légalité ou de l'illégalité du contrat. Dans cette situation, je choisis donc de m'en remettre à la décision de justice rendue.
Au-delà, il n'est pas possible de confondre deux questions distinctes : celle de la légalité de la décision de l'Etat de confier à cette société le soin d'organiser la perception de l'écotaxe et celle de l'opportunité de ce contrat. Soutenir que ce contrat serait "avantageux" pour l'une des parties ne démontre pas que ledit contrat serait irrégulier. Or, ces deux questions sont allègrement mélangées. Entretenir la confusion entre ces deux questions permet toutefois de continuer à critiquer la légalité de ce contrat malgré la décision du Conseil d'Etat. Quant à l'argument entendu ici ou là selon lequel l'Etat n'aurait pas dû confier ce dispositif à une "société privée" ou à une société "italienne", il est si faible que point n'est besoin de s'y attarder.
Ce faisant, je ne cherche nullement à défendre un dispositif dont je ne dispose pas des éléments écrits et dont plusieurs personnes m'ont exposé la complexité. Ma critique porte sur la défense de la décision de report de l'écotaxe. Au demeurant, une autre décision aurait pu être prise il y a plus d'un an : celle de perfectionner ce qui devait l'être éventuellement. Le droit est donc ici utilisé comme outil de communication politique pour justifier une décision qui associe une mesure de fiscalité écologique votée à l'unanimité à un problème.
Heureusement, je ne cesse de rencontrer, des entrepreneurs, des étudiants, des élu(e)s qui ont compris que le développement durable, l'économie circulaire, représentent notre avenir et se battent pour cela.
Arnaud Gossement