Que celui qui n’avait jamais entendu parlé de Gesaffelstein se dénonce ou se taise à jamais. Sombre, menaçante, dark, ultraviolente, noire, pénétrante, ravageuse, sauvage, les adjectifs n’ont jamais manqué pour décrire la techno post Detroit du petit Lyonnais devenu grand parmi les grands. Aleph, son premier album, se veut transgressif. Et forcément, déçoit.
Il faut dire que la pression était grande. Une renommé désormais internationale, quelques EP restés dans les annales de la techno – Rise of Depravity et sa bombe Belgium ; Zone 4 et le mythique Crainte avec son copain The Hacker ; Variations, qui regroupe « seulement » Atmosphere, Glass, et l’extraordinaire A Lost Era ; sans parler du mythique Conspiracy part. II, qui regroupe à lui tout seul les titres qui ont fait Gesaffelstein, Viol et OPR. Désormais au sommet de plusieurs Labels – Bromance et Zone en particulier – le brun ténébreux supportait sur ses frêles épaules le poids d’une attente considérable de la part des aficionados de la techno – pour savoir si, oui ou non, Gesaffelstein est un « vrai » – comme de la part des non initiés (chacun de nous a pu le constater en soirée). Nous tâcherons ici de ne pas répondre à cette problématique, il est encore trop tôt, mais plutôt de nous concentrer sur Aleph sans prendre en considération, par exemple, les accusations de plagiat dont Gesaffelstein a fait l’objet. Il aura au moins eu le mérite, en pompant (ou non) Visonia, un petit protégé de la sphère Dopplereffekt, de faire honneur à son nom : hé oui, il y a quelques années de ça, pour son nom de scène, le Lyonnais a eu l’idée de fusionner Gesamtkunstwerk, le nom d’un album de compilations de Dopplereffekt (1999), et Albert Einstein. Bisous, les haters.
Retour à nos moutons, retour à Aleph. Mon petit Gesa, à vouloir faire semblant de forcer les codes, on se heurte forcément aux pires clichés. Les meilleures sont les plus courtes, ainsi, et Destinations le prouve. Trois minutes et trente-sept secondes d’une techno lourde, on n’en demandait pas plus, mon petit Gesa, vraiment. Ce track est le seul morceau de l’album qui donne envie de se défoncer à l’acide et de parcourir un hangar enfumé au ralenti, entouré de couples qui baisent et de gens tatoués qui vomissent derrière des pylônes rouillés. On ne peut certes pas en dire autant de Out of Line, 2 min 36 d’un truc ressemblant vaguement à un Die Antwoord passé à la machine à laver. Le corollaire fonctionne également : Piece of Future est définitivement longue, trop longue, tellement longue qu’on finit par se croire dans le Grand Bleu entouré de poissons drogués à la Kétamine.
Que dire d’Aleph, le morceau ? Le premier qui fait une comparaison avec Kavinsky et Drive a perdu ? La patte Gesaffelstein, celle qui nous fait rêver et vibrer jusqu’à redevenir des gosses, n’est plus là. Le snare, agressif, celui de Gesa, est certes présent – trop, même. Mais Nightcall, que chacun d’entre vous conspuera « parce que je l’ai trop entendu nan mais attends c’est bon ça va », a au moins pour force de nous prendre hors de nos chambres et de nos visser le cul sur un siège en cuir au volant d’une putain de Ferrari. Avec Aleph, c’est le néant.
A force de traîner avec son mentor Brodinski, on savait ses goûts pour le Hip-Hop bien lourdingue. Hellifornia est la bonne surprise de l’album, mêlant à merveille un beat hip-hop digne de Dr. Dre et une construction purement minimale, sur fond de basse Kaytranadale. Un petit bijou, qui certes rend fou si on l’écoute en boucle, mais qui relève un peu le niveau de Values, sorte de Ronald Jenkees de mauvaise qualité.
Trans se veut un OPR, mais rate la marche. La mayonnaise ne prend pas, et prend plus la tête qu’autre chose. Là où l’artiste avait réussi le (difficile) pari de transformer le bruit en musique, Trans est son côté obscur : du bruit, c’est certain, de la musique, on hésite encore. Et même si chez WTFRU, on n’aime pas beaucoup les stigmatisations, Duel est à placer dans le même sac. Obsession y échappe de peu : c’est un Viol raté (sans mauvais jeu de mots), mais étant donné que Viol est au sommet de l’Everest de la techno, Obsession reste quand même un bon gros Mont Blanc.
Finalement, le génie de Gesa se résume peut-être à ne sortir que des titres ponctuels, posés là au milieu du gouffre de Youtube, sur fond de statues grecques à poil ou d’une bretelle d’autoroute en prise longue et en noir et blanc. Hate or Glory a marqué la fin des pouvoirs magiques de Gesaffelstein. Avant, il n’y avait pas de visages, pas de personnes associés à ces kicks et à ces synthés massacreurs. Dorénavant, il y en a, et franchement, on s’en plaint. Ce qu’on aimait, nous, c’était l’imaginaire, même sombre, qui découlait de chacun de tes sons, Gesa. Allez, sans rancune, va, et même si on sait que ton prochain morceau sera bon, fais-nous plaisir : laisse-nous la mise en scène.
L’album Aleph de Gesaffelstein s’écoute en entier et ici.