Magazine Culture
Gérard de Villiers, 83
ans, vient de mourir. Il avait écrit exactement 200 volumes des aventures internationales, musclées et
érotiques, de Son Altesse sérénissime Malko Linge, plus connu par les initiales
S.A.S. (La vengeance du Kremlin, qui vient de paraître en octobre, était le n° 200 de la série.) Quatre fois par an, il déboulait dans les librairies, surtout dans les
gares et les aéroports. Destination : un coin de la planète en ébullition.
en juin, c’était Kaboul, encore pour une de ces missions que la
C.I.A. ne peut pas accomplir elle-même. Il avait fallu deux volumes pour la
raconter, la faire échouer, mettre Malko en grand danger et l’équilibre de la
région en péril. Sauve-qui-peut à Kaboul, en effet...
Les Américains voient
d’un mauvais œil l’avenir d’un Afghanistan où Hamid Karzai envisage de rester
au pouvoir par l’intermédiaire d’un proche qui serait le prochain président. Ce
n’est pas acceptable : il faut l’éliminer. Et la sale besogne sera pour
Malko, qui part à reculons.
Car Malko possède une
éthique, ce dont les lecteurs ne s’étaient peut-être pas suffisamment rendu compte.
Et cette mission choque son éthique : assassiner un président, quand même…
Mais il faut bien que quelqu’un fasse le sale boulot. Pour apaiser sa
conscience, il ne se fera pas payer cette fois-ci. Les réparations de son
château en Autriche attendront.
De l’Afghanistan, de son
pouvoir corrompu, du rôle des Talibans, du trafic de drogue, le romancier va
tout nous dire, tout nous apprendre. Intronisé en janvier par le New York Times meilleur décodeur des
sacs de nœuds les plus indéchiffrables, bénéficiant depuis ce moment d’une
considération nouvelle, Gérard de Villiers ne peut plus être lu qu’avec
respect. Le respect qu’on éprouve pour l’oracle qui a annoncé, dans plusieurs romans,
des faits apparemment imprévisibles : l’assassinat de Sadate, celui de
Rafiq Hariri, une tentative d’élimination de Bachar al-Assad…
Entre les analyses de la
C.I.A. et les alliances de circonstance, Sauve-qui-peut
à Kaboul ne foisonne pourtant pas de révélations spectaculaires. On
découvrira que les Afghans sont plus retors que les Américains : une
question de culture. Que les Talibans peuvent redevenir des alliés. Que la main
droite d’Obama préfère parfois ne pas savoir ce que sa main gauche a signé. Ou
que les routes ne sont pas sûres aux environs de Kaboul…
Des ingrédients que tout
auteur de thriller qui se respecte utiliserait à peu près de la même manière.
Peut-être d’ailleurs dans une perspective plus cohérente. Ici, les faits et les
phrases s’enchaînent à toute allure, sans souci stylistique. Seule la vitesse
de la narration fait vaguement tenir tout cela ensemble.
Des tentatives d’humour
tombent à plat, chaque fois qu’un ange passe pendant une conversation : il
essaie de garder son sérieux, se voile la face, il s’enfuit, effrayé, il a les
ailes en berne, etc. L’humour involontaire est plus efficace avec, par exemple,
une réflexion de Malko : « Le
monde du renseignement était impitoyable, broyant les individus comme dans une
meule. Il aurait dû le savoir, mais se laissait chaque fois surprendre. »
Au 199e volume de ses aventures ! Ce garçon n’apprend
décidément pas très vite…
Passons sur l’usage
intempestif du verbe « rafaler », dont le seul mérite est d’être
aisément compréhensible, ainsi que sur d’inévitables remarques douteuses (des
Japonaises « hideuses aux jambes
arquées »), pour en venir à la promesse implicite faite dès la
couverture des livres : la présence de scènes sexuelles torrides. Elles
sont surtout mécaniques, jusque dans la description. Malko s’enfonce toujours « jusqu’à la garde », la santé
est excellente, merci pour lui. Eros et Thanatos font bon ménage, c’est bien
connu, l’auteur le rappelle au cas où nous l’aurions oublié.
Dans les dernières lignes, Malko Linge se dit
qu’il va regretter l’Afghanistan. Pas nous.