La théorie fallacieuse de la pénibilité du travail
Publié Par Contrepoints, le 1 novembre 2013 dans Travail & emploiNous ne sommes pas sur terre pour vivre sur le compte d’autrui. Personne ne me doit une vie et des standards élevés. Ce n’est pas la fonction qui t’honore mais la manière dont tu la remplis.
Par Thibaut André [*], depuis la Belgique.
D’abord, revenons au concept de droit qui, sous les coups de butoir des positivistes, a été dévoyé, maltraité, manipulé et transformé pour justifier l’intervention de l’État et de son monopole de la violence dans nos vies. Un droit est caractérisé par l’exercice naturel d’une liberté (ex. : le droit de respirer, d’exprimer son opinion, de ne pas être d’accord, de se déplacer…) tant que celle-ci ne nuit pas aux droits d’autrui (principe de non-agression, de non-entrave aux libertés et droits d’autrui).
Dans le monde du travail, cela se traduit pour quiconque par le droit de chercher un job ou d’entreprendre dans n’importe quel domaine pour lequel vous serez rémunéré à la hauteur de la valeur concédée par le preneur de vos biens ou services, dans un contexte de libre-marché et de libre fixation des prix, selon la loi de l’offre et de la demande. N’en déplaise aux politiques, fonctionnaires et autres bêtes étatiques, leur « travail » repose sur une agression vis-à-vis des acteurs privés qui n’ont pas librement consenti à leurs postes, rémunérations et avantages sociaux. Si tel est le cas, je demande que l’on me produise le contrat d’embauche signé pour chaque politique et fonctionnaire (y compris les fameux emplois subsidiés dans les ASBL et autres organes parastataux) sur lequel tous les habitants du Royaume auront apposé leur signature, et ce individuellement.
Au passage, le raisonnement est le même avec ces grandes entreprises, lobbies et corporations de toutes sortes qui obtiennent des privilèges de l’État afin de se partager le marché après avoir évincé la concurrence. Il y a une violence faite à l’individu via l’utilisation du bras armé de l’État et de ses lois abusives. C’est un rapport non consenti et donc une violation du droit naturel. La résultante est une charge accrue pour le consommateur forcé de payer des prix plus élevés. Il se peut aussi que ce dernier n’aura dès lors pas les moyens de payer de tels prix, le privant tout simplement de ces biens et services. Le « salaire » via le monopole de l’État est une rente non consentie par une large frange de la population qui en paie le prix, tantôt en monnaie sonnante et trébuchante, tantôt sous la forme de privations ou pénuries.
J’ai le droit de chercher du travail. Personne ne peut m’en empêcher. Je n’ai pas le droit de forcer autrui à me verser un revenu via le monopole de la violence de l’État. Personne n’a l’obligation de me donner un job car, dans un tel cas, il ne s’agirait pas ici du libre exercice d’un droit et donc d’une liberté individuelle, mais de l’octroi d’un privilège, créant dès lors une caste de personnes mieux loties. Je ne suis plus dans une logique où mes clients consentent à me verser un revenu qui viendra constituer mon salaire, charges déduites, mais dans une logique d’agression via la confiscation par la voie fiscale et/ou législative d’une partie du revenu de l’un pour donner à l’autre privilégié. Il y a bel et bien une violation des droits naturels de l’individu dépouillé d’une partie de son revenu pour venir enrichir celui qui aura obtenu gain de cause. Cette violation est matérialisée par des prébendes et privilèges. Même dans le libre marché, je ne peux forcer autrui à me payer plus que le prix de l’utilité que ma contrepartie est prête à m’accorder pour le bien ou service que je mets en vente. Chercher un travail et offrir ses biens et services dans le cadre du libre-marché dans une approche mutuellement volontaire est parfaitement en harmonie avec le droit naturel. Revendiquer le « droit » au travail en obtenant un privilège d’État via la création d’une rente requalifiée en salaire est une violation pure et simple du droit naturel.
Cette clarification étant maintenant faite, penchons-nous un peu sur la question de la pension. Sa définition est très simple : il s’agit en fait d’une partie du revenu que l’on diffère dans le temps afin de s’assurer un revenu futur une fois la retraite arrivée. Je cotise aujourd’hui à échéances régulières (tous les mois par exemple) afin de percevoir un pécule pour mes vieux jours. En assurance, il s’agit d’une rente viagère qui s’éteint au décès de l’assuré bénéficiaire. À noter que le principe de la rente viagère en assurance repose sur la capitalisation. Les sommes que je verse tous les mois sont capitalisées et portent donc intérêts jusqu’à la date de la retraite où l’assureur passe du statut de créancier à celui de débiteur. Il paie la rente selon les termes du contrat passé avec le désormais retraité. Les premiers assureurs étaient en fait des caisses de secours mutuel apparues en Occident dès le moyen-âge et dont l’essor alla de pair avec la révolution industrielle dès la 2e moitié du 18e siècle. Cet ordre basé sur la responsabilité individuelle, la prévoyance et la libre contractualisation a été perturbé par l’apparition de la pension par répartition sous Bismarck au 19e siècle en Allemagne. Son principe repose sur le modèle suivant : les actifs cotisent via le paiement d’une rente aux non-actifs, c’est-à-dire les pensionnés. On assista donc progressivement à une éviction du système privé par capitalisation au profit du modèle étatique par répartition. C’est Hitler qui généralisera le monopole du système par répartition qui sera vite repris par le régime de Vichy. La France et la Belgique ne l’ont pas abandonné depuis. Les États européens, à des rares expressions près en raison de réformes (ex : la Suède), obéissent à ce modèle caractéristique de l’État-providence.
Le système de pension par répartition repose sur l’équation simplissime suivante : nombre d’actifs * cotisation moyenne = nombre de retraités * retraite moyenne. L’État se place donc comme la contrepartie unique vis-à-vis des cotisants et des bénéficiaires de cette rente qui n’ont plus vraiment à savoir comment, où et à quel prix tirer le meilleur rendement de leurs cotisations, ces dernières sont d’ailleurs passées du statut libre au statut forcé. Chaque allocataire potentiel n’est plus invité à l’exercice de ses propres droits naturels selon sa responsabilité individuelle et dans le respect des droits naturels d’autrui. Bien au contraire, chaque allocataire présent ou à venir se transforme en un lobbyiste ou mercenaire qui n’aura d’autres buts, à l’instar des nobles et aristocrates de l’ère précapitaliste, de quémander et obtenir prébendes et privilèges dus à son rang et à sa condition (du moins le pense-t-il avec conviction). On voit ainsi fleurir une multitude de régimes de pension d’État aussi complexes qu’inégaux et injustes, faisant la part belle aux politiques et à leur clientèle électorale, à savoir les fonctionnaires. C’est logique car ils ne résultent pas de la libre négociation entre les acteurs économiques. Ils n’émanent pas de la libre concurrence entre les parties, de la contractualisation volontaire, de la coopération sociale et du principe de non-agression. On comprend dès lors très vite comment ce système de pensions géré par le monopole de l’État dérive en une affreuse machine aux bureaucraties pléthoriques et procédures complexes en plus de provoquer lentement mais sûrement la désintégration sociale entre les individus de cette même société.
La théorie fallacieuse de la pénibilité du travail est la conséquente directe du système étatique de pension par répartition où l’on préfère dépouiller son voisin plutôt que le servir. Plus grave encore, ce système de transfert des charges et rentes entre les travailleurs et les pensionnés est source de conflits intergénérationnels, d’autant plus exacerbés par l’inversion de la pyramide des âges, l’augmentation du chômage, la congestion du marché du travail en raison d’un code législatif complexe et surabondant et une fiscalité spoliatrice. Ceci nuit évidemment au développement du secteur privé au détriment du secteur public, ce qui contribue à accentuer la pression sur ceux qui produisent au profit de ceux qui vivent de la production d’autrui (avec en plus la sécurité de l’emploi pour ces derniers). L’effet d’éviction tend à accroître les exigences en termes de productivité vis-à-vis des salariés privés et indépendants qui se retrouvent dans une situation d’asservissement et travaillent dans des conditions de plus en plus pénibles à défaut d’une répartition équilibrée de la charge de production de bien et services réels. Il y a là tous les ingrédients pour un savant cocktail menant à terme à de graves conflits sociaux et à la révolution lors de l’effondrement du système qui n’est rien d’autre qu’un schéma de Ponzi.
Comme l’énonçait très justement l’excellent Frédéric Bastiat, l’État est cette grande fiction à travers laquelle tout le monde veut vivre aux dépens des autres. Il n’est donc pas étonnant que, dans ses conditions, un concept comme la pénibilité du travail est apparu sur toutes les lèvres avec, selon les opportunités offertes :
- la diminution de l’âge de la pension,
- l’introduction du concept de prépension,
- la réduction des cotisations des uns pour augmenter celles des autres, voire même l’absence (ex. : pour les fonctionnaires communaux et provinciaux, la quote-part employeur n’étant pas versée par les communes et provinces),
- la garantie de prestations plus élevées pour certains,
- la mise en place conjointement d’un système par capitalisation pour les hautes castes (ministres, députés, sénateurs…).
Sans nier le caractère pénible de certains métiers tant au plan physique qu’au plan moral, on comprend très vite la teneur et l‘importance de cet argument fallacieux pour augmenter l’intrusion de l’État dans la vie des personnes jusqu’à régenter leur durée de carrière. Pour rappel, au-delà de 65 ans, les conditions d’exercice d’une activité rémunérée sont très limitatives même si les choses s’améliorent devant la faillite du système public.
Mais entrons maintenant dans le concept de pénibilité du travail. Porter des moellons tous les jours pendant huit heures est certainement éprouvant pour le corps. Néanmoins, de témoignage d’entrepreneurs dans la construction, ces basses mais néanmoins nobles tâches sont réservées aux jeunes manœuvres amenés à tester leur robustesse et leur motivation, les plus vieux et plus expérimentés étant dédiés à des tâches plus génératrices de valeur ajoutée compte tenu du coût généralement plus élevé de leur propre travail. D’autant plus que des outils de portage et autres élévateurs existent pour alléger le travail.
Un job chez McDo peut être perçu comme rébarbatif, voire humiliant, surtout s’il est proposé à une personne diplômée. Il n’y a que des intellectuels à la recherche de la rente étatique (s’ils ne l’ont pas déjà trouvée…), en mal de reconnaissance publique et méprisant le libre marché (car ils n’y seront pas rémunérés à hauteur de leur prétendue grandeur) pour développer une telle image du marché du travail. Trouver un emploi, convaincre un employeur de vous rémunérer pour vos services, gagner ses premiers deniers, satisfaire la clientèle, affiner votre méthode de travail, gagner de l’expérience, apprendre à mordre sur sa chique, voilà ce que les premiers jobs vous enseignent ! Et si je dois me maintenir dans de tels emplois, je le fais sur base volontaire. Personne ne m’oblige à continuer. J’ajouterai aussi que les contraintes familiales et autres charges découlant d’une situation privée ne sont pas la responsabilité de l’employeur. Le salaire raboté par l’État et ses ponctions abusives ne relèvent pas de la responsabilité de l’employeur également (près de 250 EUR sont décaissés par l’employeur pour 100 EUR net en moyenne dans la poche du salarié belge). Nous ne sommes pas sur terre pour vivre sur le compte d’autrui (sauf si c’est une relation librement consentie). Personne ne me doit une vie et des standards élevés. Également, ce n’est pas la fonction qui t’honore mais la manière dont tu la remplis.
Jusqu’après la moitié du 20e siècle en Belgique, l’extraction du charbon de manière manuelle était pénible et rébarbative en plus de se faire dans des conditions de travail déplorables. Les risques de blessures ou d’accidents mortels étaient élevés. On frémit d’horreur de nos jours à l’idée que femmes et enfants descendaient dans la mine et c’est tout à fait normal selon notre échelle de valeurs actuelle. Mais comment se fait-il que, de nos jours, même dans une Wallonie socio-économiquement très mal en point, plus aucun enfant, plus aucune femme ne doivent descendre à la mine ? Certes, la fermeture économique des mines peut être invoquée mais alors la région aurait dû être désertée. Or, il n’en en rien. La meilleure explication réside dans le concept de destruction créatrice de Joseph Schumpeter. Des industries disparaissent ou se restructurent en profondeur tandis que d’autres apparaissent sur fond d’innovation et de recherche et développement. Mais ce processus n’est possible qu’à travers l’accumulation du capital et l’augmentation de l’investissement en capital par personne dans des nouveaux secteurs et créneaux porteurs. Il faut du capital pour alimenter la dynamique créatrice et productive, ce qui implique de payer les salaires idoines au fur et à mesure que les profits sont générés. Il faut dire que, vu le code du travail, la fiscalité spoliatrice, le coût du travail, le terrorisme syndical et les conditions d’accès au permis d’exploitation, ce processus a été largement freiné. Nous vivrions plutôt sur nos chers acquis en ce moment, ce qui nous amène à consommer le capital accumulé et à nous rendre la vie pénible à nouveau dans un futur proche. Que penser de tous ces freins à l’innovation non par manque de capitaux (étrangers, notamment) devant le principe de précaution cher aux écologistes de tout bord ? Ce n’est rien d’autre qu’un frein à la disparition de la pénibilité du travail. Quasiment plus personne ne meurt dans les mines de charbon exploitées en Europe de nos jours, très souvent à ciel ouvert d’ailleurs. Seuls ceux qui ont décidé de continuer à les exploiter à l’ancienne façon Germinal (cf. le roman d’Émile Zola) – comme c’est le cas dans l’ouest de la Chine où en moyenne 3 000 mineurs meurent tous les ans – sont un exemple criant de pénibilité du travail faute d’investissements et de liberté d’entreprendre. Leur travail est pénible et dangereux mais c’est justement le manque de capital et d’investissement dans des outils modernes qui est à blâmer, en plus d’une absence de liberté d’entreprendre et donc d’innover.
Et de grâce, épargnez-nous le couplet naturaliste larmoyant du paradis sur terre et de la corne d’abondance où nous vivions tous en paix et en harmonie en tenue d’Eve dans un passé lointain. Ce cas de figure n’a jamais existé (sauf peut-être pour ceux qui croient à la Bible mais cela ne constitue pas un raisonnement et une démonstration scientifiques). À l’aube de l’ère industrielle, une femme sur cinq mourait en couche et le taux de mortalité infantile était très élevé. Les conditions de vie – ou plutôt de survie – étaient particulièrement pénibles (le concept de pénibilité prend ici tout son sens). Ceux qui nous peignent le tableau de la brave mère de famille préparant à manger pour les enfants alors que monsieur travaillait vaillamment mais sainement aux champs sont des affabulateurs et des révisionnistes de l’histoire. Les mères n’avaient tout simplement pas de quoi cuisiner et, dans la plupart des cas, ne disposaient même pas d’une cuisine et des ustensiles ad hoc. En 1760, la Grande-Bretagne comptait environ 7 millions d’habitants pour 1 million de gens dans un état de misère. Ces personnes défavorisées n’avaient que l’industrie de leur bras et leur dur labeur à offrir pour sortir de cet état. Ce qui fut fait en grande partie puisque, dès 1830, la Grande-Bretagne comptait près de 15 millions d’habitants avec des conditions de vie en nette amélioration pour les travailleurs. Les progrès de l’industrie du textile, de l’agriculture et du commerce d’import/export ont engendré des bénéfices qui ont permis l’accumulation de capitaux. Capitalistes et entrepreneurs se faisant la compétition pour attirer les meilleures travailleurs, ceci a tiré les salaires à la hausse, notamment sous la pression haussière provoquée par l‘augmentation du capital investi par personne. Même les entrepreneurs et capitalistes non présents dans les industries les plus florissantes ont dû concéder des hausses salariales afin de retenir la main-d’œuvre nécessaire dans leurs secteurs respectifs. Il y avait une plus grande quantité de biens produits dont les prix allaient decrescendo au fur et à mesure que leur offre augmentait pour satisfaire entre autres la demande des travailleurs.
De plus, nous étions passés d’une ère de castes basées sur des privilèges de rang dont il était quasiment impossible de se défaire à une ère industrielle et capitaliste où il était maintenant possible d’améliorer ses conditions de vie en servant ses congénères sur base volontaire sans avoir à les tuer et les dépouiller. Il n’est d’ailleurs pas étonnant de lire les témoignages de la plupart des nobles et conservateurs de l’époque qui abhorraient le système capitaliste de laissez-faire axé sur la propriété privée des moyens de production, y voyant là la perte de leurs privilèges d’État sur lesquels ils avaient bâti et maintenu leurs fortunes et patrimoines. Désormais, la situation pouvait basculer rapidement si vous étiez incapables de gérer votre capital ou d’en confier la gestion à des personnes capables de détecter les besoins des consommateurs et d’y satisfaire à moindre coût. Le concept de servitude était remplacé par celui du libre-marché, par celui des relations commerciales librement consenties.
Si l’on remonte plus loin encore dans le temps, hommes, femmes et enfants évoluaient dans un environnement encore plus hostile, devant affronter les saisons, la faune cruelle et la flore peu encline à leur assurer le minimum de subsistance pour une espérance de vie dérisoire. Le voilà le paradis sur terre auquel nos ancêtres étaient confrontés quand ils n’étaient pas pillés et taillés en pièces par quelques barbares venus du grand nord ou des soudards issus de la principauté voisine.
L’économie de libre marché, la propriété privée consacrée par des institutions immuables et la parfaite souplesse du marché du travail sont les leviers nécessaires pour accéder à des standards de vie plus élevés, y compris des méthodes de production moins pénibles pour les individus. Réclamer de l’État d’intervenir dans l’économie à tout-va, de provoquer des distorsions dans le système de formation des prix, de freiner voire stopper l’innovation, d’empêcher l’accumulation du capital, d’entretenir un système de politiques, fonctionnaires et transferts sociaux croissants… aura pour résultat de nous rendre la vie bien pénible. Surtout celle de nos enfants et de nos petits-enfants.
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[*] Thibaut André est l’auteur du site Contrario.
- « La plupart des gens qui ont lu le Manifeste du Parti Communiste ne réalisent probablement pas qu’il a été écrit par deux jeunes hommes qui n’avaient jamais travaillé un jour de leurs vies, et qui néanmoins parlaient hardiment au nom des « travailleurs ». » – Thomas Sowell. ↩