Cher François Hollande, cher Président de la République, chanoine du Latran, co-prince d’Andorre et autres fonctions aussi ronflantes qu’inutiles,
Si aujourd’hui je m’adresse directement à vous qui avez surement d’autres contribuables à fouetter, c’est que l’heure est grave. Bien souvent dans les annales de votre estimée profession, l’on a vu le condamné à mort lever les yeux vers le firmament de la République et tenter de capter un rayon de prestance du magistrat suprême dans l’espoir d’obtenir une grace de dernière minute et de derrière les fagots. Maintes fois l’on a vu le croyant désespéré toquer en pensée un étage encore plus haut, pour demander à son saint patron ou au chef d’icelui une faveur, un signe, un augure favorable pour ne pas avoir envie de crever tout de suite dans ce monde de cons. Monde de cons, au passage, auquel vous et le président du Paradis n’avez pas peu contribué.
Fort heureusement, la peine de mort, comme Dieu, n’existe plus dans l’enceinte de nos frontières bénies par le sang des imbéciles que vous et vos prédecesseurs avez fait verser pour de sombres histoires de cadastre. Et ne niez pas, vous savez aussi bien que moi que le troupeau que vous menez à l’abîme avec presque autant de talent que Nicolas Sarkozy est en sa grande majorité composé de cons. La preuve, vous battez des records d’impopularité pendant que Manuel Valls trimballe fièrement sa trogne d’hidalgo constipé sous les vivats de la foule toujours en manque de matraque (et pendant que Cyril Hanouna est le présentateur préféré des Français). Excusez-moi de vous le dire aussi abruptement: quoique le pouvoir salit tout ce(ux) qu’il touche, vous ne l’avez pas volé.
Revenons-en au sujet. Contrairement aux deux condamnés cités plus haut, je n’ai pas de casier judiciaire et je ne crois ni en Dieu ni aux programmes électoraux. Autant dire que comme une bonne partie de nos concitoyens je n’attends rien de vous. Mais hélas, comme le sentencié, comme le calotin, et comme le Français et la Française qui n’ont rien trouvé de mieux que de maintenir le niveau élévé de la natalité dans ce pays débile pour tromper leur ennui, je suis au bord du désespoir.
Je le sens, je m’étiole, je me fâne, je décline, je m’amoindris, je traîne. Je funambule maladroitement sur un fil de soie, chancelant et tremblant de tout mon être, au-dessus d’un précipice, et dans le fond du ravin je vois l’amicale des anti-fumeurs sobres fans d’Indochine qui sont prêts à me recevoir pour me torturer jusqu’à la fin des temps. Je ne m’intéresse plus au boson de Higgs et à l’imparfait du subjonctif, je m’en contrefous des jolies couleurs des feuilles qui tombent des arbres et qui transforment le pavé terne en chatoyant tapis rougeâtre, je n’ai plus envie d’emmerder les automobilistes en traversant la route le plus lentement possible, je toise à peine la courageuse et gironde passante en jupette malgré le froid glacial, je commence à trouver les enfants attendrissants, j’ai même dit bonjour à un agent de police pas plus tard que cet après-midi.
Comme vous l’aurez déduit s’il reste un peu d’empathie au fond de votre petit coeur de loufiat des banquiers, je suis anéanti. Ce matin, alors que je m’engageais courageusement dans un énième journée de monotonie salariée, une manchette sur un quotidien régional encore plus quelconque qu’une reculade de ministre face à des ploucs en colère retint mon attention. D’ici quelques années, le monde pourrait connaître une pénurie de vin. Les syllabes retombèrent lentement dans les eaux saumâtres de mon affliction, en faisant des « plocs » sonores et lancinants. Pé-nu-rie-de-vin. La base de mon alimentation va dis-pa-raî-tre. Ploc ploc ploc ploc ploc. Ploc ploc ploc ploc.
Les bras et les oreilles m’en tombèrent. Si Dieu existait, même un fils de pute sadique comme lui n’aurait pu imaginer un châtiment aussi cruel. Il n’y a que le capitalisme et son marché soi-disant régulateur pour inventer des saloperies pareilles, avec la complicité des arsouilles chinois et russes. Est-ce que je viens vous vider vos stocks de vodka, moi, bordel de crottin de zèbre? Oui, d’accord, mais la pénurie de vodka n’est pas à l’ordre du jour, pour autant que je sache!
Pénurie de vin. Alors, ça ne suffit pas de s’ennuyer à l’école, au turbin, au chômage, à la retraite, en compagnie des plus moyen(ne)s de ses congénères? Il va en plus falloir se cogner tous ces braves gens et toutes ces prisons, sobre comme un chameau; il va falloir boire du raisin frais même pas millésimé, se rabattre sur du vulgaire houblon, de la tourbe idiote, ou pis encore de l’eau? Et comment pourra t-on départager les gens de goût sans référence à un Clos, à un Château, à une appelation contrôlée? Qu’est-ce qui restera de la France quand le dernier bourgeois aura extrait le bouchon de la dernière bouteille (le plus beau bruit de la langue française), aura hydraté son gosier grossier du précieux nectar avant de s’enfoncer mollement dans son fauteuil ou dans sa maîtresse, ivre comme un cochon, vulgaire comme un président à talonnettes, fier et repu et baignant dans son gras et insensible à tout ce qui est beau en ce bas-monde?
Et Dionysos, tu y as pensé à Dionysos (ou Bacchus, je ne voudrais pas t’attirer des emmerdes avec mamie Merkel en te causant d’un Grec)? Tu crois qu’il aura l’air malin, le maître des mystères au milieu de ses ménades furieuses avec une cannette de Kro à la main?
Je vais te dire un truc, François. Oui, je te tutoie, de toute façon plus personne ne te respecte dans ce foutu pays, et même si je t’aime bien, j’en ai rien à foutre des civilités d’usage et du français châtié vu que la fin du monde est proche. Je sais bien que tu n’y peux rien, et que même si tu pouvais tu ne ferais rien. Mais cet après-midi je suis allé faire des courses. Et je te promets, c’est pas des conneries: je me suis arrêté au rayon du vin, et j’ai entendu les boutanches qui m’appelaient, qui faisaient « moi, moi, moi », comme les petits chiens aux grands yeux tristes à la SPA. Elles sont pas bêtes, elles se doutent de quelque chose. Et ben j’étais à deux doigts de verser ma larmichette.
J’ai pris une bouteille de porto, sans regarder derrière moi, et je suis parti.