Une affaire d’État par Pierre Tartakowsky, Président de la Ligue des droits de l’Homme
Pourquoi la France s’est-elle, en quelques jours, enflammée et divisée autour du cas d'une jeune Kosovare, Léonarda, plutôt qu'autour de celui d'un jeune lycéen d'origine arménienne, Khatchick ?
Peut-être en écho aux insupportables sorties de Manuel Valls.
Peut-être y a-t-elle vu l’occasion d’exprimer une mauvaise conscience collective. Beaucoup de "peut-être"…Ce qui est certain, en revanche, c’est que l’affaire Léonarda a tourné à l’affaire d’État. Lequel en sort en piteux état. Et cette situation ne risque guère de changer tant est absurde une politique de l’immigration marquée par les expulsions. Si le gouvernement pense avoir jugulé l’opposition à celles-ci, singulièrement de la part des lycéens et des étudiants, l’espoir est vain.
Comme souvent dans ces cas-là, c’est le rapport à l’école qui fait « tilt ». La jeune Kosovare, installée en France de longue date est scolarisée ; et c’est dans un cadre scolaire qu’elle est interpellée et ramenée à ses parents à destination du Kosovo.
En France, on éprouve encore un grand respect pour l’école de la République, vécue comme un sanctuaire légitimé par le droit fondamental à l’éducation ; l’interpellation met en lumière le caractère fragile – et quelque peu artificiel de cette sanctuarisation. L’opinion de proximité, parents, enseignants, s’émeut.
Ainsi commence l’incendie : autour d’une figure jeune et féminine de l’étranger en voie d’être intégré. Ce qui déclenche presque immédiatement un contre-feu autour de la figure du père, présenté comme l’archétype de l’indésirable : brutal, alcoolique, parasite. Déjà s’esquisse un schéma de préférence ; elle, oui, mais alors pas les autres, surtout s’ils ressemblent à son père.
Reste que l’émotion continue de grandir ; les médias ne lâchent pas l’affaire, qui devient d’État au moment où le Premier ministre s’en mêle. Il en appelle à une commission d’enquête pour que celle-ci examine si la loi a été correctement appliquée. A-t-il en tête de trouver une faille administrative qui servirait d’alibi à une mesure humanitaire, un geste d’exception ? Est-ce une simple façon de gagner du temps ? C’est en tout cas déjà un aveu de malaise ; il n’est pas si fréquent qu’un chef de gouvernement se saisisse d’un cas isolé…
Mais la loi a évidemment été bien appliquée ; on peut bien appliquer une loi même si, comme c’est le cas, elle est mauvaise. Le gouvernement de gauche, dès qu’arrivé au pouvoir aurait dû désavouer cet héritage du Sarkozysme et le combattre. Après en avoir accepté la gérance, le voilà pris au piège de la formule « autorité » et « humanité ». Première victime collatérale : le Premier ministre. Les remous se poursuivant, un conseiller – sans doute en communication – suggère de mobiliser Valérie Trieweiller, voix off du président, laquelle lâche que l’école ne doit pas exclure, principe noble et qui ne passe pas inaperçu, mais ne règle pas le fond du débat : faut-il ou non faire revenir la famille de Léonarda ? Question piège à laquelle le président de la République va finalement choisir de répondre, ce qui, là encore, signale un état d’exception. On pourrait sans doute écrire des tomes de commentaires juridiques sur le contenu de la réponse présidentielle. Souligner qu’elle oppose le droit à l’éducation à celui de vivre en famille, se demander s’il est bien raisonnable que ce soit le président de la République, en personne, qui plie ainsi les lois et règlements au gré de ses intuitions et sans s’interroger sur le fond, s’il est digne qu’un chef d’État interfère avec la vie d’une famille…
Mais si l’on veut s’en tenir à l’essentiel, on peut se dire qu’une loi qui, en aussi peu de temps, divise le pays, le gouvernement, la majorité présidentielle, le parti majoritaire de l’exécutif, fait descendre la jeunesse scolarisée dans la rue est une véritable loi de désordre public. Et que le bon sens voudrait qu’elle soit changée, de la même façon qu’il exige le retour dans son école de Léonarda avec sa famille autour d’elle.
Loin d’en souffrir de quelque façon que ce soit la France en sortirait grandie. Ce qui, pour l’heure, n’est pas le cas de son gouvernement.
Pierre Tartakowsky
Président de la Ligue des droits de l’Homme