31 octobre 2013 | Par Martine Orange Sur Médiapart
Un contrat léonin souscrit au détriment des intérêts de l’État, des soupçons de favoritisme et de corruption, la menace d'un montant faramineux de 800 millions d'euros à verser en cas d'annulation, une taxe qui ne répond pas aux objectifs de fiscalité écologique... La mise en place de l’écotaxe en France tourne au scandale d’État.
Qui a signé le contrat de l’écotaxe ? Au lendemain de l’annonce de la suspension de la taxe sur les transports de poids lourds annoncés par Jean-Marc Ayrault, la pression politique monte au fur et à mesure que le gouvernement révèle les termes du contrat de partenariat public-privé dans lequel il se retrouve piégé. L’État devrait verser 800 millions d’euros de dédit à la société privée Ecomouv, chargée de la mise en place de cette taxe, si jamais il revenait sur sa décision de l’implanter dans les conditions arrêtées par le contrat.
800 millions d’euros ! La somme a sidéré l’ensemble des Français. « Il n’y a pas un scandale de l’ écotaxe, il y a un scandale Ecomouv », a dénoncé Joël Giraud, député radical de gauche lors de la séance des questions d’actualité. Le sénateur PS François Rebsamen demande une commission d’enquête parlementaire pour mettre au clair les conditions d'attribution de ce partenariat public-privé. Il avoue avoir des « doutes sur la création de cette société censée collecter l’écotaxe ».
Jusqu’alors déterminée à utiliser sur tous les tons politiques le thème du ras-le-bol fiscal, prête à dauber sur le énième recul du gouvernement, la droite se tient silencieuse. C’est elle qui a imaginé, porté, choisi les modalités de la mise en œuvre de l’écotaxe, accepté les termes de la société Ecomouv. Même si le contrat a été officiellement signé le 20 octobre 2011 par le directeur des infrastructures, Dominique Bursaux, la signature a été précédée d’un accord écrit de Nathalie Kosciusko-Morizet, alors ministre de l’environnement, Valérie Pécresse, ministre du budget, François Baroin, ministre de l’économie et des finances.
Mais, brusquement, les uns et les autres se dégagent de toute responsabilité. Tout semble s’être passé ailleurs, sans eux. « Nathalie Kosciusko-Morizet a bien signé. Mais elle ne s’en est pas occupée. Tout était déjà bouclé », assure sa porte-parole, éludant la question de savoir si elle aurait pu remettre en cause le projet. « Moi, je n’ai rien signé. Le seul texte que j’ai approuvé est le décret pour l’application de l’écotaxe, le 6 mai 2012 (le jour même du second tour de l’élection présidentielle - ndlr) », semble presque se féliciter Thierry Mariani, alors ministre des transports et normalement chargé de la gestion du dossier. Lui aussi dit qu’il n’avait aucun pouvoir de modifier les choses, « tout avait été arrêté avant ».
Tous les regards se tournent vers Jean-Louis Borloo, qui a occupé auparavant le poste de ministre de l’environnement. C’est lui qui a lancé l’écotaxe, seul résultat tangible du Grenelle de l’environnement. Très bavard au lendemain de la révolte bretonne, critiquant la mauvaise gestion gouvernementale, l’ancien ministre de l’environnement se tait désormais. Il n’a pas retourné nos appels. Quant à Dominique Bussereau, ministre des transports qui a supervisé lui aussi le lancement du projet, il a disparu des écrans radars.
Le jeu de défausse des responsables de droite traduit leur inquiétude. Les uns et les autres flairent le danger. Tout est en place pour un scandale d’État. Car il n’y a pas que les 800 millions d’euros de dédit qui sont hors norme. Des choix du contrat aux conditions d’implantation en passant par la sélection de la société, tout a été fait dans des conditions extravagantes, au détriment de l’État. Sous couvert d’écologie, le gouvernement de Nicolas Sarkozy et l’administration ont accepté des mesures exorbitantes du droit commun, allant jusqu’à revenir sur le principe républicain que seul l’État perçoit l’impôt. Chronique d’un naufrage.
Dans l’opacité du PPP
Cela n’a jamais fait l’objet d’un débat. D’emblée, il était évident pour Jean-Louis Borloo que la mise en place de l’écotaxe se ferait dans le cadre d’un partenariat public-privé. « Il y a un consensus dans la haute fonction publique sur ces contrats. Elle ne jure que par eux, avec toujours les mêmes arguments. D’abord, le privé est toujours mieux et sait toujours mieux faire. Et maintenant, l’État est ruiné. Il ne peut plus s’endetter pour mener les projets par lui-même. Désormais, tout passe par les PPP. Cela a coûté dix fois plus cher, comme l’a démontré la Cour des comptes, engagé la Nation et les finances publiques pour des décennies, et on continue. Depuis dix ans, on est ainsi en train de découper tranquillement tous les biens publics pour permettre à des privés de se constituer des rentes à vie », explique un ancien trésorier payeur général.
Dans le cadre de l’écotaxe, un autre argument est ajouté : celui de la technicité. Il faut implanter des portiques de détection, diffuser des équipements embarqués à bord des camions pour permettre de les identifier, gérer les données, percevoir la taxe. Tout cela demande des équipements, des hommes, des logiciels, des traitements de données. Qui mieux que le privé peut gérer une telle complexité ? s’interroge le ministre de l’écologie, qui pas un instant n’imagine faire appel à des prestataires de services au nom de l’État. Toute la charge doit être déléguée au privé.
Il y a bien un problème, malgré tout. C’est la perception de l’impôt. Depuis la Révolution, l’impôt ne peut être perçu que par l’État. Mais si le privé n’est pas assuré de mettre la main sur les recettes, jamais il n’acceptera de participer au projet. Qu’à cela ne tienne, on habillera le procédé d’un nouveau terme en novlangue : on parlera « d’externalisation de la collecte de l’impôt ». Une grande première qui sera confirmée dans les articles 269 à 283 quater du Code des douanes. Jamais l’État n’a confié au privé la perception des impôts. « C’est le grand retour des fermiers généraux », dénonce Élie Lambert, responsable de Solidaires douanes, qui redoute le précédent.
Très tôt, le syndicat s’est élevé contre les conditions obscures et léonines de ce partenariat public-privé en décortiquant avec précision tous les enjeux de ce contrat, mais sans rencontrer jusqu’à maintenant beaucoup d’audience (lire ici son analyse). « Non seulement, ce contrat tord tous les principes républicains. Mais il le fait dans des conditions désastreuses pour l’État. En exigeant 240 millions d’euros par an pour une recette estimée à 1,2 milliard d’euros, le privé a un taux de recouvrement de plus de 20 %, alors que le coût de la collecte par les services de l’État, estimé par l’OCDE, est d’à peine 1 %, un des meilleurs du monde », poursuit-il.
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