Bâtiment du 104, la nuit. Je suis seule. J'aime bien aller au théâtre ou au cinéma seule. Ce soir là, je traîne ma mélancolie. Un homme vient me voir. Distribution de prospectus sur la pièce que nous allons voir. La Barque le soir de Tarjei Vesaas par Claude Régy avec Yann Boudaud, Olivier Bonnefoy et Nichan Moumdijan. L'homme m'explique aussi que l'entrée en salle ce fera ensemble. Pas de problème, je n'ai personne à qui parler. Attente. Puis on rentre. On passe dans un couloir éclairé aux néons roses. C'est agréable ce silence demandé. Il y a un côté sacré, comme dans une église. Une sorte de respect. Qui favorise l'écoute. La lumière tombe dans la salle. Doucement, très doucement elle arrive sur le plateau. La silhouette d'un homme apparaît. Avec un jeu de lumière, il semble qu'il est sous l'eau. A ses pieds, une estrade blanche qui happe les couleurs qu'on lui donne, derrière un taffetas qui évoque la végétation d'une forêt, l'intérieure d'une caverne ou les profondeurs d'une rivière.
Photo thtr.fr
L'homme parle lentement. Il détache les mots d'une façon étrange. Comme s'il avait du mal à parlé. Chaque mot est un geste difficile à chorégraphié. De même que sont corps est lourd, lent et léger comme sous l'eau. C'est un demi-mourant. Les larmes coulent sur mes joues. Je suis une sensible.
Toute la pièce, l'homme parle de sa dérive, dans la rivière. Il coule. Que ce soit dans l'espace (Gravity) ou dans une rivière, la dépression est multiforme. Lâchera-t-il la branche sur laquelle il est? Aura-t-il la force de remonter à la surface? Je l'avoue, suivre le lent flot de voix de Yann Boudaud est parfois difficile. L'image est belle, elle dure quasiment toute la pièce. Je repense à mes cours. Travailler cette pièce comme ça, ça doit être juste jouissif. Ma pensée s'égare. Est-ce que je préfère répéter ou jouer? Je me souviens de l'interview de Ludmila Mickaël. Elle n'aimait pas répéter. Et il y a t-il des pièces qui sont vraiment faites pour être travaillée? Est-ce que les répétitions peuvent être plus intéressante à voir que le travail fini? Comme une œuvre d'art contemporain, où la manière est au final plus intéressante/importante que le résultat. Mes idées suivent leurs cours. Il doit être agréable d'être là, dans la lumière, de déguster chaque mot, de bouger dans cette apesanteur de l'eau. Il y a un travail que notre professeur de corps nous demande de faire pour nous entraîner, chez nous dans notre lit, bouger ses doigts comme des algues sous l'eau.
J'avais entendu, dans l'émission de Frédéric Mitterrand sur France Inter consacré à Claude Régy et à sa pièce, que Tarjei Vasaas était un précurseur de Jon Fosse. Dans cette écriture qui recherche "à trouver un seuil". "comme {une} idée qu'il peut y avoir une perception au-delà de la compréhension" (Claude Régy en septembre 2012 sur la pièce). Il y a un vrai travail sur le texte. L'acteur Yann Boudaud prend le temps de ressentir chaque idée, il l'a laisse venir, s'en empare et joue avec. C'est un bel exemple pour la jeune actrice que je suis. J'avais noter ces paroles de Régy dans l'émission Jour de Fred "Le silence n'est pas un arrêt du langage mais un langage lui-même, comme la lumière n'est existante que grâce à l'obscurité". A peu près. Vous avez l'idée.
Je ne sais pas quoi vous dire d'autre sur la mise en scène. L'acteur ne se déplace quasiment pas. Tout se joue sur son corps, l'obscurité et la lumière, la légère ambiance musicale. Il y a beaucoup de silence et d'obscurité. Ce qui est assez peu commun au théâtre. Deux personnages apparaissent en fond de scène à un moment. Que représente t-il? La mort? Des fantômes? Les corneilles dont le narrateur fait mention? Ces sauveurs qu'il espère?
Je ne sais pas.
Mais vous trouverez ici de plus amples information, sur cette page bien fournie de THTR. La pièce est joué au 104, jusqu'au 24 novembre 2013. Et l'émission de Fréderic Mitterand.
Évidemment je le déconseille à toutes les personnes qui aiment se "vider la tête".