Encore un film de SF post-apocalyptique made in Hollywood? C’est un peu la première question qu’on se pose à la découverte du Transperceneige, à croire que l’usine à rêves hollywoodienne ne jure que par l’Apocalypse ces derniers temps, que ce soit sous la forme de comédies (This is the End), de films de zombies (World War Z), de film d’action écolo-friendly (Elysium) ou de kaiju-eiga (Pacific Rim). Le tout saupoudré par une brin de lutte des classes où les pauvres toujours plus pauvres doivent combattre des riches toujours plus privilégiés.
2031. La terre n’est plus qu’une étendue gelée. Les derniers survivants sont à bord d’un train condamné à tourner autour de la Terre, le Transperceneige. En queue de véhicule, les prolétaires et en tête, Wilford (Ed Harris), le grand ordonnateur de ce nouvel ordre mondial. Entre les deux, une suite de wagons qui sont autant de classes sociales et univers que Curtis (Chris Evans), Spartacus post-moderne et ses camarades s’emploient à traverser pour rétablir l’égalité.
La deuxième question qui vient à l’esprit, une fois ce pitch découvert est bien sur: que vient faire Bong Joon-ho à Hollywood? Comment l’auteur génial de Mother et Memories for Murder pouvait s’embarquer pour une coproduction internationale, lui qui bénéficiait en son pays d’une totale liberté d’action après le succès de The Host? Son talent de réalisateur allait-il pouvoir s’affirmer dans une industrie américaine connue pour être parfois très cruelle avec des auteurs étrangers (Neil Blomkamp en sait quelque chose)? Quand on sait que cette adaptation cinématographique du Transperceneige, la bande-dessinée française de Jacques Lob et Jean Marc Rochette datant de 1983 (Jacques Lob au scénario et Jean-Marc Rochette au dessin, puis scénarisé par Benjamin Legrand en 1999, après le décès de Lob) est en fait un retour du surdoué coréen à la science-fiction – rappelons-nous The Host et Tokyo, co-réalisé avec Gondry et Carax - on était en droit d’avoir les espérances les plus folles.
En fait la réponse à toutes ces questions est dans le film, dans les deux heures de spectacle foisonnant que dure l’expérience Transperceneige. Bong Joon-ho relève ici le double défi du huis-clos en mouvement pour créer un nouveau type de fiction sans frontières, effaçant tout repère spatial ou temporel dans un blockbuster ambigu: entre grand spectacle et transgression. A partir d’un récit élémentaire, aux enjeux un poil schématiques mais à la symbolique très forte, Bong Joon-ho construit minutieusement son expérience plastique guidée par les mouvements du train et dont il exploite toutes les potentialités, puisant à la fois dans le langage du film de guerre, de la SF et du jeu vidéo.
En effet, sans jamais quitter l’espace clos de son monstre de fer, le récit suit sa course à la manière d’un jeu vidéo avec sa progression par niveaux, à la fin desquels surgissent de nouveaux boss chaque fois plus méchants, une variation des points de vue et plus encore la possibilité d’intéreagir avec son environnement. Chaque nouvel accident dans la course effrénée du Transperceneige - que ce soit un tunnel, la roche, un paysage enneigé ou un déraillement – constitue autant de défis relevés par la mise en scène virtuose de Bong Joon-ho.
Film intelligent sans chercher à l’être, Le Transperceneige met en équilibre les contraintes de sa mise en scène avec une narration aussi linéaire que la progression physique de ses personnages. Pas d’ellipses, pas de flashbacks mais une toile de fond solide et réaliste.
L’allégorie du train est brillante, peut-être un poil trop appuyée pour être pleinement efficace cependant. Figure à la fois anachronique (sf futuriste contre mode de transport « primitif » aujourd’hui) et farouchement moderne, le train nous rappelle les dérives de nos sociétés actuelles, prisonnières d’un monstre technologique et inégalitaire pris dans une fuite en avant suicidaire dans un écosystème ravagé.
Chacun de ses compartiments est l’occasion, dans une même continuité narrative, d’un changement de décor et d’ambiance – d’une salle de classe à un sauna – mais aussi d’un changement de genre – du loufoque à l’action pure. Faire la révolution tout en suivant les rails, voici le défi à la fois des personnages et du réalisateur qui retrouve la folie ses précédents opus mais une folie cette fois adoucie par la nature même du projet et ses défis esthétiques et techniques. Une éloge de la contrainte.
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