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"Esprit d'hiver" de Laura Kasischke

Publié le 30 octobre 2013 par Francisrichard @francisrichard

Quand je vois par quels tourments passent ceux qui veulent adopter, je ne peux qu'avoir de l'admiration et du respect pour eux.

Dans Esprit d'hiver, Laura Kasischke raconte ces tourments qui assaillent un couple d'Américains et qui ne se terminent pourtant pas une fois l'adoption menée à bien.

Holly Judge, porteuse d'une mutation génétique, a dû subir l'ablation de ses seins et de ses ovaires. Elle s'est dès lors sentie transformée en une machine, un robot indestructible.

Le chirurgien esthétique lui a modelé des seins plus beaux que ceux qu'elle avait, mais elle ne peut plus avoir d'enfant...

Aussi Holly et son mari, Eric Clare, décident-ils d'adopter et se rendent-ils en Sibérie à l'orphelinat Prokovka n°2, où un bébé leur est présenté. C'est un 25 décembre, il y a treize ans, jour pour jour, treize jours avant la Noël orthodoxe.

Peut-être la venue de cette enfant - il s'agit d'une petite fille - viendra-t-il à bout du blocage littéraire éprouvé par Holly, qui a cru un moment que le temps lui manquait pour écrire. Car, elle a écrit des poèmes, mais n'est plus en mesure d'en composer. Las, cette venue n'a rien changé. Elle est restée bloquée.

Après leur première visite, Eric et Holly ont dû revenir trois mois plus tard pour chercher leur enfant âgée à ce moment-là de vingt-deux mois. C'est la procédure russe d'adoption. Entre-temps, elle a un peu changé, elle s'est affinée et ses cheveux sont devenus plus longs.

Les infirmières leur ont conseillé de lui donner le prénom de Sally, pour qu'elle puisse s'adapter au mieux à sa nouvelle vie dans le Michigan de ses parents, mais ils n'ont pas suivi ce conseil et l'ont prénommée Tatiana, pour qu'elle ne soit pas coupée de ses origines.

Le jour de Noël, c'est devenu une tradition depuis la première année de leur mariage, le repas de famille se passe chez Eric et Holly. Aux parents d'Eric, à ses frères et à leurs familles, s'ajoutent le couple des Cox - lui travaille avec Eric - et de vraies amies, Thuy et Pearl, et leur fille Patty.

Cette journée ne s'avère pas comme les autres. Non seulement Eric et Holly se réveillent plus tard que d'habitude, mais un blizzard se lève et rend bientôt les routes impraticables. Eric, parti chercher ses parents, Gin et Gramps, à l'aéroport ne revient pas. Les Cox n'arrivent pas et Thuy, Pearl et Patty non plus. Holly se retrouve seule avec Tatty (le diminutif de Tatiana) et se chamaille quasi continuellement avec elle pendant cette journée de chiens.

L'histoire se passe à huis clos entre Holly et Tatty, dans une maison entourée par la neige, avec quelques retours sur le passé de la part de Holly. Pour supporter cela, Il faut posséder un esprit d'hiver, comme aurait dit le poète Wallace Stevens. Toujours est-il que la tension monte entre elles deux, avec quelques moments de répits trompeurs, jusqu'au dénouement.

Quand elle s'est réveillée tard ce matin de Noël, une phrase prémonitoire a trotté dans la tête de Holly, phrase qu'elle aurait voulu mettre sur le papier:

"Quelque chose les avait suivis depuis la Sibérie jusque chez eux."

Le lecteur devra patienter jusqu'au bout pour savoir que les tourments actuels de Laura ont bien leur origine lointaine en Sibérie. Et il devra subir les disputes entre une mère et sa fille, tout du long, sans comprendre qu'il ne s'agit pas des disputes habituelles entre une ado et sa mère, mais de tout autre chose.

Tout l'art de Laura Kasischke consiste à entourer ces chamailleries de mystères pesants, jusqu'au bout, et à dérouler le récit dans une atmosphère de suspense, par moments, bien oppressante.

Francis Richard

Esprit d'hiver, Laura Kasichke, 280 pages, Christian Bourgois Editeur


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