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Heimat I et II d'Edgar Reitz

Publié le 30 octobre 2013 par Leunamme

Edgar Reitz, réalisateur allemand de grand talent, a à son actif plus d'une vingtaine de films. Pourtant, pour le grand public, et probablement pour la postérité, il restera l'homme d'une œuvre, qui le suit (le poursuit ?) depuis bientôt presque trente ans. Je parle d'"Heimat" bien sûr, cette extraordinaire série télévisée; une saga qui à travers la vie et l'évolution d'une famille et d'un village allemand, racontait l'histoire de l'Allemagne de 1919 à 1982. L'évolution du monde vue, ressentie par les plus humbles. C'était formidable.  Cette série a connu, on s'en doute, un succès tel dans son pays, qu'Edgar Reitz a commis ensuite deux prolongements : "Heimat II" qui racontait la vie de ses personnages pendant la guerre froide, et "Heimat III" qui reprend les mêmes, mais cette fois-ci depuis la réunification.

Avec "Heimat I : chronique d'un rêve" et "Heimat II : l'exode", Edgar Reitz réalise une sorte de préface à son grand oeuvre, mais cette fois-ci, il revient au format cinématographique, plus court, enfin si on peut dire, puisque la totalité dure quand même pas loin de 4 heures. Heimat est un vocable allemand, à mi-chemin entre nation, patrie et identité, qui n'a pas de véritable équivalent en français. Pourtant, si l'action se situe entre 1842 et 1844, à une époque où l'Allemagne n'existe pas encore en tant que nation, où le peuple allemand et divisé en petits royaumes tous tenus par des régimes plus ou moins fermes, que l'on qualifierait aujourd'hui de dictatures. Tout l'art d'Edgar Reitz va être de gommer ces frontières là, pour ne parler que des Allemands qui forment un seul et unique peuple (ce qui servira d'ailleurs de prétexte à Hitler pour envahir les Sudètes).

En 1842, la famille Simon vit à Schahbach, petit village du Hunsrück, région de moyenne montagne coincée entre la Moselle et le Rhin, l'équivalent de notre Morvan en quelque sorte. Si le père Simon est le forgeron du village, ce sont bien les travaux des champs qui font vivre la famille, à l'instar de tous les villageois. Or, les sept années précédentes ont été difficiles, les hivers rudes, les récoltes mauvaises. Jakob, le plus jeune des enfants Simon n'est pas comme les autres. Il passe son temps, au grand désarroi de son père, dans les livres. Il est l'un des rares du villages à savoir lire. Jakob rêve d'ailleurs, d'un pays sans hiver, de Brésil, d'Indiens d'Amazonie. Ce rêve le poursuit à tel point qu'il lit tout tout ce qui concerne ce pays, dans plusieurs langues. Il étudie même les langues de ces peuples indigènes. Seulement voilà, le retour de Gustav, le frère ainé qui était parti servir l'empereur dans l'armée, va tout bouleverser.

Ce que nous raconte Edgar Reitz est précieux pour aujourd'hui. On ne peut comprendre le peuple allemand aujourd'hui, si on ne comprend son histoire. Les Simon du film, comme la majeure partie des Allemands de cette époque, étaient non seulement pauvres, immensément pauvres, mais ils étaient aussi victimes d'un pouvoir injuste et brutal. De fait, pour fuir cette misère et par soif de liberté, beaucoup vont émigrer vers le nouveau monde, les Etats-Unis pour la plupart (700 000 entre 1850 et 1960), mais aussi vers le Brésil ou l'Argentine (en Argentine, on estime à 2 millions les descendants d'Allemands). Nous l'avons oublié, mais l'Allemagne a été une terre d'émigration, et ce fait là à forger en grande partie l'identité allemande.

L'émigration, mais aussi le poids de la religion protestante ! Chez les Simon, comme chez leurs voisins, les émotions sont toujours retenues, tout est toujours le fait de la volonté de Dieu. Lors de l'épidémie de dysentrie, lorsque chaque famille perd un proche, un enfant le plus souvent, la douleur contre l'injustice divine finit par s'exprimer, mais c'est quand même dans l'Eglise, devant le pasteur que la décision de partir, d'émigrer s'annonce. Tout ramène à Dieu !

Certes, le film est peu long, il y a parfois quelques invraisemblances (comment Jakob peut-il lire le Portugais, l'Anglais, le Français ou l'Espagnol alors que personne ne sait lire dans le village ?), mais ce n'est pas grave, parce que c'est une véritable leçon d'histoire de l'Allemagne que nous donne Edgar Reitz, une découverte en profondeur du peuple allemand plus exactement. C'est aussi une œuvre à l'esthétique parfaitement maitrisée, un magnifique noir et blanc juste émaillé de temps en temps de quelques touches de couleur qui viennent rajouter une touche de poésie.

C'est passionnant, fascinant, terriblement intelligent, et on se prend à rêver qu'un jour un cinéaste français ait le même talent pour ausculter enfin ce qui fait notre propre identité et ne pas la laisser aux populistes et autres charlatans de tous bords..

HEIMAT 1.CHRONIQUE D'UN REVE 2.L'EXODE - Bande-annonce VO


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