Magazine Restos & Bars

Un café multilingue

Publié le 30 octobre 2013 par Xmedinadealbrand @mujeresmundi

Isabelle Barth O'NeillProfil

Nom: Isabelle Barth O’Neill

Pays: France – Irlande

Profession: Linguiste

Adage: «la langue n’est pas seulement un outil de communication et de connaissance, elle est aussi une caractéristique fondamentale de l’identité culturelle pour une famille». 

Dans les pays dits développés (États-Unis, Europe Occidentale), il arrive de nombreux enfants dont la langue de la famille est une autre que la langue officielle du pays d’accueil. Même si près de la moitié de la population mondiale est bilingue, le bilinguisme suscite encore de craintes et des peurs, il est encore mal compris et vu avec un regard sceptique.

La mobilité accrue de la population active et les mouvements migratoires ainsi que les besoins croissants en compétences linguistiques au niveau commercial et sur le plan professionnel font que de plus en plus de personnes sont confrontées à plusieurs langues. Il existe des sociétés où coexistent plusieurs langues à cause à la mixité ethnique, mais seulement une seule est valorisée, comme c’est le cas dans les pays d’Amérique Latine.

Nous avons eu le plaisir de parler avec Isabelle Barth O’Neill, linguiste, traductrice et surtout, activiste en faveur du plurilinguisme. Fondatrice de Multilingual Café et Expat-Lang, cette Française, mariée à un Irlandais depuis dix-sept ans, a posé ses valises en Irlande, après avoir beaucoup voyagé.

Les mots du début

«J’ai fait des études de langues un peu par hasard. Puis, les choses se sont faites de fil en aiguille, et j’ai fini dans ce monde qu’en fait j’ai toujours aimé». Nous dit Isabelle, qui à l’âge de 18 ans a gagné le Concours de la Journée Européenne des écoles, avec un essai sur le jumelage entre villes européennes, un premier pas vers le monde des langues et des échanges culturels.

Traductrice indépendante qui travaille entre autres pour Traducteurs sans Frontières, Isabelle voit son combat commencer quand elle devient une jeune maman, il y a seize ans «quand je voulais parler avec mon fils bébé, je le faisais naturellement en français. J’ai eu droit à des commentaires du genre que cela ne valait pas la peine, car il avait l’anglais et que cela suffisait, en plus d’autres réflexions moins gentilles. C’est ainsi je me suis encore plus rendu compte de l’importance de faire connaître le rôle des langues. J’élève mes enfants avec trois langues et deux cultures. C’est un réel défi, avec toutes les difficultés et tous les bonheurs que cela comporte. Tout n’est pas simple quand on vit à l’étranger et qu’il faut gérer et apprécier les deux cultures ainsi que les problèmes que peuvent poser la maîtrise des langues». Isabelle a repris des études de didactique des langues, spécialisée dans la diffusion des langues. Puis, elle fait un stage dans une association d’aide aux familles étrangères et qui avait comme but d’aider les familles à élever leurs enfants dans la langue d’origine des parents, de façon à que ces enfants puissent être bilingues, mais aussi et surtout puissent communiquer avec les deux côtés de la famille et découvrent leurs origines. Cette association avait presque disparue ; alors, Isabelle a créé  « Multilingual Café », une association de rencontres avec les familles expatriées ou binationales pour aider et conseiller dans l’éducation bilingue/plurilingue et multiculturelle des enfants, accompagnée d’une plateforme web qui permet aux familles étrangères multilingues de se rencontrer et de discuter. Le projet d’Isabelle est d’essayer de répondre à toutes les questions que des parents qui élèvent leurs enfants dans des environnements multilingues peuvent se poser. «La langue et la culture du pays d’origine sont importantes et font partie du développement de l’enfant ainsi que de l’harmonie de la famille. Les parents qui souhaitent que leurs enfants conservent leur langue d’origine, se demandent comment faire face quand on vit dans une culture monolingue, quels sont les outils à considérer. Ils se posent beaucoup de questions. A leurs choix s’ajoutent un certain nombre de difficultés comme les contextes familial, social et scolaire. C’est dans ce cadre que Multilingual Café soutient ces familles hors leurs pays d’origine».

En parlant avec son enfant dans sa langue maternelle, les parents transmettent non seulement la langue mais aussi garantissent le maintien des liens avec la famille restée dans le pays. Ils transmettent ce qu’ils sont, leur propre histoire personnelle. L’enfant a besoin de pouvoir se situer par rapport à l’histoire de ses parents, leur langue et leur culture. Il a besoin de la connaissance et de la reconnaissance de la langue de ses parents –et par elle de la culture de ses parents– pour  devenir un adulte équilibré.

Plus qu’une langue, on parle de culture

Multilingual Cafe
Dans certains cas, les parents désireux de s’intégrer dans leur pays d’accueil sont conscients de l’importance, pour leurs enfants, de la maîtrise de la langue d’accueil. Certains feront le choix de ne parler que la langue d’accueil avec leurs enfants, dans le but de faciliter leur intégration. La langue d’origine est souvent laissée derrière. La valeur que la société attribue à une langue et au bilinguisme en lui-même a une influence directe sur la motivation des parents à transmettre leur héritage linguistique et donc sur le développement du bilinguisme chez l’enfant. Isabelle nous explique : «j’ai eu des cas avec des familles qui avaient des problèmes avec leur enfants parce que à l’école on leur avait dit, que l’enfant était dyslexique à cause d’une deuxième langue parlé à la maison.  La structure scolaire essaye souvent de convaincre les parents d’arrêter de parler une autre langue à la maison, et de se concentrer sur la langue du pays d’accueil. Avec mes recherches j’ai découvert que ces propos sont inexacts. Alors, j’ai collaboré avec les famille et les écoles en expliquant les tests qu’il est possible de faire pour un enfant bilingue dyslexique ou avec un retard d’apprentissage. Les instituteurs ne peuvent pas connaître toutes las langues, ni tous les problèmes de langues chez l’enfant bilingue». Isabelle aime passer du temps avec les familles pour leur parler et les conseiller au mieux afin que le bilinguisme soit une joie.

Il existe un contexte social élitiste dans le multilinguisme, la société accorde le rang de bilingue aux enfants de couples mixtes parlant des langues valorisées sur le marché des langues, tel l’anglais ou l’allemand. Dans les milieux sociaux favorisés, on considère aujourd’hui le bilinguisme, et surtout le bilinguisme précoce, comme un avantage pour l’enfant. Ce consensus concerne cependant seulement à certaines langues considérés comme langues de prestige. Ainsi, les enfants issus de familles d’origine quechua en Amérique Latine, par exemple, seront étiquetés comme « quechua parlants » et non pas bilingues (voir l’espagnol – quechua). En Europe, dans pays comme la France, la Belgique, les enfants issues de familles maghrébines, persanes ou turques seront considérés comme « non francophones » et en Irlande ou en Angleterre comme « non-English native speaker ».  «Aux États-Unis, on parle de société melting-pot, c’est-à-dire, un pot où on se mélange et on devient tous pareil. Au Canada, ils se considèrent comme étant une société multiculturelle où on peut garder ce qu’on est. La vision de la société que nous entoure, jouera donc un rôle primordial dans la façon de vivre le multilinguisme dans chaque famille. La langue, c’est la base d’une culture, quand on a deux parents avec deux langues et deux cultures différentes il faut savoir les intégrer au sein de la famille. Les parents ne savent pas toujours comment faire. Ils se posent des questions sur la manière de trouver un équilibre sans que cela représente un problème pour la famille. J’ai envie de les aider», explique Isabelle.

J’ai un enfant plurilingue

Isabelle nous explique que les enfants dans leur période d’apprentissage d’une langue, passent par une phase de tâtonnement «le mélange des langues est un passage fréquent chez les enfants bilingues. Mais tous les enfants bilingues ne passent pas par cette étape. Certains enfants apprennent de manière analytique, mais cette façon est bien sûr, inconsciente chez l’enfant. Ils peuvent tarder en parler et même ne pas dire un seul mot pendant des années et ils utiliseront la langue au moment où ils sont sûrs de ne pas se tromper. Ils ne mélangent donc pas les mots». D’autres enfants ont une façon, dirons, plus expressive. Ils peuvent maitriser des expressions complexes mais ils vont tâtonner plus longtemps, même en créant des « mots » sur la base de ce qu’ils connaissent. Avec le temps, ils prennent conscience que la communication échoue avec un interlocuteur, par exemple la grand-mère qui parle espagnol et qui ne comprend pas le français quand la petite-fille lui parle, en considérant que la petite fille parle espagnol. Ils mettent un peu plus de temps à associer une langue à une personne ou à une situation.

Isabelle résume : «toute langue a sa richesse et tout bilinguisme est enrichissant. La langue, c’est notre culture, il faut donc transmettre la langue et la culture de la famille à l’enfant. La clef du multilinguisme est dans les parents, car c’est leur travail de transmettre ceci à leur enfants». Le Multilingual Café a grandit très vite et s’est étendu à d’autres pays. Le monde actuel doit chercher une éducation de qualité pour tous et prendre en considération des différents contextes linguistiques et culturels qui existent dans les sociétés contemporaines, le projet d’Isabelle protège le droit à la différence des groupes linguistiques «la langue n’est pas seulement un outil de communication et de connaissance, elle est aussi un attribut fondamental de l’identité culturelle pour une famille».  Respecter les langues de ceux qui appartiennent à d’autres communautés linguistiques est donc essentiel à une coexistence pacifique. Ce principe s’applique aussi bien aux groupes majoritaires qu’aux minorités et aux peuples autochtones. En matière d’éducation, les droits linguistiques définis par l’accord international du travailleur migrant de 1990, prévoient : «l’intégration de leurs enfants doit être facilitée par l’enseignement de la langue employée dans le système scolaire et leurs enfants doivent se voir offrir la possibilité d’apprendre leur propre  langue et leur propre culture».

Pour savoir plus sur les projets d’Isabelle et se joindre à cette aventure plurilinguistique, visitez:

Expat-Lang http://langues-sans-frontieres.jimdo.com/ et Multilingual Café (en Français, Anglais et Néerlandais) http://cafemultilingue.blogspot.be/

Interview: XMA

Photos: Multilingual Cafe


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Xmedinadealbrand 309 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte