Tournez Kazakh…
La steppe est « bancable » ces temps-ci. On y voyait gambader un singulier chien jaune, pleurer un chameau, et même récemment errer Philippe Torreton. Et puis tout de même, pour rendre à Oscar ce qui revient à César, le grand Khan des Mongols, Temüjin pour les intimes, s’y est laissé tailler le portrait. Si « Nomad » a un mérite, c’est d’avoir précédé ces fours ou succès, qui lui ont emprunté qui un acteur, qui un réalisateur. Pour le reste, il faudra repasser, et tourner casaque.
Produit en 2004, sous l’impulsion de Noursoultan Nazarbaïev, le président de la République du Kazakhstan, qui en fit son cheval de bataille chargé de laver l’humiliation infligée par le truculent « Borat »*, « Nomad » est un hymne à la gloire des braves guerriers Kazakhs. Bâti sur une trame historique, le récit égrène tous les clichés éculés propres à la quête initiatique, du prophète sibyllin chevauchant placidement à la recherche de l’élu jusqu’à la rivalité amoureuse entre deux frères d’armes, en passant par le sanguinaire alter ego, naturellement impitoyable, et ici campé par un Marc Dacascos un brin paumé, chauve et barbu. Le très caucasien Kuno Becker, révélé, si l’on peut dire, dans la série footballistique des « Goal » ! », y incarne le héros national Mansur, sorte de William Wallace local, sans le kilt. Il peut bien se demmener et distribuer des volées de mandales, froncer des sourcils et tenir la dragée haute au cruel Sharish, rien n’y fait, le coeur n’y est pas, et le spectateur reste en marge, peinant à se sentir pénétré du souffle de l’épopée. Même la fraîcheur de la jolie Ayana Yesmagambetova, actuellement à l’affiche dans « Ulzhan », ne parvient pas à hisser cette fresque tout juste divertissante à la hauteur de ses ambitions.
Réalisé par Sergei Bodrov, auteur du très réussi « Mongol »** tourné quatre ans plus tard, « Nomad » se limite à un coup d’essai, l’ébauche maladroite de son futur hommage aux splendeurs de la steppe eurasiatique. Le nombre conséquent de figurants ne suffit pas à effacer l’impression générale d’amateurisme et de demi-mesure qui se dégage d’un film bénéficiant cependant d’un cadre naturel grandiose. Les cyniques goûteront également la savoureuse référence à l’indépendance nationale, que l’on découvre conquise de haute lutte, et paraît-il définitivement, au XVIII° siècle face à l’oppresseur mongol, alors même que le Kazakhstan fut durant près de soixante années une « république » si bien intégrée à l’empire soviétique que le petit père des peuples et ses successeurs y déportèrent des peuples entiers avant d’y danser la java des bombes atomiques*** ! L’épilogue est à l’avenant : une fois l’ennemi taillé en pièces et repoussé, l’union sacrée des tribus célébrée, le spectateur est respectueusement prié d’entendre le message, en forme d’avertissement aux relents nationalistes, adressé à quiconque se risquerait à franchir sans permission les frontières du pays. Avis ! Voilà ce que c’est que de laisser les manettes du cinéma au gouvernement, qui a financé presque intégralement « Nomad » : des courbettes compassées, du discours creux, aucune nuance, bien peu d’âme, et sûrement pas une œuvre d’art.
Ujisato
Réalisé par Sergei Bodrov, Ivan Passer, Talgat Temenov
Avec Kuno Becker, Jay Hernandez, Mark Dacascos
Film kazakh - Genre : Drame - Durée : 1h 40min
* « Borat » est un personnage satyrique crée par l’humoriste américain Sacha Cohen tournant gentiment en dérision le Kazakhstan. Il a inspiré un film produit en 2005.
** « Mongol » est critiqué ici
*** Le polygone nucléaire de Semipalatinsk abritait les essais militaires soviétiques. Il a été fermé en 1991.
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