Ames sensibles s’abstenir: dans ces nouvelles, le sang coule à flot et le gore est au rendez-vous. Parfois, on nous présente un spécialiste de la torture, un esthète de l’entaille de muscle, comme l’employé malencontreusement renvoyé par son patron dans “Fournitures” qui découvre les multiples utilisations d’une agrafeuse, où la séductrice de “Battements d’ailes”, qui retire de son tableau de chasse de bien sanglants trophées. D’autres fois, ce sont des familles qui partent en vrille alors que tout aurait pu si bien aller. Comme ce père de famille de “Jingle Bells”, qui râle contre le retard qu’ont pris ses proches pour se préparer au repas de Noël, et tente de le rattraper dans une voiture étonnamment silencieuse, ou encore “Becky”, la petite fille adoptée qui vit particulièrement mal le manque d’attention de sa famille à l’arrivée de sa petite soeur, ou le protagoniste de “L’anniversaire” qui profite de l’après-fête alors que sa femme et ses enfants persistent à ne pas se réveiller. Ailleurs, c’est carrément vers un univers inconnu et hostile que l’on bascule, comme Rosy dans “L’évangile selon Saint Marc”, enceinte à dix-huit ans, se retrouve dans un épouvantable centre qui vise à punir très sévèrement les pècheresses comme elle, ou dans “Un ticket pour l’enfer” où le héros se réveille, dans un lieu non identifiable, le ventre ouvert, sans aucun souvenir de son passé. Et si d’autres créatures se montraient elle aussi bien imprévisibles, comme les loup-garous de “Vésanie Sanguinaires” qui ne comprennent pas quel frénésie meurtrière frappe les membres du clan, ou les membres du “Petit Peuple” qui tourmenteraient le couple Tourneur de manière toujours plus cruelle, ou encore le terrifiant enfant de “L’ombre du Mal” que Franck surprend un soir, avec ses yeux qui n’ont rien d’humain et dont l’ombre le poursuit. Et si “La faim justifie les moyens”, ne peut-on pas comprendre pourquoi Jeanne vient de découper Paul en morceaux, ou que la narratrice de “La Rue” attire les chats errants pour les dévorer?
Vous l’aurez compris, ce recueil de nouvelle a fait le choix de l’horreur et du sanglant. Il ne s’agira pas tellement ici d’avoir peur que de détourner le regard devant l’insoutenable. On s’applique à vous décrire comment découper les chairs, sectionner les muscles, glisser une agrafe sous un ongle. On vous raconte comment on plante un couteau dans la chair, comment le sang coule goutte à goutte et se répand, comment les entrailles s’exposent ou comment les dents se plantent dans les muscles. Ca vous dégoûte? Je pense que c’est bien l’objectif. Et je pense qu’un gros risque d’overdose vous guette avec ce recueil. Car prise une à une, ces nouvelles sont pleines de qualités. Les descriptions de psychopathes mettent mal à l’aise et fascinent tant l’inventivité et le sang-froid du personnage sont frappantes. Les univers glauques dans lesquels se retrouvent Rosy ou notre amnésique font aussi leur petit effet. Quant à Jeanne ou à notre habitante de la rue, on ne peut s’empêcher, de manière inattendue, de compatir et de comprendre les extrémités auxquelles elles sont réduites.
Mais nouvelle après nouvelles, toutes s’appliquent à être les plus sanglantes, les plus écoeurantes possible, et j’ai parfois eu l’impression de relire encore et encore le même massacre gratuit. Un peu comme en regardant les films du genre Saw: c’est gore, c’est sanglant, mais à la fin, du gore pour du gore, l’intérêt se perd. Et c’est dommage, parce que cet effet de surenchère mis à part, beaucoup de nouvelles exploitent à merveille l’art de la chute qui vous laisse bien sur les fesses, ou encore marient à merveille l’horreur avec une peur sourde, une véritable tension. Mes préférées? Je voterai pour “L’ombre du mal”, peut-être la plus dégoutante mais aussi la plus travaillée quant à la tension et à l’originalité, et “La rue”, qui a réussi à me faire basculer du côté de l’héroïne.
La note de Mélu:
Des qualités, mais un registre qui mériterait d’être précisé. Merci à Elodie Morgen et aux éditions des Tourments pour leur confiance.