Intégration africaine : Et si on avait mis la charrue avant les boeufs ?
Publié Par Japheth Omojuwa, le 30 octobre 2013 dans AfriqueL’intégration africaine est davantage une question économique que politique.
Par Japheth Omojuwa.
Un article de Libre Afrique.
Les chiffres du commerce intra-africain restent catastrophiques parce que les arguments en faveur de l’intégration africaine ont mis l’accent davantage sur l’aspect politique. C’est la partie où les sentiments non quantifiables comme la fraternité, l’unité et l’idée que « si nous ne nous unissons pas, nous ne pouvons pas combattre nos ennemis » chez les dirigeants africains ont dicté toutes ces années la nécessité pour les Africains de se réunir. Laissons de côté la question de qui sont les ennemis. Le problème avec ce débat est que les investisseurs ne déplacent pas leur capital en fonction de ce ces facteurs-là, mais en fonction es rendements. L’économie est un phénomène basé sur des incitations et désincitations, sur les réalités de coûts et d’avantages.
Il est donc temps de mettre la question de l’intégration africaine dans la perspective de nécessité économique, et de l’éloigner de l’opportunisme politique. Si l’Afrique échange avec elle-même, la politique d’unité et de fraternité émergera naturellement.
60% des échanges réalisés par les pays européens se font à l’intérieur du continent européen. En Amérique du Nord, ce chiffre est de 40%. En Afrique ? 12% ! La différence en dit long sur le développement économique de l’Afrique dans son ensemble. Pour résoudre ce problème, il faut regarder le principal facteur qui milite contre le commerce dans le continent.
De nombreux analystes voient l’insuffisance des infrastructures comme un facteur. Ce n’est pas un facteur en soi, mais la conséquence du défi à relever. La nécessité de déplacer les matières premières du continent vers l’Europe avait contraint les gouvernements coloniaux à construire les infrastructures permettant l’exportation de matières de l’Afrique. Les matières premières n’ont pas été transportées facilement parce que l’infrastructure était là : c’est la nécessité d’exporter qui a créé des lignes ferroviaires et des ports. La raison fondamentale au fait que l’Afrique n’échange pas avec elle-même est que les pays africains ne produisent pas assez de ce dont le continent a besoin. La plupart des économies africaines sont similaires en ce sens qu’elles exportent principalement des matières premières. Il n’y a pas eu d’effort concerté en vue de créer des produits finis. Cela signifie que la plupart des pays cherchent à l’étranger, hors d’Afrique, leurs produits finis.
L’Afrique commencera à commercer avec elle-même lorsque les pays africains produiront les produits finis nécessaires aux Africains. Les autres facteurs qui ont souvent été pointés du doigt ont depuis été améliorés sans qu’il n’y ait eu d’augmentation proportionnelle de leurs effets attendus. On critiquait par exemple la médiocrité des infrastructures de télécommunication pour expliquer l’incapacité de la plupart des pays africains à développer un commerce intra-africain. Or, les africains sont désormais plus que jamais connectés par les téléphones mobiles. Des banques comme Ecobank et quelques autres banques nigérianes effectuent des transactions commerciales intra-continentales plus facilement que jamais. Il est maintenant beaucoup plus facile de se déplacer d’un pays africain à l’autre. Bien sûr la libre circulation des africains en Afrique nécessite encore beaucoup de progrès, mais nous sommes très loin de l’époque des frontières presque hermétiques. Tous ces facteurs sont une conséquence des échanges insuffisants entre les pays africains, non la cause.
Si la Côte d’Ivoire devient un fabricant de chocolats au lieu d’ exporter simplement du cacao, le Nigéria, le Ghana, le Libéria et d’autres auront besoin de créer des canaux pour « se connecter » avec les chocolats de Côte d’Ivoire. Si le Nigeria raffinait lui-même son pétrole et produisait d’autres produits finis à partir du brut raffiné, d’autres pays ouest-africains auraient des raisons économiques d’ouvrir leurs frontières à ces produits. Quand cela deviendra la norme dans toutes les régions, les routes et les chemins de fer s’ouvriront, les voies navigables seront pleines de bateaux, les lignes aériennes fleuriront et un réseau de commerce aura été créé entre les régions du continent.
Nous approchons de cette réalité. Plusieurs projets sont en cours ou en préparation pour connecter l’Afrique avec elle-même. Le développement de la route transsaharienne qui relie l’ouest de l’Afrique avec le Nord aidera à combler les lacunes évidentes dans la relation entre l’Afrique du Nord et le reste du continent, en commençant par l’Ouest. (Le commerce au sein de l’Afrique du Nord est en fait pire, ne représentant que 5% du commerce total réalisé par les pays !). Des projets de réseau autoroutier comme Lagos – Mombasa, Beira- Lobito, Alger-Lagos financés et développés par les partenaires au développement démontrent que plusieurs pays africains se sont effectivement engagés à ouvrir des itinéraires routiers entre pays. L’Ethiopie cette année a signé un accord pour la construction de trois projets routiers qui relieront le pays au Soudan. De même la Banque mondiale finance une route Kenya – Sud-Soudan.
L’idée de certains de ces projets est plus ancienne que l’Union africaine. Les pays africains doivent commencer à penser à une prochaine étape de leur croissance économique. La croissance tirée par le boom des matières premières a conduit au chômage. Cette croissance est sans emploi parce que ce sont là des projets spécifiques à très forte intensité capitalistique. Les pays doivent donc commencer à se concentrer sur l’agriculture, les services et bien sûr l’industrie, qui vont non seulement élargir les potentiels de croissance du continent, mais avec des emplois. Les revenus générés par les matières premières doivent être utilisés comme une espèce de semence pour diversifier ces économies, et non comme la récolte elle-même.
L’intégration africaine est plus une question économique que politique.
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Une version de cet article a paru en anglais sur AfricanLiberty.org. Traduction : Libre Afrique.