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Insomnie

Publié le 29 octobre 2013 par Lonewolf

J’étais un bon flic. Un de ceux dont les états de services servent d’exemple pour tous. Aucune bavure, aucun problème. Je n’ai jamais eu à me servir de mon arme pour une intervention. Jamais jusqu’à cette nuit-là. Nous étions partis après un homme qui avait tenté de braquer une épicerie. Rien de très exceptionnel pour nous. Nous avions été obligés de nous séparer avec mon co-équipier et je m’enfonçais dans une ruelle quand je me suis trouvé nez à nez avec cet homme. Enfin ce gamin, pas plus de 20 ans à tout casser, affolé, il tremblait de tous ses membres. J’ai sorti mon arme pour faire les sommations, c’est ainsi que l’on fait habituellement…

Oui mais voilà rien n’a marché comme pendant notre formation. Cet imbécile a mis la main dans sa poche. Et lorsqu’il l’a ressorti, un truc s’est mis à briller sous la pauvre lumière du lampadaire de la rue. J’ai tiré, sans sommation, comme ça, de sang-froid. J’ai tiré parce que j’avais peur. Parce qu’on nous a conditionnés pour le faire en situation de stress. Comment j’aurais pu savoir qu’il sortait son Zippo de sa poche? Comment j’aurais pu savoir que ça n’était pas le bon?

Je ne peux plus fermer les yeux. Dès que je le fais je vois son regard vide. Son incompréhension. Je vois son corps s’affaisser dans cette flaque de sang. Et son râle comme une accusation. Bien sûr on m’a de suite mis à pied. On m’a retiré mon insigne, mon flingue et on m’a prié d’attendre la fin de l’enquête tranquillement chez moi. Tranquillement… Comme si on pouvait être tranquille après avoir tué un gamin innocent. Depuis une semaine je n’ai pas dormi. Enfin j’ai réussi à avoir des phases de sommeil, mais elles se terminent immanquablement par le même rêve. Je revois son visage, son regard qui se vide de sa vie lorsqu’il tombe devant moi dans cette ruelle.

J’ai tout tenté je crois pour trouver le repos. Les médicaments, la première chose qu’on m’a prescrits. Pour m’aider à dormir m’a-t-on dit. Le premier soir j’ai suivi la prescription et j’ai pris deux cachets seulement. Je me suis allongé et j’ai mis la télé pour avoir quelque chose sur lequel me concentrer. Le genre d’émission stupide où des gens viennent se ridiculiser devant des milliers de téléspectateurs. Malheureusement ça n’a pas eu l’effet escompté, et lorsque je me suis senti glissé j’ai tout de suite revu ce visage sur lequel mon regard s’est focalisé. Et je me suis réveillé en hurlant. Sans possibilité de trouver le repos une minute de plus cette nuit-là. Je tremblais comme il tremblait de froid dans cette ruelle. Aussi livide que lorsque le sang quittait son corps. J’avais beau savoir que j’étais dans ma chambre je sentais l’odeur de la poudre autour de moi. Je suis allé à la fenêtre, j’ai entrouvert le store pour regarder dehors. Une ruelle sur laquelle donne ma chambre. Une ruelle où passent des jeunes gens sans histoire. Des jeunes gens qui ne demandent qu’à vivre.

La nuit suivante j’ai pris plus de cachets. Vu que la première fois était un raté j’ai doublé la dose. Mais je n’arrivais pas à trouver le sommeil. Je n’arrivais même pas à somnoler. J’en ai repris encore et encore. Comme si mon corps tout entier rejetait l’aide que je lui apportais. Plus j’en prenais et plus je me sentais réveillé. Plus le temps passait et plus je me détestais. J’avais pris la vie d’un innocent et je ne trouvais même pas comment j’aurais pu me le pardonner. Je revoyais la scène encore et encore, mon esprit se focalisait sans arrêt sur cet instant. J’avais beau savoir comment ça s’était passé, j’essayais malgré tout de le changer. Que ce serait-il passé si je n’avais pas appuyé sur la gâchette? Mais mon esprit trouvait réponse à tout. Et si cet homme avait sorti une arme? Si ça avait été celui que nous cherchions?

La nuit suivante j’ai décidé de changer de médicament. Je suis allé voir le vendeur d’alcool qui se situe à un bloc de mon appartement. J’ai pris une bouteille de son whisky bon marché. Il me l’a donné dans ces petits sacs en papier marron. J’en ai profité pour boire au goulot dans la rue en rentrant. Je voyais les regards des passants. On aurait dit qu’ils savaient. Je pouvais sentir l’accusation dans leur silence. Je n’avais aucune justification à leur fournir, de toute façon je n’avais aucune envie de parler. Arrivé dans ma chambre j’ai éclusé jusqu’à plus soif. Ma seule réussite a été d’arriver à me lever pour me diriger vers l’évier de la cuisine afin d’évacuer le trop plein.

Cette nuit-là, la rage s’est mêlé au mal être et pendant que l’alcool coulait dans l’évier par jet je me suis mis à pleurer. Au début j’ai cru que je pleurais pour ce jeune garçon, mais en fait je pleurais sur moi. Sur ma misérable vie et sur mon problème de sommeil. Je pleurais de manière égoïste là où j’aurais dû montrer de la peine pour celui à qui j’avais retiré la vie. On ne se rend pas compte de la responsabilité que l’on a lorsqu’on possède une arme. Surtout on ne nous apprend pas le poids de la responsabilité que l’on a lorsqu’on ôte une vie comme je l’ai fait. A l’école de police on nous apprend à enquêter, à arrêter, à rester en vie et à protéger les gens. Bien sûr on nous apprend à tuer, mais sur des silhouettes en carton. J’étais premier de ma promotion, tireur exceptionnel comme indiqué sur mon dossier. Sur du carton oui, j’étais le meilleur…

Depuis cette nuit-là j’ai essayé les mélanges. Plusieurs médicaments différents, l’alcool avec les médicaments. Plusieurs alcools mélangés. Rien ne m’a jamais permis de dormir plus de quelques minutes. Le temps nécessaire à ce que je revive encore et encore ce cauchemar terrifiant. Ce moment où je sors mon arme et où je tire. Chaque fois je me réveille dans le même état, pris de convulsions, la tête me tourne mais je ne peux plus dormir de la nuit. Si c’est là ma punition pour ce que j’ai fait je l’accepte. Après tout j’ai pris une vie, il faut bien que je paye non?

Hier soir je suis tombé sur un reportage dans une émission, j’ai eu du temps pour découvrir les programmes que passent la télé toute la nuit. Il y a beaucoup de niaiseries, mais parfois on tombe sur une pépite. Cette émission parlait du traumatisme que pouvait déclencher le fait de tuer un être humain. Plusieurs personnes étaient interrogées. De ceux qui ne ressentent et ne ressentiront jamais rien, à ceux qui en deviennent malade. Je suis dans cette catégorie on dirait. Je me fiche de ce que l’enquête interne pourra bien dire. Quoi qu’il en soit j’ai tué un homme, un enfant, un innocent… Dans cette émission j’ai pu voir des hommes broyés, pour qui la vie n’avait plus jamais été la même. Je sens déjà qu’elle a perdu toute saveur. Le plus étonnant c’est qu’il n’existe aucun remède. On sait maintenant soigner des membres amputés, refaire des visages, redonner la vue à des aveugles. Mais pour ça on ne peut rien faire. Enfin c’est que le reportage voulait me faire croire mais j’ai trouvé une solution.

D’après mes états de service, j’étais un enquêteur brillant. Il faut croire que ça n’a pas changé. J’ai eu le temps de réfléchir, et j’ai découvert comment m’en sortir. Comment surtout arriver à trouver le sommeil et enfin pouvoir me reposer. Ce soir je suis serein. Suffisamment pour écrire ces quelques mots qui me permettront de me rappeler ce que j’ai traversé. Cette après-midi je suis allé voir ce prêteur sur gage un peu louche que je connaissais. Il nous avait aidés quelques fois pour des enquêtes. J’ai pris le nécessaire chez lui, il me devait bien ça. Rien que de toucher la solution m’a soulagé. Comme quoi parfois il suffit d’un rien n’est-ce pas? J’ai pris le temps de le graisser, il ne faudrait pas qu’il s’enraye au pire moment. J’ai mis les balles dans le barillet. Tout est prêt. Je vais aller me coucher, m’allonger, et plonger enfin dans un profond sommeil…


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