Clairement, malgré ses qualités indéniables, Jean-Marc Ayrault n'assume pas
ce rôle. François Hollande est au plus bas dans l'opinion, sa politique est peu
lisible et les ministres peinent à l'expliquer. Ces mêmes ministres n'hésitent
pas à s'opposer les uns aux autres devant toute la France et la majorité
présidentielle se transforme peu à peu en une armée de frondeurs.
Dans l'affaire Leonarda, François Hollande n'aurait jamais du s'exposer
aussi franchement et s'il fallait apporter un soutien à son ministre de
l'Intérieur en difficulté, c'était à Jean-Marc Ayrault de monter au front,
quitte à se prévaloir du soutien sans faille du président de la République.
Pour toutes ces raisons, Jean-Marc Ayrault a failli. François Hollande devra
donc changer de Premier ministre.
Malheureusement pour François Hollande, peu nombreux sont les membres du
Parti socialiste à disposer des qualités requises pour prendre la suite de
Jean-Marc Ayrault. Dans la situation actuelle, le premier nom qui vient à
l'esprit est celui de Manuel Valls. Malgré tout, il est peu probable qu'il soit
choisi: voici pourquoi en 5 (bonnes) raisons.
1/ Sa capacité à "tenir" ses ministres
Manuel Valls est clivant. Ses rapports avec les autres ministres du
gouvernement Ayrault ne sont pas très bons. Ses dissensions avec Christiane
Taubira et Cécile Duflot sont de notoriété publique. Les relations avec les
autres ministres sont plus calmes, mais probablement empreintes d'une certaine
réserve due à sa tendance à la jouer perso et aux jalousies que sa popularité
peut générer. Manuel Valls, Premier ministre, aurait certainement l'autorité
pour tenir ses ministres, mais à la seule condition qu'il constitue un
gouvernement à sa main. Pas certain que François Hollande le laisse
faire.
2/ Sa capacité à tenir la majorité présidentielle
Idem, voire pire encore quand il s'agit du PS. Manuel Valls, Premier ministre,
c'est agiter un chiffon rouge devant la gauche du PS, le Front de gauche et
EELV. C'est acter une cassure nette entre la ligne sociale-démocrate de
François Hollande et le reste de la gauche.
Il est peu probable que François Hollande qui compte déjà ses soutiens sur les
doigts d'un pouce souhaite prendre ce risque. De ce point de vue, son choix
devra se porter sur un profil plus fédérateur: Martine Aubry, par
exemple.
3/ Sa popularité
Si on en croit les enquêtes sur la popularité des politiques, Manuel Valls
tient le haut du pavé. Mais cette popularité est une arme à double tranchant
pour François Hollande. Certes, Manuel Valls serait plus écouté qu'un Jean-Marc
Ayrault, dont le discours porte peu. Il bénéficie d'une crédibilité qui lui
permettra de mieux faire passer les messages gouvernementaux.
Pour autant, le risque est clairement que sa parole supplante la parole
présidentielle et, que compte tenu de la "qualité" de sa communication,
François Hollande souffre de la comparaison. Par contraste, les positions
tranchées de Manuel Valls risquent de faire passer encore un peu plus celles de
François Hollande pour les atermoiements d'un indécis chronique.
4/ Sa personnalité et sa ligne politique
Fondamentalement, Manuel Valls est sur la même ligne que François Hollande,
même s'il s'est opposé à lui lors de la primaire. Il n'y avait déjà pas
grand-chose qui les séparait à l'époque sur la ligne politique et économique,
et encore moins maintenant que François Hollande a rallié clairement, et sans
ambigüité, le camp de la libérale-démocratie.
Malgré tout, les deux hommes ont des personnalités, et une conception de la
gouvernance, assez différentes. Manuel Valls n'hésite pas à aller à
l'affrontement, même avec un membre du gouvernement auquel il appartient (son
opinion sur le projet de loi de Christiane Taubira le montre). Il n'hésite pas,
non plus, à lancer de gros pavés dans la mare comme lorsqu'il a évoqué la
nécessité d'une réflexion sur la politique d'immigration.
Tout le contraire de François Hollande qui recherche à tout prix le
consensus au risque de passer pour un hésitant. Surtout pas de vague, semble
être sa devise. Avec Manuel Valls Premier ministre, des vagues il risque d'y en
avoir, et des grosses façon tempête.
5/ La perspective 2017
Positionner Manuel Valls en tant que Premier ministre peut présenter à la fois
un risque et une opportunité. Manuel Valls brille au ministère de l'Intérieur,
mais rien ne dit qu'il serait aussi populaire en Premier ministre. Son succès,
il le doit à son apparente fermeté qui lui donne l'image d'un homme capable de
restaurer l'autorité de l'Etat. Dans ce rôle, il excelle, car il rassure une
population que l'insécurité réelle ou supposée inquiète. En sortir, même dans
le cadre d'une promotion, présenterait le risque de se retrouver confronté à
toutes les choses désagréables qui font le quotidien d'un Premier ministre de
François Hollande. Pas certain que sa popularité y résiste bien
longtemps.
Dans la perspective de 2017, et pour peu, évidemment, qu'il ait une ambition
présidentielle, est-il vraiment dans son intérêt d'être Premier ministre ?
Sur ce point, les exemples de ces vingt dernières années sont particulièrement
instructifs. Certes, les conditions sont diverses, mais les Premiers ministres
Edouard Balladur et Lionel Jospin n'ont pas franchement brillé, alors que le
ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy a plutôt bien réussi.
De toute façon, au point ou il en est, et quelque soit le futur Premier Ministre, François Hollande semble d'ores et déjà grillé. Valls ou un autre, qu'importe, ce n'est pas d'un Premier Ministre rempart dont il a besoin pour se remettre sur pied, mais d'un faiseur de miracles et un bon faiseur de miracles c'est encore plus difficiles à trouver qu'un bon Premier Ministre.