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La Faute à Voltaire d'Abdellatif Kechiche

Par Transhumain

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Si le premier long-métrage d'Abdellatif Kechiche n'a pas la densité des films ultérieurs du réalisateur, ce n'est pas la faute à Voltaire mais plutôt celle d'une versatilité focale : par excès d'empathie sans doute, comme émerveillée par la découverte d'une constellation de personnalités, ou peut-être par peur que nous ne les regardions pas vraiment, la caméra se fait un devoir de s'attarder sur chaque personnage secondaire, soudain coupé de son rôle précis dans la trame qui le lie à Jallel (Sami Bouajila). Et cet effet-galerie jette une lumière d'autant plus crue sur le jeu légèrement théâtral des comédiens qui, à quelques exceptions près (Carole Franck, Virginie Darmon et surtout Bouajila, formidables) oscillent tous entre instants de grâce – la séquence festive et alcoolisée dans le troquet de Nassera (Aure Atika), la partie de pétanque à deux doigts de tourner au jeu de massacre, la cuite de Franck (Bruno Lochet) – et numéros d'acteurs parfois amusants (la gouaille attendrissante de Franck/Lochet, la charmante vulgarité de Nacera/Attica, les dingueries douces des pensionnaires de l'hôpital psychiatrique), parfois agaçants (les gimmicks et minauderies professionnelles d'Elodie Bouchez, dont le personnage de nymphomane infantile n'émeut que de loin en loin, lorsque la comédienne se dépouille enfin de sa technique, le temps d'un moment de détresse ou de complicité charnelle), mais toujours à contretemps.

 

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Ne nous méprenons pas, cependant. Réalisé en 2000 (on y paie encore en francs !) La Faute à Voltaire est déjà une franche réussite, notamment grâce à un remarquable Sami Bouajila et à une mise en scène qui fait plus qu'esquisser les magistrales réalisations à venir. Une scène en particulier, parmi les plus belles du film, synthétise à elle seule l'essence et la forme du projet kechichien. Sous l'oeil du caméscope d'un ami, Jallel et Nassera, qui s'apprêtent à contracter un mariage plus ou moins blanc dans une mairie d'arrondissement, surjouent avec leur joyeuse troupe de bras cassés une liesse un peu artificielle – impression justifiée quelques instants plus tard quand Nassera, rattrapée par ses fantômes, s'enfuit avec son enfant – mais où se révèle tout un continent d'émotions, de blessures, d'espoirs, de désirs et de désillusions, fragments bouleversants de leurs vies minuscules. Voici résumée – et, comme dans les films suivants, redoublée par une mise en abyme réflexive – l'ambition singulière du cinéma d'Abdellatif Kechiche : se glisser au plus près des acteurs, mêler, dans une veine réaliste dont on connaît les prédécesseurs, leur substance à la diégèse, mais aussi montrer l'envers du décor et transformer un sujet-thème (l'immigration clandestine, la banlieue dans L'Esquive, le chômage dans La Graine et le Mulet, l'obscénité coloniale dans Vénus Noire, l'homosexualité et la lutte des classes dans La Vie d'Adèle) en sujet-individu (un visage, un corps, un environnement, un passé, des désirs), débarrassé de toute scorie didactique ou misérabiliste. Il suffit d'ailleurs que son statut de sans-papier rattrape brutalement Jallel dans l'un des derniers plans pour que soudain la caméra s'éloigne, figée, distante, pudique ou impuissante.

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