Le festival de vidéo LOOP, qui vient de se tenir à Barcelone, est une excellente occasion de rencontrer artistes, galeristes et amateurs, et aussi de découvrir de nouvelles vidéos ; cette année, ce sont surtout des vidéos centrées sur le corps qui ont retenu mon attention.
La plus étonnante était celle de la Finno-Américaine Pia Lindman (galerie Luxe à New York) qui lit d’abord, sur plusieurs modes mais d’un ton aussi détaché et peu sensuel que possible, un poème érotique d’Apollinaire sur les neuf portes du corps de sa bien-aimée.
O Portes de ton corps
Elles sont neuf et je les ai toutes ouvertes
O Portes de ton corps
Elles sont neuf et pour moi se sont toutes refermées
Suivent neuf séquences d’une minute, chacune étant la compression d’un film d’une heure : son visage est maintenu par un appareil qui pénètre sa bouche, son oreille ou sa narine. Par manque d’audace ou par pudeur, les deux dernières portes mentionnées par Apollinaire ne sont pas montrées. La partie de son corps proche de cet étau reste immobile, fixe, et donc clairement visible pendant l’heure de film ; le reste de son visage bouge et paraît donc flou pendant la séquence réduite. Son beau visage est donc non seulement déformé par ces étaux et ces tiges, mais aussi “flouté” par ce procédé, rendu méconnaissable, imperceptible. Elle n’exprime rien, impassible par force, et son visage n’est plus qu’une pure forme, une essence de visage. A partir d’un poème érotique, elle arrive à une dépersonnalisation, une minéralisation asexuée aux antipodes de son point de départ. Fascia est une vidéo dérangeante et fascinante.
La jeune Anglaise Jemima Burrill montrait à la galerie lyonnaise Olivier Houg deux vidéos plus physiques sans doute, mais non moins étranges. Dans At Home (visible ici), on ne voit jamais son visage, mais seulement ses pieds, ses jambes, ses fesses. Elle ne cesse de disparaître, de nous échapper, derrière des tentures, sous des tapis, entre des couvertures. Un jeu de cache-cache, d’évitement, de retraite tout à fait séduisant. Sa vidéo The cleaner (visible ici) est plus déconcertante : une femme de ménage utilise son corps pour faire son travail : elle nettoie une porte en frottant son cul contre elle avec énergie, elle polit une table cirée avec son pubis, elle frotte ses seins sur un plan de travail comme sur le torse d’un amant, elle aspire la poussière sur le manteau d’une cheminée comme une ligne de coke. Un peu séduit, un peu rebuté, vous finissez par tiquer quand elle utilise ses cheveux comme balayette de chiottes. Absence et négation du corps, devenu fantôme ou ustensile, mais qui de ce fait attire le regard, voire le désir.
J’ai aussi découvert une nouvelle vidéo de Grace Ndiritu, Still Life, à la galerie DNA de Berlin, où l’artiste, nue derrière une tenture en tissu wax, dévoile des lambeaux de son corps noir et musclé dans une chorégraphie ambigüe et innocemment séduisante.
Plus visible, mais tout aussi caché, est le corps de Patty Chang dans Fan Dance, à la galerie Arratia Beer de Berlin : l’artiste-actrice danse frénétiquement cependant qu’un ventilateur puissant projette de la peinture sur son corps et sur le mur derrière elle. C’est un spectacle sauvage, dionysiaque, violemment sensuel. Au bout d’un moment, tel un caméléon, elle se confond presque avec le mur ; ses formes deviennent cachées, peu lisibles, annihilées par la peinture.
Couvert lui aussi de peinture gluante, l’acteur finlandais de Hannu Karjalainen à la galerie Taik d’Helsinki tente, lui, péniblement d’en émerger, de survivre, de respirer, de rouvrir les yeux, de renaître.
Après tous ces corps insaisissables qui disparaissent de mille manières, la vidéo de Jean-Luc Vilmouth chez Aline Vidal, You and me (2), revient dans le réel, dans la séduction : pendant de longues minutes, les acteurs à l’écran déploient tous leurs trésors de séduction pour le spectateur, pour l’œil de l’objectif. Chacun, homme ou femme, blanc ou noir, jeune ou vieux, a son style, sa manière : rien de plus fascinant que de les observer, que de se prendre au jeu.
Enfin, pour un répit après tous ces corps, Misty worlds, de très beaux paysages enneigés d’Andrea Loux chez Bernhard Bischoff, d’une douceur et d’une poésie sans pareilles.
Pia Lindman et Jean-Luc Vilmouth: copyright ADAGP. Conformément aux exigences de l’ADAGP, les photos des oeuvres de ces deux artistes seront ôtées du site au bout d’un mois.