Face à la faillite à venir
Publié Par Aurelien Biteau, le 29 octobre 2013 dans PhilosophieSi la faillite de la France est inéluctable, il ne faut pas pour autant la désirer, mais la craindre et s’y préparer en manifestant son engagement envers la liberté.
Par Aurélien Biteau.
Puisque l’on tient pour à peu près certain que l’État français va faire faillite, soit en étant incapable de financer ses dépenses, soit en déguisant cette faillite par l’inflation massive ou autres délicats procédés, il faut se demander d’une part si cette faillite est désirable, et j’ai tenté de répondre à cette question dans mon précédent article, et d’autre part ce qu’il convient de faire, en tant que libéraux, face à la faillite qui arrive.Il n’y a pas, parmi les libéraux, d’unanimité dans la ou les réponses à donner à ces questions. Bien sûr, chacun est libre de se préparer à sa manière. Toutefois il me semble difficile de s’épargner la réflexion, et suite aux commentaires et réactions suscités par l’article précédent, je souhaite apporter quelques points de précision. En un sens, l’étude du cas de la faillite de l’État s’affirme comme un révélateur des postures générales, mais profondes, des diverses opinions libérales sur la chose publique.
La position que je défends est la suivante : si la faillite est inéluctable, il ne faut pas pour autant la désirer, mais la craindre en tant que menace à l’équilibre de l’ordre social et de la Nation, et s’y préparer en manifestant son engagement envers la liberté. Cette position a suscité des objections et l’expression d’autres positions sur lesquelles je veux revenir.
Première position, qui est une objection : la Nation est une idée socialiste, si ce n’est collectiviste. La faillite de l’État est désirable parce que le carcan collectiviste qu’est la Nation disparaîtra avec lui et sa chute libérera l’individu de toute contrainte collective, le laissant libre.
Évidemment, la Nation n’est pas une invention socialiste. La France n’est pas apparue tout d’un coup dans l’esprit de chacun aux XVIII-XIXè siècles avec le socialisme.
Elle n’est pas plus un collectivisme, dans la mesure où la Nation n’est ni une théorie, ni une pratique politique, mais une réalité, certes difficile à définir, une « chose vivante »1 qui s’impose d’elle-même comme la famille, favorise le développement des individus et s’offre comme terreau à leur liberté. La faillite de l’État français risque bien d’affaiblir, par contrecoup, cette Nation qui est un des plus grands biens de chaque Français.
L’esprit rationaliste, ou du moins qui souffre d’un excès de rationalisme, est bien incapable d’appréhender la Nation, précisément parce que la Nation ne se trouve pas dans les idées abstraites de la raison, ni ne peut se recomposer ou être reconstruite à la manière d’un exercice de géométrie tel qu’on a pu la pratiquer pour fonder des contrats sociaux ridicules, mais s’affirme comme une réalité naturelle reconnaissable, aux implications politiques importantes, comme je le montrerai par la suite. Les libéraux n’ont rien à gagner à l’ignorer.
Seconde position, qui est une autre objection : La faillite est désirable parce que l’État mis à terre par son déclin, nous pouvons espérer qu’émerge la liberté, chose que nous ne pouvons pas espérer aujourd’hui avec l’État toujours colosse malgré ses pieds d’argile. Il faut donc faciliter cette faillite en affamant l’État et du chaos, peut-être, sortira la liberté réclamée par des Français qui auront compris la leçon. Il ne faut pas trahir cet espoir en manifestant ses craintes car l’État pourrait y trouver un appui dans sa propagande.
Cette position a certes le mérite d’être vindicative et sans compromis, mais les libéraux qui la tiennent font un pari extrêmement dangereux. Cette position est bancale car elle ne donne aucun indice sur la façon de faire émerger la liberté à la suite de la faillite de l’État. En se concentrant sur la faillite, et en souhaitant l’accélérer, elle omet l’essentiel, qui est la liberté elle-même et la voie de son acquisition.
Par ailleurs, son postulat ne semble pas clairvoyant. Le chaos n’est pas une tabula rasa sur laquelle peut se fonder totalement une nouvelle organisation politique, un nouvel ordre, un nouveau droit – et comment ? Tout au contraire, la faillite d’un État et le chaos qu’elle provoque n’est pas un affaiblissement réel de l’État : comme le remarque judicieusement Michel Foucault dans Sécurité, Territoire, Population, les crises de l’État et les coups d’État sont des manifestations éclatantes de la raison d’État, elles sont un gain de vitalité de la raison d’État, revivifiée, et non pas un coup fatal porté contre la raison d’État. Le moment où l’État est le plus faible n’est pas la faillite, le chaos, mais la période qui précède ces moments fatidiques. Ceux-ci s’affirment comme étant l’occasion de recentrer à tout prix l’État moderne sur sa fin, sa propre conservation.
Si l’État n’est pas au mieux de sa forme dans la faillite, les individus sont quant à eux plus affaiblis encore, d’abord parce que l’environnement familier dans lequel ils ont appris à se développer a disparu, mais aussi parce que la faillite (qu’on leur aura fait payer de toute façon) ne peut que provoquer la division et le processus de dissolution de la Nation entre les divers clans qui se disputeront l’espoir d’un nouvel ordre. État faible donc, mais conservation du rapport de force vis-à-vis des individus, si ce n’est un renforcement de la position de l’État dont le retour risque bien d’être espéré vivement, quelqu’en soit le prix.
À ce titre, les idiots utiles ne sont peut-être pas à chercher chez ceux qui manifestent leurs craintes.
Troisième position, qui est un contraire de la seconde : Chacun doit faire son choix, mais le bon conseil est de quitter la France, car on peut trouver des conditions de vie plus libres et de meilleures qualités à l’étranger, et surtout, si la faillite est inéluctable, il n’y a aucun espoir qu’en émerge la liberté car les libéraux ne peuvent pas se faire entendre et n’ont pas les armes nécessaires à la reprise du pays.
Effectivement, le combat libéral est perdu d’avance : il y aura non seulement faillite, mais aussi très peu d’espoir, si ce n’est aucun, que le libéralisme émerge du chaos. En tant qu’individu, et pour notre propre sécurité et bien-être, partir semble la meilleure solution.
Je ne me permettrai jamais de critiquer ce choix, qui ne manque pas de sagesse. L’ouverture sur l’extérieur est bonne par ailleurs. Toutefois, quelques commentaires peuvent être faits.
Le souhait d’être neutre vis-à-vis de l’évolution de son pays et de s’affranchir de la politique et de ses problèmes impératifs, au fond le désir profond de l’exil, ne peut pas être réalisé. Comme je l’avais signalé dans mon précédent article, le fait est que nous sommes Français, et qu’ailleurs nous sommes des étrangers. Le bon accueil que l’on reçoit chez les autres tient directement du prestige de sa Nation. On ne reçoit pas un Français comme on reçoit un Mexicain (ou autre), et ce quelles que soient les règles de bienséance et d’hospitalité.
Nul ne peut se débarrasser de sa Nation, elle colle à la peau, et plus encore, à l’esprit. L’étranger n’est pas un compatriote, et surtout, un Français à l’étranger n’est pas le compatriote des nationaux. On peut bien vivre à l’étranger, mais son sort dépend toujours de la France. Aucun expatrié n’a un quelconque intérêt à voir dépérir la France. C’est au contraire plus vital encore pour lui que pour ceux restés en France que sa Nation conserve son prestige et la santé. Sa dépendance vis-à-vis du destin de son pays est d’autant plus grande qu’il est à l’étranger. On peut faire le pari d’ignorer cette dépendance, mais ceci est assez incompréhensible quand on reconnaît que la France court un grand danger à cause de l’État obèse qui la tue. La prudence est une vertu.
De plus, le Français a toute légitimité de se soucier de l’avenir de son pays, il n’en a aucune quant à l’avenir de son pays d’accueil et il en perd à l’étranger quant à son pays natal – même si c’est malheureux. Or à l’étranger aussi existe cette maudite politique. On y tient aussi des débats, on prend des positions, des partis s’affrontent, des idéologies se forment, des États grossissent et des Nations sont menacées. Mais cette fois, le libéral français n’a pas son mot à dire. Il ne peut que subir. Si les perspectives à long termes sont ternes, voire noires en France, rien ne garantit la conservation de la santé des pays d’accueil. On voit bien que la route prise par la plupart des grandes Nations n’est pas toute droite et pas parfaitement éclairée. Elle risque d’ailleurs d’être assez tordue si la France décline sérieusement.
On ne s’affranchit pas de la politique et de sa Nation, cause de quoi l’exil n’est pas une raison suffisante au désengagement. La question n’est donc pas entre rester se battre ou partir, elle est entre s’engager ou ne pas s’engager.
Quatrième position : La faillite est inéluctable, il faut d’urgence préparer voire imposer un programme libéral, instaurer la démocratie directe, etc.
Préparer un programme libéral est très important. Il faut toujours être prêt, aussi faibles soient nos chances. Mais un programme est très insuffisant. Ce qu’il faut, c’est une connaissance de la politique, de ses règles, de ses jeux, de ses réseaux, de la bonne communication, de l’affrontement, du débat, et une maîtrise des compétences nécessaires à la pratique de l’État et du pouvoir – quitte à les acquérir auprès de l’adversaire lui-même. Tout ça ne s’improvise pas, et l’acquisition de ce savoir nécessite une expérience que la pureté doctrinale ne peut sacrifier, même si c’est sale.
Plus encore qu’un programme, ce qui est absolument nécessaire à chacun de nous ce sont des convictions profondes, enracinées et nourries qui puissent fonder notre engagement. Or l’engagement n’est pas la simple discussion d’un point de programme, il est un investissement dans la « guerre » politique. L’adversaire est fort et maîtrise amplement les règles de la politique. Il faut que les libéraux y acquièrent de l’expérience. Si l’ensemble du terrain ne peut être acquis, il faut pourtant s’y trouver une place, même minuscule, s’y retrouver, s’y rassembler, y résister et ne pas la lâcher. Que l’on soit en France ou à l’étranger, l’impératif est le même, comme j’espère l’avoir démontré.
Si vous êtes libéral, c’est que vous avez de profondes convictions et que vous savez à quel point la chose publique n’est pas à prendre à la légère et qu’on ne peut pas y faire n’importe quelle politique ou laisser n’importe quelle idéologie s’y développer. Vous en reconnaissez la grande importance, la primordialité : vous ne pouvez donc pas vous permettre de vous en détourner. Vous ne pouvez ignorer que vos convictions bien nourries font déjà la différence entre vous et la plupart de la population et vous placent en position d’être proches du pouvoir. Il vous faut donc jouer le jeu de la politique et vous intégrer aux réseaux libéraux, car vous êtes une ressource de premier plan dans le combat pour la liberté.
Je ne tiens pas ma position comme étant la seule recommandable, et je vois bien la faiblesse qu’il y a à la tenir lorsqu’on est jeune. Je n’espère pas non plus avoir fait le tour de toutes les positions libérales.
Mais il paraît que ce combat n’a aucune chance d’aboutir positivement. Peut-être. Mais s’il n’est pas mené, il est absolument certain que rien de positif n’aboutira pour personne. Le long terme compte aussi. La simple conservation et la transmission des idées de liberté en temps troubles vaut la peine d’un engagement ne serait-ce que minimal.
- Les « choses vivantes » s’opposent aux abstractions pures d’une raison qui tournerait en roue libre à la façon des rationalistes et autres défenseurs du contrat social. Voir, entre autres, Charles Maurras, Mes Idées Politiques, d’où je me permets de tirer l’expression. ↩