Arcade Fire change son son, pour le meilleur et pour le pire. Préparez-vous à une période d’adaptation.
Il est toujours à peu près impossible de s’attaquer à un album aussi attendu sans avoir peur de ce que l’on va écrire. Peur de publier un article et de changer d’avis trois jours plus tard. Peur d’avoir complètement tort et de glorifier un album de merde, ou de démolir un album qui se révélera, au final, excellent. Et quand le groupe qui a composé cet album est Arcade Fire, groupe majeur s’il en est un, cet effroi est encore plus massif.
D’entrée de jeu, je me découvre : je suis un fan fini d’Arcade Fire. Depuis Funeral, que j’écoutais en secondaire 3 alors que mes amis de l’époque trouvaient que c’était de la musique poche, tout ce que ce groupe a produit est venu me chercher droit au coeur. Droit au cerveau. Je peux me tapper The Suburbs à répétition sans m’écoeurer et chanter à tue-tête les pièces de Neon Bible jusqu’à ce que ma voix mue comme quand j’avais 14 ans. Arcade Fire est ce genre de groupe, capable de te posséder de la tête aux pieds jusqu’à ce que tu te prennes pour Win Butler sur scène en train de gueuler « I guess we’ll have to adjust » devant un Madison Square Garden plein à craquer.
Et là, arrive Reflektor. Superbe mise en marché, plus gros hype de l’année (désolé Board of Canada) et critiques extrêmement élogieuses jusqu’à présent.
Il s’agit d’un album double, avec, selon le groupe, deux faces distinctes. C’est à moitié vrai. D’une certaine façon, l’album est très uni. Le groupe a été fortement influencé par ses nombreux voyages à Haïti. Le son est tropical, avec des percussions inspirées des Talking Heads et James Murphy (qui a d’ailleurs produit une partie de l’album). La présence de ce dernier se fait énormément ressentir. Reflektor est plus dansant, groovy que les trois premiers disques d’Arcade Fire.
Ceux qui ont adoré la chanson Sprawl II (Mountains Beyond Mountains) seront ravis. Les sonorités baignent dans le new wave et parfois même dans la pop synthé, dans une certaine limite. Here Comes the Night Time II, It’s Never Over (Oh Orpheus), Porno et Supersymmetry sont propulsées en grande partie par des sons synthétiques très loin des habituelles envolées de cordes auquel le groupe nous a habitués. Ça pourrait décevoir certains fans. Dont moi.
Ce n’est pas que Arcade Fire manque la cible avec Reflektor. Les chansons sont, encore une fois, majestueusement composées. Mais ce son synthétisé, très 80’s, commence à devenir très répétitif. Un peu tout le monde se décide à sortir son album new-wave-avec-des-sons-de-claviers-sans-trop-sortir-de-notre-son-habituel. Les Yeah Yeah Yeahs l’ont fait (It’s Blitz!), Vampire Weekend aussi (Contra, dans une certaine mesure) et une panoplie de groupes baignent dans ces eaux aussi (Young Galaxy, M83, etc).
Il y a aussi d’étranges inspirations Beatles-esques avec Here Comes the Night Time II et Awful Sound (Oh Eurydice) qui cadrent un peu mal avec la discographie du groupe. Comme si ces chansons manquaient d’hymnes aréna-grandioses nous donnant l’impression que notre vie, que nos amours et que notre futur est en jeu.
Tout n’est pas perdu. Loin de là. Les hymnes époumonants existent bel et bien sur Reflektor (Reflektor, Here Comes the Night Time, Afterlife) et le disque comporte d’autres joyaux surprenants. Joan of Arc avance sur une base blues rock presque inspirée des Black Keys pour accoucher d’un refrain où la basse casse tout. Cette basse qui, d’ailleurs, est le point central de plusieurs morceaux du disque. Supersymmetry a le même effet qu’a eu Beth/Rest sur le dernier disque de Bon Iver : morceau soft, un peu en dehors des autres, mais superbement magique et profond.
Difficile de faire un constat final sur cet album. Je ne l’ai peut-être pas assez écouté. Je suis peut-être trop fan pour me faire une idée claire et précise. Je suis peut-être déçu de la tournure 80’s synthétique prise par le groupe, risquant de m’ennuyer des violons de Owen Pallet et Sarah Neufeld. Je me demande encore comment le groupe va faire pour mélanger leurs nouvelles chansons avec leurs anciennes lors de la prochaine tournée. Si Funeral reste leur meilleur album, Neon Bible celui qui confirme leur talent, The Suburbs celui qui leur a permis d’émerger dans le « mainstream », Reflektor est le disque où Arcade Fire s’amuse et nous fait danser. J’imagine qu’à la longue je vais m’y faire.
Je n’en doute pas. Ça reste Arcade Fire, malgré tout.