Lourde tache que de « chroniquer » cet album, tant l’attente fut longue et l’excitation à son comble. Il fait la quasi unanimité et il faut dire qu’il y a de quoi être dythirambique. Lourde tache également, puisque ça n’a pas été si simple que cela d’appréhender cet album.
Une simple notification peut parfois suffire à faire battre ton coeur à cent à l’heure. « Pensée à Justine, je suis enfermée dans une salle chez Universal pour écouter l’album d’Arcade Fire. Il va te rendre folle!« , déclare Swann. Et Thomas de répondre « D’ailleurs il vient de leaker. ». C’en était trop, il fallait que je rentre fissa à la casa. Entre temps, le groupe l’avait divulgué en entier via sa chaîne YouTube.
Histoire de garder un semblant de rituel de pré-écoute (souviens-toi du temps où tu devais attendre une date précise, aller acheter le CD et l’avoir en main pour pouvoir l’apprécier … eh oui, il y a des fois où l’on regrette l’ancien temps), je me suis fixée une heure, 22h, pour entamer l’écoute. Histoire de sentir l’excitation monter. 21h55, je fais le lit, le pare de ses plus beaux coussins. 21h59, j’éteins la lumière. Enfin, j’appuie sur play. S’en suit une heure et demie de déception la plus totale. « Dieu » James (Murphy), qu’as-tu fait de mes merveilleux Arcade Fire ? Une compote consolatrice plus tard, non-contente de m’être pris la gifle de l’année, j’en passe une deuxième couche. Que n’ai-je pas fait là ?
Depuis maintenant trois jours, il m’est impossible de décoller mes oreilles de cet album. Ces Canadiens sont de vrais magiciens. Rien de plus facile pour eux que de composer un album à des années lumières de ce que tu attendais de leur part, mais dont tu as l’impression de connaître les moindres notes depuis des années. Totalement nouveau, mais si familier. Alors, tu te mets à chercher des explications.
Serait-ce grâce à l’emploi de sonorités autrefois attribuées aux Grands ? Les multiples synthétiseurs et le jeu de batterie empruntés à James Murphy (LCD Soundsystem), cette basse jamaïcaine sur « Flashbulb Eyes », les grelots du refrain de « Normal Person » à la I Wanna Be Your Dog, la mélodie de guitare de « You Already Know » qui rappelle le son des Smiths, le très Blondie « Joan Of Arc« , le petit bout de batterie passée au phaser avant les refrains d’ »Aweful Sound » typiquement Beatles, …
Non. c’est bien plus. The Arcade Fire a un don pour créer une musique qui touche, qui va droit dans tes émotions. Comment à présent ne pas parler de la sublissime voix de Win Butler (avec un prénom comme ça, en même temps …). On a vu par le passé qu’elle se mariait à merveille aux violons et aux cuivres, on a désormais la preuve que tout lui va, même le groove. Régine quant à elle, souvent décriée, a trouvé sa juste place dans les compositions. Ses ajouts sont toujours justes, en rien superflus. On en a l’illustration sur la splendide « It’s Never Over (Hey Orpheus) », mais ça, on en reparlera un peu plus bas.
La séparation de l’album en deux parties distinctes est au final naturelle, dûe à la longueur, évidemment (1h30 au compteur), mais aussi à la différence entre les deux atmosphères qui s’en dégagent. Spontanée et brumeuse. La première est un recueil de tubes, qui passent du rock brut à la pop-disco tout en évoquant le psychédélique, là où la deuxième est davantage dans la recherche de sonorités et la mélancolie. Et pourtant, aucune chanson n’est de trop. Même sur 1h30. Un coup d’éclat et de génie, comme s’il en manquait un à leur discographie.
Alors oui, cet album pue l’amour. À des milliers de kilomètres. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que le film ayant servi de bande visuelle à l’album sur YouTube ait été Orfeu Negro, de Marcel Camus. Il est question de ce mythe d’Orphée aux Enfers tout au long de l’album. En même temps, quelle plus belle évocation de l’amour ? Parfois touchant (« It’s Never Over« ), parfois brut et sensuel (« Flashbulb Eyes » et « Porno« ), il est omniprésent. Les textes de M. Win Butler y sont pour beaucoup dans cela. Comme à l’accoutumée, on est dans le Beau, sans être lourd, en passant par la métaphore. « When love is gone, where does it go ? » …
Et puis, fait marquant dans l’évolution des sonorités du groupe : la basse est ici ultra présente, et ça fait du bien. Elle apporte son penchant sale, lourd, appuie de manière colossale les mélodies et surtout les synthés. C’est ce qui manquait à ce groupe.
Ce n’est qu’au bout d’une bonne vingtaine d’écoutes que j’ai pu enfin décider d’un « classement » (oui, les guillemets sont nécessaires, puisque tout est bon dans l’Reflektor). Ce serait donc :
1 – « It’s Never Over (Hey Orpheus) » : la perfection incarnée. Démarrant dans la lourdeur et la force (notons quand même cet intro, la meilleure de l’album, de l’année, de la décennie, …), elle revêt peu à peu une fragilité palpable, notamment grâce à la voix du chanteur lors de l’interlude, puis de ce dialogue magnifique entre les deux amoureux qui la clotûre. Une sublime mise en mots du mythe grec d’Orphée et Euridice qui arrive très facilement à nous tirer les larmes. Le point d’orgue de l’album à n’en pas douter.
2 - »Afterlife » : elle a tout d’un tube. Même l’enchaînement d’accords à la Christophe Maé. Et pourtant, ça marche. Cette simplicité déconcertante, agrémentée de cuivres typiquement Arcade Fire, en fait la chanson que l’on se voit déjà chanter, voire hurler, en concert, quelque part entre Rebellion (Lies) et Neighborhood #3 (Power Out). Oui, cette chanson a ce quelque chose de jouissif, quand arrive le refrain, elle te colle un sourire béat aux lèvres, la beauté des mélodies du groupe frappe encore un grand coup.
3 – « Here Comes The Night Time » : ça démarre en fanfare. Puis ça ralentit. Bongos. Ça prend le temps d’installer la chanson. Et ça change de rythme. Jubilation. Ce changement de rythme est la chose la plus intelligente de l’album. Comment transformer une chanson aux accents haïtiens bien prononcés en une petite mélodie enfantine et enjouée à la Close To Me aussi simplement ? Comment avoir pensé à ça ? Puis ça repart en fanfare et ça ralentit à nouveau. Arcade Fire ou l’art de créer des chansons bancales qui tiennent la route.
4 – « Reflektor » : première mise en bouche de l’album. Et quelle mise en bouche ! Cette longue traversée du disco, dans la logique de certaines chansons de leur précédent album, est sans doute la marque la plus forte de la production James Murphy. Une flopée de sons synthétiques, toujours ces bongos, une rythmique caractéristique LCD Soundsystem … Et David Bowie, dont l’intervention n’a, à mon avis, pas grand intérêt, si ce n’est d’ajouter une étiquette « prestige » à une chanson qui n’en avait pas réellement besoin. Qu’importe, il est là, c’est l’essentiel et ne boudons pas notre plaisir.
5 – « We Exist » / « Porno » (ex aequo) : deux atmosphères totalement différentes pour deux chansons piliers de l’album. D’un côté, un rock electro qui colle, qui monte crescendo en puissance, un Bowie passé sous synthétiseurs, avec la batterie de Billie Jean. De l’autre, un chant qui se fait trainant, une tension sexuelle qui se fait palpable, l’évocation de Depeche Mode qui se fait inévitable.
La musique, c’est avant tout faire passer des émotions. Et ça, Arcade Fire l’a compris de longtemps et nous en offre la preuve encore une fois avec cet album, si riche, si touchant, si groovy, si beau. Un groupe résolument prêt à grimper vers les sommets de la musique mondiale, avec un album qui deviendra rapidement une référence.