
De ce pays on connait bien Brancusi, Cioran, Ionesco ... Nous sommes invités à découvrir maintenant 13 artistes appartenant à deux générations (avant et après la chute du bloc soviétique), travaillant soit à Bucarest, la capitale historique de l'avant-garde roumaine, soit à Cluj-Napoca qui est l'épicentre transylvanien de la création contemporaine.
Un grand nombre d'entre eux sont originaires de la Fabrique de Pensule (une ancienne fabrique de pinceaux) où s'est installé le galeriste Mihai Pop qui a donné à sa galerie le nom signifiant de Plan B.
Adrian Ghenie ne présente qu'une oeuvre, mais elle a produit un grand effet le soir du vernissage auprès des roumains invités ce soir là. Le titre est sans équivoque, Dr Josef. C'est le portrait du médecin qui a fait tant d'expériences sur les juifs au cours de la seconde guerre mondiale. Il le montre monstrueux, sous un chapeau de chasseur ... lui qui fut un grand prédateur avant d'etre chassé lui-même par l'Histoire. La couche de peinture est très épaisse, striée par le couteau. Nous sommes à la limite entre figuratif et abstraction. On pourrait songer un instant à un collage sur photographie.
Mais ce sont les très grandes oeuvres de Mircea Suciu qui frappent l'esprit dès l'ouverture des portes de l'ascenseur.
Avec Leading the blind il se situe sur le registre de l'enfermement. On peut s'interroger sur le motif de cette tête plongée dans une boite qui le rend prisonnier alors qu'il pourrait s'en afranchir puisqu'elle est ouverte. Est-ce pour se cacher (ou plutôt pour ne pas voir ... ? L'artiste nous donne sa réponse en faisant référence à un tableau de Pieter Bruegel l’Ancien que l'on devine en filigrane, La parabole des aveugles (1568). Les aveugles se suivent, les uns tenant chacun l’extrémité d’un bâton, les autres posant la main sur l’épaule de ceux qui les précédent. Le premier, qui ouvrait la marche est tombé dans une fosse à purin, et il entraînera tous les autres. La chute se pressent.

L'artiste emploie une sorte de stumato en projetant du charbon de bois pour créer un effet de lumières et de clair-obscur. Au moment d'achever son oeuvre il peut ajouter de la poussière ou ses propres larmes.

Sur le mur d'en face, Simon Cantemir Hausi ne nous en dit pas davantage avec une barque verte flottant sur une eau émeraude. Au spectateur de s'imaginer sa destination. Cet artiste qui appartient lui aussi à la "seconde génération", celle de ceux qui furent adolescents sous le communisme, a subi les influences de Turner et de Monet.


Serban Savu s'intéresse au quotidien, et aux fait apparemment anodins. Il dénonce le socialisme en le banalisant. Chaque détail compte. Dans Painters, ce sont deux hommes qui tracent les lignes jaunes de séparation des places d'un parking d'immeuble où la vie est en train de s'organiser. A cote, Landscape with Clerk, paysage avec un employé, on se demande quel secret l'homme détient dans sa sacoche .. Osera-t-il abandonner en pleine campagne des pièces à conviction qu'un autre brûlerait, sous le regard insouciant d'une famille en plein pique-nique. Le tracé des voies (un chemin, une route, des rails) ne mène nulle part mais forme un triangle.

Il peint en surplomb depuis son studio et revendique sa position de voyeur. le même camion est stationné dans Tomato Garden, décor implicite de probables trafics ou référence au marché noir.

L'endroit est sa propre chambre d'enfant et on constate qu'il a recours toujours aux mêmes modèles. Un "petit" tableau a été obtenu en découpant un visage dans une toile plus grande. C'est le même garçon que l'on voit assis sur la banquette. Mais, bien entendu l'origine des ombre chinoises se situe désormais hors cadre.
The astronomer nous montre son lit d'enfant sous le ciel étoilé d'un jardin romain.










Pour prolonger la réflexion sur les changements qui ont marqué le bloc de l'Est et leurs conséquences je vous recommande la lecture de Mausolée, même si l'action se situe en Bulgarie. C'est un roman que j'avais découvert alors que j'étais juré du Grand Prix des lectrices de ELLE. Rouja Lazarova a été inspirée par des faits réels. Mausolée se lit comme tel et à double sens. C'est le récit monumental des petites et grandes humiliations quotidiennes, la dénonciation de la duplicité du système, la différence de comportement entre l'extérieur et le domicile. C'est aussi un hymne à la vitalité des habitants, à leur volonté et leur courage. A leur lutte incessante et désespérée contre la paranoïa qui a fini par imprimer leur patrimoine génétique, les empêchant de croire les informations publiées sur du papier journal.
Espace culturel Louis Vuitton, 60 rue de Bassano, 75008 Paris, 01 53 57 52 03du lundi au samedi de 12 à 19 heures, dimanche et jours fériés de 11 à 19 heures