1. La conception publicitaire
La création est sûrement un des sujets les plus difficiles à traiter en publicité. Contrairement à l'œuvre d'art, la création du publicitaire est toujours destinée à une cible précise ayant des motivations qui sont propres, suivant une stratégie marketing préalable. Cependant, il ne faut pas ignorer le génie des artistes créatifs qui se chargent de la conception des spots publicitaires. Sans ce génie artistique, la publicité risque de perdre sa force persuasive et de rater la cible visée. Comme l'avance Henri Joannis, le marketing et le génie artistique sont indissociables. Il est vrai que la création publicitaire relève surtout du domaine de l'imagination et de l'innovation. Cependant, une certaine méthodologie d'ordre professionnel doit régir cette création pour éviter tout risque de nuire au facteur de la qualité. C'est pourquoi la faiblesse du secteur publicitaire marocain est expliquée par un manque de cadres professionnels et compétents en la matière. Le professionnalisme doit partir d'un postulat de base : " communiquer quelque chose qui fera acheter le produit "( ) . Le point de départ doit en être le monde du consommateur et non celui de l'émetteur. De ce fait, une stratégie publicitaire doit faire ressortir la raison d'acheter un produit.
Jusqu'à ces dernières années, la création au Maroc n'était pas très développée. Le manque de cadres et le faible budget alloué expliquent cette situation. Actuellement, une certaine évolution se dessine, mais c'est loin de répondre à l'attente générale. On constate, en effet, que c'est toujours l'axe affectif (famille, amitié, réussite...) qui anime le processus de création publicitaire au Maroc. Le bonheur de la consommation est l'idée qui résume tous les spots qui passent sur la télé. De ce fait, et à défaut d'une création réelle et d'un esprit inventif, l'innovation se limite souvent au niveau esthétique, celui de la réalisation. Un autre problème persiste toujours : dans pratiquement toutes les agences, ce sont des français qui dirigent le pôle de création. Pour Souâd Benyahya : " Les écoles de graphisme sont de création relativement récente au Maroc, ce qui explique qu'il n'y a pas sur le marché de directeurs artistiques dotés d'expérience."( ).
Ceci pose le problème du message identitaire véhiculé par le spot, surtout que la responsabilité du créateur est grande et que toute erreur est fatidique. Cependant, riposte S.Benyahya, il ne faut pas être aussi catégorique : " dans ce métier, explique-t-elle, nous travaillons à partir de codes universels et de mécanismes de base communs de tous les professionnels de la publicité (...) créer une compagne pour un annonceur ce n'est pas open ! le créatif n'est absolument pas livré à lui-même (...) ".
Les carences réglementaires contribuent également aux difficultés que connaît la création publicitaire au Maroc. Quelquefois, plusieurs agences sont mises en compétition par un annonceur. Il est très fréquent de voir dans le spot publicitaire de l'agence choisie plusieurs idées des campagnes des autres agences.
2. Concevoir un spot publicitaire
a. Le temps
Le spot publicitaire est souvent appelé à raconter et à représenter en détail les événements et les scènes qui constituent le spot. Image, son et mouvement se combinent en une durée de 15 à 30 secondes au plus pour donner l'illusion que tout est possible dans un spot publicitaire : c'est ce qui explique, en partie, le nombre de spots surchargés de concepts et de plans qu'on regarde à la télé. Le facteur temps est à maîtriser dans la conception d'un spot publicitaire. Un Spot de 15 secondes choisira tel mouvement de la caméra et tel déroulement des scénarios complètement différents du spot de 30 secondes.
b. La couleur
Le concept choisi pour le spot est traduit par l'image. De ce fait, il faut choisir l'image qui sera capable de transmettre le message sans trop compter sur l'ambiance. H. Joannis donne l'exemple d'un spot de crème pour bébé avec deux possibilités :
" La boîte de crème couchée sur le doux oreiller de dentelle d'un berceau, à la lumière tamisée par des rideaux diaphanes ; la boîte tenue par les bras d'un nounous en peluche. Il est indéniable que la seconde image passera mieux à l'écran que la première car, ajoute-t-il, quels que soient les défauts (trop de contraste, ombres brutales) le message de la deuxième image gardera son sens enfantin et doux alors que celui de la première peut le perdre complètement "( ).
c. Le Cadrage
Les objets montrés en publicité ne sont pas très gros, c'est pourquoi, les cadrages choisis sont souvent des plans généraux et lointains. L'utilisation du gros plan est ce qui convient le plus au cadrage serré que représente l'écran de la télé. Un spot publicitaire peut difficilement se passer d'un gros plan.
d. Le son
L'attention du téléspectateur n'est pas toujours totale, il peut se déplacer au moment de la communication du message. C'est pourquoi le son a une importance égale à celle de l'image dans la communication. Le regard peut-être détourné, pas l'audition.
3. Les scénarios
Dans le spot publicitaire, nous avons une suite d'événements reliés les uns aux autres selon une logique propre au produit, c'est-à-dire selon les qualités que le spot doit illustrer l'une après l'autre. C'est donc la description des vertus du produit qui fait l'anecdote mise bout à bout. L'acteur n'est en fin de compte que le support de cette description. Nous avons vu le même procédé mis à l'œuvre dans les récurrences au niveau des personnages, ceux-ci ont un rôle accessoire par rapport au produit.
Sur la base de ce principe, le déroulement des événements prend plusieurs formes dans les spots publicitaires que nous avons analysés.
a. L'histoire publicitaire
Le spot sous forme d'histoire ou d'évolution dans le temps est très récurrent. La présence de l'enfant favorise ce type de scénario. Petit, l'enfant grandit et réussit sa vie. Il devient à son tour père de famille. Ce que François Brune appelle le " roman familial ". Respecter la chronologie dans le temps inscrit le produit dans la vie quotidienne du consommateur. Celui-ci y verra une valeur sûre, même pour l'avenir, il sera toujours là. Le spot pour " Crédit du Maroc " adopte ce scénario. Un petit enfant portant un ballon devient un jeune homme qui entreprend une bonne carrière, fonde une famille et devient chef d'entreprise.
Les banques axent souvent leurs compagnes publicitaires sur la confiance, la fidélité et l'assurance. Pour communiquer toutes ces valeurs, les spots publicitaires présentent, à travers ce scénario idéal, l'itinéraire d'un enfant depuis le début jusqu'à l'âge adulte comme un parcours exemplaire de réussite.
Le spot pour produits laitiers adopte également le même scénario .L'idée principale étant l'association de la consommation à la croissance, l'évolution dans le temps est très importante. Un petit enfant joue avec un avion en papier, sa maman prend soin de lui et lui donne " Nido " à boire. Il grandit, il devient aviateur. Le sourire maternel clôt ce beau roman dont le fil rouge est le produit omniprésent.
b. Les témoignages
Un seul message, plusieurs témoignages. Plusieurs spots publicitaires se contentent de faire défiler des personnages qui vantent les qualités du produit ou chantent le slogan du spot. Les spots pour la margarine utilisent beaucoup cette " ficelle " comme celui de " la prairie ". Une succession des personnages montrés en train de mordre à du pain beurré : le père, la mère et puis les deux enfants à la fin de ce défilement d'acteurs.
Les enfants assurent ici une certaine chronologie en venant à la fin de ce défilement. C'est toujours le message du produit pour toutes les générations.
Ces dernières années, la femme qui vante le détergent " TIDE " ou " OMO " est devenue une constante du discours publicitaire. Le témoignage fait référence, en flash-back, à des histoires où l'enfant ou le mari a attrapé (comme une maladie) une tache sur ses vêtements. De type difficile et graisseux, la tache pose un problème. Le produit et surtout le bon choix de la mère apportent la solution et le " remède ". La mère n'a plus de souci à se faire pour la propreté de sa famille. Des histoires de ce genre font le principal de la publicité marocaine : des témoignages où les ménagers affirment que le produit extermine toutes les taches et résout tous les problèmes.
c. Deux histoires parallèles
C'est le scénario de l'antithèse. Prouver la qualité et l'importance du produit en présentant deux cadres différents. La publicité pour " Mr Propre " illustre ce scénario. Deux voisines : l'une utilise " Mr propre ", l'autre non. Le spot résume la journée des deux femmes. Celle qui utilise le produit range sa maison en un temps record, prépare à manger, reçoit son mari et sa fille en prenant soin d'être habillée, bien coiffée et souriante. La petite fille et le père sont comblés. C'est le roman familial exemplaire, l'histoire d'une journée parfaite d'une femme idéale utilisant le bon produit.
Pour ce qui est de la deuxième femme, le déroulement de l'histoire et sa fin différent. Le petit garçon et le mari sont assis à une table vide ; la maison est en désordre ; la maman est perdue et fatiguée. Raison : " Mr propre " manque.
Morale : il faut suivre le bon exemple de la première femme.
Un scénario qui prouve donc ce qu'on a déjà avancé : ce sont les vertus du produit et leur description qui déterminent le déroulement et la suite des événements.
d. La scène familiale
Essentiellement présente dans les spots pour produits alimentaires (margarine surtout), la scène familiale présente une famille à table. Le produit règne en maître. L'événement : c'est le produit et sa consommation. Tous les membres de la famille sont heureux et souriants. La publicité fait de ce moment de consommation le seul moment concret de la vie de ses personnages. Le téléspectateur doit également oublier ce qui l'occupe en dehors de ce moment où la vie semble être figée. Citons à ce propos l'exemple du spot pour la margarine " Magdor ". La famille prend son petit déjeuner dans le jardin. Les personnages, le décor et le produit ne font plus qu'un : le produit a des couleurs de la nature, les personnages portent des vêtements de couleurs jaune, celle du produit .Le père, l'enfant et la mère sourient : c'est une famille heureuse.
Schéma : Problème-Solution
Le produit est souvent présenté comme la résolution du problème, la clé de l'intrigue. Cette idée est mise en scène sous forme de plusieurs schémas :
Mystère-éclaircissement :
Le spot sur le fromage les " enfants " exploite ce schéma là. Les enfants se constituent en bande. Ils vont à la recherche d'une marchandise. Leur " chef " leur reproche le manque d'une portion d'un ton menaçant. C'est l'apparition du produit qui explique tout le jeu des enfants. C'est pourquoi l'image ne reprend ses couleurs qu'à la fin du spot.
Difficulté--résolution
C'est le schéma modèle des produits d'entretien. Le produit est la solution magique pour les taches difficiles, les salles de bain sales, les cuisinières et la vaisselle pleines de graisses. La ménagère est débordée au début du spot. A la fin, et après avoir utilisé le produit, elle domine la situation en maîtresse des lieux (" Mr propre "). Les enfants turbulent, les bébés qui pleurent baignent dans la joie une fois le produit ayant fait irruption dans leur vie (" Ace ", Cérelac ".....)
Scepticisme-conviction
Le produit a fait ses preuves. Tel ou tel personnage est tellement en difficulté qu'il doute qu'un produit puisse le soulager et lui donner satisfaction, c'est le cas de la mère campagnarde qui doute que le produit " Cérélac " puisse plaire à son enfant, mais elle est agréablement surprise quand elle le goûte et le fait goûter à son bébé. Le doute initial est remplacé par une agréable surprise devant le regard fier de celui ou celle qui connaît les qualités du produit. L'enfant sert souvent ce schéma.
L'enfant qui va avec son ami à l'école, une tache sur le tablier, dans le spot pour " Ariel ", pousse la mère à essayer un autre produit (en le dérobant). Une fois la tache disparue, les tabliers identiques, le produit acquiert l'adhésion de la mère et celle de toutes les ménagères dont elle donne l'image.