Attention: Cet article contient plusieurs spoilers concernant le film Sucker Punch.
Contrairement à beaucoup, je n’ai pas détesté Sucker Punch. Ceci est peut-être dû en partie au fait que j’ai un faible pour son réalisateur Zack Snyder, même s’il n’a signé qu’un seul bijou dans sa filmographie avec Watchmen. Il a un bon œil pour le style, une audace « Ouais, on peut filmer ça !!! » assez attachante et semble privilégier une composition des plans qui soit naturellement cinématographique, contrairement aux montages hyperactifs et surfaits de ses contemporains d’action. Et par-dessus tout, malgré sa décision jusqu’ici de patauger dans le domaine des genres à hauts concepts, c’est un de ces rares cinéastes d’action qui veut bâtir ses films non seulement autour de séquences épiques, mais aussi autour d’idées. C’est Michael Bay, si Michael Bay savait faire son boulot. Même si, il faut l’avouer, Zack n’a pas encore maîtrisé l’art de raconter une histoire, ni même le procès de retranscrire ses idées à l’écran.
Son projet fétiche, Sucker Punch (qui comme Inception de Christopher Nolan, était un cadeau de remerciement par Warner Bros. pour ses réussites précédentes au box-office, avant qu’il ne se mette à bosser sur Man of Steel) est un film auquel j’ai donné un avis positif (critique disponible ici !), alors qu’il est universellement détesté par la majorité. Et cela ne pose aucun problème : à chacun son opinion. Ce qui m’intrigue dans tout cela, en particulier concernant la réputation de ce film, c’est le fait que dans mon estimation, peu de personnes semblent l’avoir « compris ».
Oui, je sais, ce genre de remarque semble incroyablement prétentieuse. Mais la question est moins une appréciation de la qualité du film (après tout, beaucoup de personnes ont pigé la combine, et malgré tout elles n’ont toujours pas aimé) et plus un manque d’appréciation pour son objectif. C’est à dire, lorsqu’un film tombe le masque pour expliquer clairement ses intentions, il se peut que certains n’arrivent toujours pas à saisir la combine. Cela n’a rien de très rare avec des long-métrages qui tentent une critique artistique ou une satire subversive sans tomber dans la catégorie des comédies. Par exemple, le Starship Troopers de Paul Verhoeven fut incendié par la critique lors de sa sortie : c’était une satire brutale des films pro-guerre qu’on a pris pour une approbation du fascisme.
Dans le cas de Sucker Punch, parmi d’autres reproches, le film fut largement critiqué pour être un énième fantasme masculin et racoleur des techno-geeks qui tentait la mascarade cynique d’être une œuvre féministe en transformant ses poupées fétiches en héroïnes d’action. Alors qu’en réalité, Sucker Punch ressemble plus à une condamnation de ces mêmes types de films. Malheureusement, ce genre d’auto-satire est très difficile à faire correctement, et si Sucker Punch fait un bel effort, les ambitions du film dépassent son exécution, donc il est compréhensible que beaucoup n’aient pas nécessairement remarqué cet aspect. Ceci dit, c’est bien dommage que par la suite, ce film soit rejeté et vu comme étant « misogyne », alors qu’en fait c’est exactement le contraire. La misogynie signifie la haine contre les femmes. En grande partie, ce film déteste les hommes.
Le but de cette analyse serait alors de décortiquer Sucker Punch et d’essayer de démontrer mon point de vue vis-à-vis du sujet réel du film. Ah, et juste pour qu’on soit tous sur la même longueur d’onde, « sucker punch » en anglais signifie « coup bas », ou plus précisément dans les termes de la boxe, « le coup déloyal qu’on ne voit pas venir ». Gardons cette définition en tête.
Bref, Sucker Punch le film, raconte l’histoire d’une jeune fille, qu’on connaît uniquement sous le surnom de « Babydoll » emprisonnée dans un établissement psychiatrique et préparée pour une lobotomie sous des faux prétextes, afin que son beau-père malfaisant puisse dissimuler un crime et voler son héritage. Babydoll échappe à l’enfer de sa réalité en régressant dans un monde imaginaire où elle et ses codétenues sont des filles prisonnières d’un club burlesque ou d’une maison close, au choix. Dans ce monde imaginaire (et, on finit par découvrir, dans le monde réel), Babydoll complote une évasion pour ses amies en dérobant des objets et des outils du personnel et des clients masculins de la maison de tolérance. Le plan est le suivant : les filles s’occuperont des vols tandis que Babydoll servira de diversion, berçant les hommes dans un état de stupeur avec des danses sensuelles.
On informe le spectateur, à travers les réactions des autres personnages, que la danse de Babydoll est quelque chose de cru, de sauvage, d’intensément sexuel qui plus ou moins va jusqu’à hypnotiser les hommes, mais que nous, le public, ne voyons jamais. À la place, on découvre un autre niveau du monde imaginaire qui constitue le centre des séquences de combat du film. Autrement dit, les scènes d’action sont une métaphore visuelle pour les mouvements de Babydoll, qui pratique ce qui se résume à un striptease.
Quelle est la forme de ces scènes d’action ? Et bien, elles sont floues, un peu bordéliques, trop longues et sans but précis, un problème qui marque aussi le reste du film. Mais en gros, elles sont des recréations très littérales et réalistes de ce sous-genre particulier des comics, de l’anime, de l’art fantastique etc. qui transposent des personnages féminins hautement fétichisées dans des situations archétypales de science-fiction/fantaisie/action, où l’exploitation du regard masculin sur ces mêmes personnages est censé être pardonné par le fait qu’elles sont soi-disant émancipées.
Nous ne débattrons pas ici si oui ou non ces genres de personnages et de représentations sont ou peuvent être émancipant ou positivement féministes : il y a des arguments intéressants des deux côtés. Ce qui importe aux fins de cette discussion, c’est que Sucker Punch se range assez définitivement du côté « pas d’accord » de ce débat. Dès le début, le fait que ces séquences soient une métaphore pour les danses de Babydoll veut plus ou moins dire qu’on peut appeler ça comme on veut : un striptease restera un striptease. Et si certains peuvent se lamenter sur le choix des morceaux de rock remixés qui accompagnent le film, le fait que ce soient des morceaux qui sont chantés ou reprises par des femmes n’est pas accidentel.
Mais le film passe à l’étape suivante, critiquant non seulement le genre de façon implicite, mais critiquant le public visé de façon explicite. À chaque fois que le film abandonne ses scènes d’action métaphoriques pour revenir nous montrer les hommes assis, l’eau à la bouche devant Babydoll, ces mecs sont épouvantables : voyeurs, infects, dégoûtants, grossiers, corrompus, méchants…ce sont, en somme, des pourris, des monstres, les pires êtres humains que l’on puisse imaginer.
Réfléchissons : qu’essaye de nous dire Sucker Punch ? L’action et les princesses-guerrières en petite tenue étaient les arguments de vente de la campagne de publicité du film, et c’est spécifiquement destiné à la culture geek masculine. Donc, si nous (c’est-à-dire, nous – le public auquel est destiné ce genre de fantasme racoleur pseudo-féministe) sommes les spectateurs de ces séquences, et ces séquences sont une métaphore pour le striptease, alors devinez qui est notre analogue dans l’univers de la maison close ?
Et voilà le gag : le film est en train de dire, ou du moins essaye de dire, que les connards qui sont en train de mater et reluquer les fillettes dans leurs tenues légères sont censés nous représenter, nous spectateur. Et ces mêmes pervers exploiteurs et sordides qui sont en train de se faire détrousser et subvertis alors qu’ils sont occupés à saliver devant Babydoll ? C’est le film qui amène le spectateur devant l’écran pour mater les filles pour ensuite lui cracher à la gueule pour avoir une telle idée en tête. D’où le titre : Sucker Punch.
Mais les choses ne s’arrêtent pas là : souvenez-vous, l’univers de la maison burlesque est lui-même une métaphore pour l’asile de fous dans le « monde réel ». Que font les personnages masculins avec les filles dans cette réalité ? Et bien, ce n’est pas écrit noir sur blanc, parce que le film est classé PG-13 (qui est un autre défaut du film), mais il est finalement assez clairement indiqué qu’elles se font maltraiter, sexuellement brutaliser, et violer, en fin de compte.
Donc si les danses dans la maison close et les séquences de baston sont des métaphores à l’intérieur de métaphores pour ces abus sexuels, et ayant pris en compte la critique du public lui-même faite par le film que nous avons établis plus haut, je pense honnêtement que c’est le but de Sucker Punch : mettre directement en parallèle la façon dont les fans du genre regardent les personnages féminins, et la violence sexuelle subite par ces mêmes personnages dans le film. Si c’est le cas, c’est assez lourd comme artillerie, mais ce n’est pas la seule munition dans le chargeur. Les critiques maladroites faites par le film ne sont pas uniquement destinées à son public. Il opte pour une cible bien plus grande.
Ayant principalement examiné le thème sous-jacent de Sucker Punch de critiquer le genre auquel il appartenait et le public éventuel de ce même genre, tournons nous maintenant vers deux autres lignes d’attaque : sa critique de soi et sa critique potentielle d’une philosophie spécifique. Mais pour faire ceci, nous devons d’abord parler de transitions.
Sucker Punch fait usage de trois niveaux d’une réalité supposée pour raconter son histoire unique : l’univers de l’asile psychiatrique, l’univers du bordel et l’univers imaginaire. L’univers de l’asile est censé représenter le monde réel, sauf que voilà : lorsque le film s’ouvre dans cette réalité, il le fait à travers une ouverture de rideaux sur une scène de théâtre. Dans un langage filmique, des transitions tels que des rideaux, des pages de livres ou des écrans vidéo sont typiquement employées comme indication subtile que ce que nous voyons n’est peut-être pas réel dans le sens strict du terme. Autrement dit, si l’univers de l’asile semble raconter la véritable histoire, il ne demeure pas nécessairement une perspective réelle des choses. Gardons cela en tête pour l’instant.
Dans tous les cas, si le personnage de Babydoll est au centre du film, elle n’est pas le seul personnage important parmi le groupe des filles, et il se pourrait bien qu’elle ne soit tout simplement pas l’élément le plus important de l’histoire. L’autre héroïne importante est Sweet Pea, interprétée par Abbie Cornish. Sweet Pea se fait proéminente pour la première fois pendant la deuxième transition de réalité du film, où la lobotomie de Babydoll en cours dans l’univers de l’asile se transforme en reproduction théâtrale burlesque d’une lobotomie dans l’univers du bordel. Mais ce n’est pas Babydoll qui subit l’opération, c’est Sweet Pea. C’est aussi le moment où l’attitude du film envers le spectateur se fait explicitement connaître, lorsque Sweet Pea s’avance sur scène pour exprimer son outrage :
« L’écolière sexy, je comprends. » dit-elle. « Je comprends même la malade mentale sans défense. Ça, ca peut être érotique. Mais ça, c’est quoi ? »
Juste pour que les choses soient bien claires, Sweet Pea vous demande à nous, spectateur, pourquoi une histoire de jeunes filles qui se font emprisonner et maltraiter est censée être « sexy ». De diverses façons assez subtiles, Sweet Pea est la fille du groupe qui se définit le plus comme étant hors du commun : ses tenues dans les deux univers oniriques sont moins provocatrices que les autres, elle parle dans un registre plus bas, et en partie due à la taille d’Abbie Cornish, elle est fréquemment montrée comme étant plus grande que ses codétenues. L’implication ? C’est l’adulte du groupe, ou au moins la grande sœur. D’ailleurs, ceci renforce également le propos suggéré par la transition de la lobotomie, qui la dépeint comme étant l’image opposée de Babydoll, dont le nom et le costume font d’elle la plus infantilisée du groupe.
Et tant qu’on y est, le fait qu’elle soit la grande sœur au sens figuré du personnage de Rocket dessine une autre différence : c’est le seul personnage dont la motivation primordiale n’est pas la préservation de soi. C’est celle qui ne veut pas s’évader – non pas parce qu’elle souhaite rester, mais parce qu’elle craint que le plan de Babydoll puisse mettre sa sœur Rocket en danger. Ah, et c’est aussi la seule personne qui n’est pas impressionnée par les danses apparemment spectaculaires de Babydoll :
« Tous ces tours sur soi-même, ces gémissements. La danse, c’est pas se contenter de titiller. Moi, quand je danse, c’est unique. Ma danse dit qui je suis. Qu’est qu’elle dit, la tienne ? »
Réfléchissons. Un des plus grands reproches esthétiques qu’on fait à Sucker Punch c’est que ses séquences de bataille imaginaires ne tiennent pas debout : elles sont artificielles, superficielles, c’est une overdose d’effets-spéciaux…bref, c’est que de la gueule, sans aucun but précis ou de profondeur réelle. Dans le film, ces scènes-là sont des métaphores pour les danses de Babydoll. Et que vient alors de dire Sweet Pea, déjà établie comme étant la voix autocritique du film à propos de ces danses, et par extension, ces scènes d’action ?
Malheureusement, c’est aussi là que le film lui-même se casse la gueule : satiriser du mauvais cinéma sans faire un mauvais film est une tâche difficile à accomplir. L’astuce, c’est d’exposer les éléments ratés tout en faisant une meilleure version de ces éléments, dans le style de Starship Troopers, Inglourious Basterds ou Lost Skeleton of Cadavra. Et si les séquences de baston dans Sucker Punch font un effort spectaculaire pour recréer les bêtises sordides du fétichisme des héroïnes d’action, le film ne va pas vraiment plus loin à l’exception de la bataille du château, qui comprend un symbolisme qui est peut-être délibérément subversif, où l’on voit Babydoll tuer un dragon nouveau-né et sa mère avec son épée. En d’autres termes, elle détruit les rôles traditionnellement féminins de la maternité et l’éducation des enfants en adoptant une masculinité symbolique avec son katana phallique caricatural.
Mais le plus important concernant le plan de Babydoll et sa diversion des méchants avec des danses sexy reste le plus simple : le plan échoue. Le rebondissement final est que le plan ne marche pas. Babydoll n’échappe pas à son sort et se fait toujours transformer en légume comateux. Les autres filles se font capturer, blesser ou même tuer, y compris Rocket, exactement comme Sweet Pea l’avait prévu. D’ailleurs, la seule fille qui réussit à s’évader, c’est Sweet Pea, le personnage le moins sympathique du groupe, celle qui a été largement caractérisée pendant tout le film comme la rabat-joie qui casse l’ambiance. Encore une fois, d’où le titre : Sucker Punch.
Mais qu’est-ce que ça veut dire ? Certains ont argumenté que tout comme le film est censé critiquer la production et la consommation de l’objectification féminine dans la culture geek occidentale ; le dernier coup de théâtre est conçu comme étant une condamnation de ce qu’on appelle la « troisième vague féministe » et/ou le « féminisme pro-sexe » (qui ne sont pas nécessairement un seul et même mouvement, précisons-le, mais restent des philosophies qui sont considérés comme étant complémentaires), qui est parfois de l’avis que l’objectification des femmes est possible, et peut même être vu comme un moyen d’émancipation, à condition que les femmes impliquées aient le contrôle et l’utilisent à leurs propres fins.
Dans cette interprétation, la fin du film essaye de dire que non, finalement, le costume d’écolière coquine de Babydoll et ses danses sexy ne sont pas des choses qui vont la libérer. Cela pourrait aussi servir de réponse à la théorie suivante : si Babydoll pouvait se servir de n’importe quel monde imaginaire comme échappatoire, pourquoi s’échapper d’un univers qui n’est qu’un type d’esclavage différent ? Pourquoi, effectivement ?
Rappelons tout de suite que ceci n’est qu’une interprétation parmi plusieurs, et si je pense qu’elle est valide, c’est quand même un peu trop cynique et c’est aussi un message avec lequel je ne suis pas vraiment d’accord. D’ailleurs, elle oublie de prendre un fait en compte : bien que le plan de Babydoll lui coûte la vie ainsi que celle de ses amies, ce dernier échec est intentionnel ; elle se sacrifie pour que Sweet Pea puisse s’évader, et lui dit adieu avec une parole cryptique :
«Ce n’est pas mon histoire. »
Alors si Babydoll représente apparemment en partie les échecs bien-intentionnés de la troisième vague féministe, est-ce que cela fait de Sweet Pea le visage d’une sorte de quatrième vague naissante, qui a survécu en résistant au plan de Babydoll mais ne peut avancer uniquement grâce aux progrès faits par son prédécesseur ? Ça, c’est probablement au spectateur d’en décider. Il en est de même pour la fin. Après que Babydoll se soit fait lobotomiser, il y a une scène finale qui voit Sweet Pea enfin trouver sa liberté en échappant aux autorités grâce à l’aide et la bonté d’un conducteur de bus, interprété par Scott Glenn.
Mais minute, on l’a déjà vu autre part, ce Scott Glenn : c’est la figure du vieux sage qui aide les filles dans les séquences imaginaires du film. Ainsi, est-ce que ceci veut dire que la scène finale n’est qu’un dernier rêve ? Que Babydoll, son esprit maintenant aux anges, ne fait qu’imaginer la fuite de Sweet Pea ? Ou est-il possible que la scène du bus se déroule enfin dans le monde réel et que le conducteur de bus apparaît dans les mondes imaginaires comme le seul homme noble du film, parce que la personne qui nous racontait l’histoire de Babydoll depuis le début est en fait Sweet Pea, la seule à avoir survécu. Après tout, selon Babydoll : « Ce n’est pas mon histoire. »
Une dernière chose : rien dans cette analyse n’est censé changer l’avis de quiconque concernant la qualité de Sucker Punch. C’est une interprétation personnelle, et il en existe bien d’autres. Voyez plutôt ça comme une tentative d’illustrer le dangers d’attribuer des intentions artistiques négatives à un long-métrage, ou n’importe quel ouvrage d’ailleurs, uniquement parce qu’il essayait de traiter un sujet difficile et n’a pas réussi l’atterrissage. Parce qu’assez souvent, son véritable objectif est peut-être exactement le contraire de ce qu’on pourrait assumer…
Note : L’intitulé de cet article est à titre auto-satirique. Aucune insulte n’est voulue ou sous-entendue.
@ Daniel Rawnsley