Et si nous traversions la Manche ? Pour aller voir la peinture de nos amis Anglais, Gallois, Écossais (c’est par là) et Irlandais (c’est ici). Mais d’abord un peu de géographie… L’Irlande est une île coupée en deux (depuis sa partition en 1921), l’Irlande du Nord (qui constitue la plus grande partie de l’Ulster) appartenant à la Grande Bretagne pour constituer le Royaume-Uni. Mais, pour ma part, je préfère traiter de l’Irlande dans son ensemble.
XIXe siècle et exode
Malgré le renforcement de l’infrastructure des arts et du système éducatif, l’art irlandais du XIXe siècle a été marqué par l’émigration continue. Londres, notamment – avec son marché de l’art beaucoup plus important – était la Mecque des peintres et sculpteurs irlandais talentueux. Parmi ces artistes émigrés dans la capitale anglaise, les portraitistes John Butler Yeats, Gerald Festus Kelly et William Orpen. En revanche, de nombreux grands peintres paysagistes irlandais ont passé de longues périodes en France, à Barbizon, Pont-Aven ou Concarneau, où ils ont épousé les méthodes de peinture en plein-air des impressionnistes. La liste de ces « émigrants » est longue : Auguste Nicholas Burke, Frank O’Meara, Aloysius O’Kelly, Sir John Lavery, Stanhope Forbes, Henry Jones Thaddeus, Walter Osborne, Roderic O’Conor, Norman Garstin, William Leech, entre autres.
Ce n’est pas à sous-estimer le talent des artistes irlandais qui sont restés au pays, mais le terrible traumatisme de la Grande Famine (c.1845-50), les querelles politiques persistantes entre Londres et Dublin, ainsi que le manque relatif de débouchés à Dublin (et a fortiori à Cork, Galway ou Limerick) par rapport au potentiel commercial de Londres, les attraits de la France, tout incitait à aller peindre ou sculpter à l’étranger.
Début du XXe siècle
Peu à peu, au tournant du siècle, les effets bénéfiques de l’éducation, avec une augmentation du patronage de Dublin, les efforts de Hugh Lane (collectionneur avisé et directeur de la National Gallery de Londres qui, pour plaire à sa tante, à apporté son soutien – et ses moyens – à la renaissance culturelle irlandaise) et l’impact du Celtic Arts Revival Movement, tout conduit à l’apparition d’une nouvelle génération d’artistes irlandais, comme George ‘AE’ Russell, Margaret Clarke, Sean Keating, James Sinton Sleator, Leo Whelan et Maurice Macgonigal. Ce groupe, grossi par le retour de quelques émigrés comme Richard Thoman Moynan, Paul Henry, l’expressionniste Jack B Yeats et le portraitiste William Orpen – qui revient régulièrement enseigner à la Dublin Metropolitan School of Art – a formé le noyau d’un nouveau contingent actif d’artistes locaux.
Society of Dublin Painters
Fondée en 1920 par Jack Yeats, Paul Henry, son épouse Grace Henry, Mary Swanzy, O’Rorke Dickey et Letitia Hamilton, la Society of Dublin Painters marque le début du modernisme dans l’art irlandais. Depuis ses débuts jusqu’aux années 1940 la Société a symbolisé tout ce qui était de nature prospective dans la peinture irlandaise, défendant ce qui était alors considéré comme l’avant-garde. En l’espace de quelques années, ils ont été rejoints par Manie Jellett, Evie Hone, Cecil Salkeld, Harry Clarke et Charles Lamb.
Mais à côté de ces quelques avant-gardistes, l’art irlandais du XXe siècle était encore nourri par la création de la Hugh Lane Gallery of Modern Art (1908), et par l’émergence d’un État irlandais indépendant au début des années 1920. Toutefois, si l’indépendance avait conduit à une augmentation des dépenses de l’Etat pour certains arts, il n’avait pas réussi à déclencher une renaissance générale. Il y avait moins de possibilités créatives : les sculpteurs étaient entièrement occupés par des statues et bustes de personnalités éminentes ; et dans le domaine du vitrail, malgré les efforts créatifs individuels de Harry Clarke, Sarah Purser et Evie Hone, le gouvernement irlandais fournit peu d’aide, allant même jusqu’à rejeter certaines des plus belles œuvres de Clarke pour leur excessive « modernité ». En outre, dans les deux décennies qui ont suivi l’indépendance, le pouvoir au sein des établissements d’arts irlandais, notamment le comité de décision de la Hibernian Royal Academy, était exercé par une phalange conservatrice de traditionalistes – tirée presque exclusivement du groupe autochtone d’artistes irlandais – qui ont résisté à toutes les tentatives d’individus plus larges d’esprit pour aligner l’art irlandais sur les styles en cours ailleurs en Europe à la même époque. Cette période tira à sa fin avec l’avènement de la Seconde Guerre mondiale, qui vit la question de la modernisation émerger au grand jour.
The Irish Exhibition of Living Art
En 1940, Louis le Brocquy (qui avait quitté l’Irlande pour étudier les principales collections d’art européennes à Londres, Paris, Venise puis Genève – où étaient hébergées les collections du Prado pendant la guerre civile espagnole) revint en Irlande où la bataille entre traditionalistes et modernistes commence à gronder. En 1942, le comité de sélection de la Royal Hibernian Academy rejette The Spanish Shawl de Louis le Brocquy et de nombreuses autres œuvres modernes, tandis que la Hugh Lane Gallery rejette le Christ moqué par les soldats de Georges Rouault. C’est la provocation de trop. L’année suivante est créée l’Exposition irlandaise d’art vivant (The Irish Exhibition of Living Art). Ce salon annuel permet d’exposer les peintres irlandais d’avant-garde. Les principaux organisateurs de la IELA sont Mainie Jellett, Evie Hone, le père Jack Hanlon, Norah McGuinness, Louis le Brocquy et Margaret Clarke. Ils seront rejoint par Patrick Scott, Tony O’Malley, Camille Souter, Barrie Cooke et d’autres.
Le IELA a injecté une certaine excitation visuelle dans la grisaille de la guerre et a offert une alternative bienvenue aux expositions de la RHA, plus conservatrices. Cela dit, de nombreux artistes irlandais ont exposé dans les deux. Chacun défendait son point de vue. La RHA maintenant ce qu’il croyait être « la tradition » tandis que la IELA était ouverte à tout nouveau développement.
Art Moderne Irlandais (de 1943 à nos jours)
Malgré l’élargissement de ses perspectives, l’art irlandais, pendant les quatre décennies de l’après-guerre, a été autant influencé par les événements économiques et politiques irlandais que par quoi que ce soit dans le monde de l’art international. Les années 1950 ont vu une augmentation de l’émigration des artistes, tandis que l’excitation du milieu des années 1960 a refroidi rapidement avec l’apparition des « troubles » dans le Nord au cours des années 1970 et 1980, quand la politique a dominé les manchettes des journaux.
Au début des années 50, de nouvelles organisations irlandaises d’art voient le jour. Par exemple, le Conseil des arts (An Chomhairle Ealaíon), fondée en 1951, achète des œuvres d’artistes irlandais et distribue des subventions, de même que son organisation sœur du Nord, le Conseil pour l’encouragement de la musique et des arts (CEMA), maintenant rebaptisé Conseil des arts de l’Irlande du Nord. Des concours sont créés. La Hugh Lane Gallery devient enfin une véritable galerie d’art moderne ; la National Gallery, le musée des Beaux-Arts de l’Ulster, ainsi que des galeries d’art comme la Dawson and David Hendricks Gallery s’ouvrent enfin aux œuvres internationales.
En 1956, Louis le Brocquy représente l’Irlande à la Biennale de Venise, où il est primé pour son tableau A Family. Cette toile appartient à sa « période Grise » de 1951-54. Cette distinction lui permet de faire partie de l’exposition « 50 ans d’art moderne, de Cézanne à nos jours » à la Foire internationale de Bruxelles en 1958.
Les années 60 et 70 servent aux artistes irlandais pour digérer les nouvelles théories de l’art contemporain, notamment la démystification de la notion traditionaliste qu’une image ou une statue doit être reconnaissable, que le sujet doit être présenté de telle manière à ne pas à déformer la réalité et que la beauté doit être l’objectif. Ils avaient aussi commencé à embrasser l’idée postmoderne que « l’idée » pouvait être autant (sinon plus) importante que l’œuvre elle-même. Bref, si, au cours des années 1920 et 1930, les avant-gardiste irlandais avaient eu du mal à se faire accepter, les traditionalistes contrôlant la création artistique, la situation était maintenant complètement l’inverse.
La galerie
Voici donc tous ces peintres (dont 33 femmes) rassemblés en 138 tableaux, de 1901 à 2013… Très bonne visite !