I - Principes
Afin d'éviter toute contestation, après achèvement des travaux, sur l'état antérieur des ouvrages avoisinants, il est nécessaire de le faire constater contradictoirement et techniquement. Mieux qu'un simple constat d'huissier de justice, répond à ce besoin la pratique du référé préventif afin de désignation d'expert.
L'institution dispose d'assises confortables dans l'article 145 du code de procédure civile : S'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.
Elle avait été contestée, mais la cour de cassation a rapidement proclamé l'intérêt d'une telle mesure :
Cass. civile, 3e chambre, 30 novembre 1976, pourvoi n° 75-15508 :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 27 octobre 1975) confirmatif d'une ordonnance de référé, que la Société civile immobilière des 32-34 rue Saint-Guillaume a entrepris de faire édifier à cette adresse un ensemble immobilier devant comporter, en vertu des prescriptions du permis de construire, la conservation de la façade d'un bâtiment classé à l'inventaire des sites et monuments historiques, ledit ensemble devant se situer à la mitoyenneté de constructions anciennes dont certaines, remontant au XVIIIème siècle, présentent en raison des techniques de l'époque, une particulière fragilité;
Attendu que la société civile ayant obtenu du juge des référés la désignation d'un expert chargé d'une mission de constatations et de renseignements, en vue notamment de décrire tous désordres éventuels et de proposer les mesures propres à éviter des malfaçons ou de nature à y remédier, l'Entreprise Lefaure et son assureur, la Société Mutuelle d'Assurance du Bâtiment et des Travaux Publics, font grief audit arrêt d'avoir autorisé en cas d'urgence la société civile immobilière à faire exécuter, à ses frais avancés, les travaux considérés comme indispensables par l'expert, alors, selon le moyen, que "cette autorisation, donnée en termes généraux, excède le cadre d'une mission de prévention d'un dommage imminent et préjudicie au principal dans la mesure où, n'étant pas limitée dans le temps à des mesures conservatoires ou de remise en état pour éviter un dommage ou faire cesser un trouble, l'exécution des travaux qui auront été laissés à l'appréciation et au contrôle de l'expert dégagera le maître de l'ouvrage de toute direction sur la conception et les méthodes d'exécution et le déchargera de toute responsabilité lui incombant normalement à ce titre";
Mais attendu, d'abord, que l'interdiction faite au juge des référés de préjudicier au principal a été abrogée par l'article 110 du décret n° 71-740 du 8 septembre 1971, que l'article 73, alinéa 2, de ce dernier texte, tel que modifié par l'article 178-XV du décret n° 73-1122 du 17 décembre 1973, applicable en l'espèce, dispose que peuvent toujours être prescrites par la juridiction des référés "les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite";
Attendu, ensuite, qu'ayant justement rappelé que la nomination d'un expert, lorsqu'elle ne constitue qu'un moyen d'information, est "une disposition provisoire qui entre dans les pouvoirs du juge des référés", que le maître de l'ouvrage a l'obligation de s'entourer des précautions indispensables afin de s'assurer qu'il exerce ses prérogatives sans légèreté ni abus, et qu'il importe par conséquent que "tous les participants à l'acte de construire puissent contradictoirement connaître l'état des existants voisins pour prendre les mesures, notamment techniques, de nature à éviter la réalisation de tous dommages", la Cour d'appel a relevé qu'en l'espèce, il y avait "dommage imminent" en raison de la situation des lieux, des impératifs du permis de construire et des problèmes particuliers de mitoyenneté, que l'événement a d'ailleurs confirmé l'urgente nécessité de l'expertise puisque "l'homme de l'art a constaté deux fissures sur la façade de l'immeuble 34 rue de Grenelle", ces fissures étant apparues pendant que l'entrepreneur "retaillait la surépaisseur du mur mitoyen enterré", et que "l'on peut encore redouter quelques légers mouvements par suite de la remise en compression du sol sur le 32:34";
Attendu qu'en l'état de ces constatations et énonciations, les juges du second degré ont pu estimer que la mesure ordonnée était à même d'apporter à l'entrepreneur et à son assureur une garantie supplémentaire de bonne exécution des travaux, ainsi que le cas échéant, de faciliter la détermination exacte des responsabilités, sans que la mission impartie dans ces conditions à l'expert excède la compétence de la juridiction des référés; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé.
II - Modalités
Au titre de l'article 145 du code de procédure civile, le référé sera préférable à l'ordonnance sur requête (par le respect qu'il permet du principe de contradiction). Tous les propriétaires avoisinants devront y être appelés à la requête du maître du nouvel ouvrage qui assignera aussi, par prudence, ses propres constructeurs concernés, au fur et à mesure de leur désignation (maître d'oeuvre, entreprises de démolition, terrassement, gros oeuvre).
Cela permettra d'éviter les inconvénients dont la sanction est montrée tranchée par les arrêts suivants :
Cass. civ. 3e chambre, 27 octobre 2004, pourvoi n° 03-15029 :
Mais attendu qu'ayant constaté, par motifs propres et adoptés, que les opérations d'expertise avaient été conduites à l'égard de la société Solétanche-Bachy en méconnaissance du principe de la contradiction, et relevé que les seuls éléments techniques propres à impliquer les travaux de cette société dans la survenance du dommage étaient fournis par ces opérations, la cour d'appel en a exactement déduit qu'elles étaient inopposables à la société Solétanche-Bachy ;
Cass. civ. 3e chambre, 22 octobre 2002, pourvoi n° 01-02541 :
Attendu qu'ayant constaté que la désignation de l'expert judiciaire par ordonnance du 15 mars 1991 n'avait pour objet que l'accomplissement d'investigations nécessitées par un référé préventif, que, par la suite, l'expert ayant constaté divers désordres sur les avoisinants consécutifs aux travaux réalisés par les sociétés LT Entreprise et SCR, celle-ci avait été appelée aux opérations d'expertise par ordonnance du 17 juin 1993 et que quatre réunions d'expert avaient eu lieu en sa présence, la cour d'appel, qui a retenu, répondant aux conclusions, sans violer le principe de la contradiction, que la présence de la société SCR dès le début des opérations d'expertise ne se justifiait pas, qu'elle avait disposé d'un temps suffisant jusqu'au 5 janvier 1996, date du dépôt du rapport, pour formuler toutes observations utiles et que toutes les constatations opérées par l'expert ayant servi de base à l'établissement de son rapport l'avaient été de façon contradictoire, a légalement justifié sa décision de ce chef
Il sera prudent d'appeler les assureurs à l'expertise :
Cass. civ. 1e chambre, 10 avril 1996, pourvoi n° 94-12284 :
Attendu, d'abord, que, contrairement à ce qui est allégué, la cour d'appel a retenu, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de preuve produits que les assureurs n'avaient pas été attraits à la procédure dite de référé préventif et qu'ils n'avaient ainsi pu connaître le risque de "précarité de l'avoisinant" constaté par l'expert judiciaire qui a préconisé des travaux de précautions préalables pour éviter l'effondrement du mur sur lequel devait être adossé le nouvel ouvrage ; qu'elle a relevé, en outre, que, même à supposer rapportée la preuve d'une telle participation, il n'était pas établi pour autant que les assureurs aient eu connaissance de l'acceptation délibérée du risque par les deux sociétés qui ont entrepris des travaux de démolition et de construction sans tenir compte des recommandations de l'expert ; que la cour d'appel, qui a ainsi procédé à la recherche prétendument omise, a constaté encore que si les assureurs avaient été attraits à la seconde procédure de référé et donc à l'expertise ordonnée en vue de rechercher la cause des désordres, ils s'étaient fait représenter par des mandataires de justice autres que ceux de leurs assurés et qu'au surplus, ils n'avaient pas été parties à l'instance au fond ayant abouti au jugement du 29 septembre 1992 ; qu'en l'état de ces constatations et énonciations, elle a pu en déduire que, préalablement à l'exercice contre eux de l'action directe, les assureurs n'avaient pas renoncé implicitement à se prévaloir des exceptions de non-garantie ; qu'elle a ainsi légalement justifié sa décision sans encourir le grief du moyen pris en sa première branche
La mission de l'expert et l'ordonnance sont fréquemment rédigées comme suit :
Désignons en qualité d'expert M.X.
Lequel pourra s'adjoindre tout sapiteur de son choix, s'il l'estime utile ;
Avec mission de :
Disons que l'expert sera saisi et effectuera sa mission conformément aux dispositions des articles 263 et suivants du Code de procédure civile et qu'il déposera l'original et une copie de son rapport au greffe du tribunal avant le, sauf prorogation de ce délai, dûment sollicitée en temps utile auprès du juge de contrôle ;
Fixons à la somme de... francs la provision concernant les frais d'expertise qui devra être consignée par le demandeur à ce même greffe avant le... ;
Disons que faute de consignation de la provision dans ce délai impératif, la désignation de l'expert sera caduque et privée de tout effet ;
Laissons, provisoirement, à chacune des parties la charge de ses propres dépens.
III -Sanctions de l'absence de référé préventif
Il est jugé que l'absence de référé préventif constitue une faute du maître du nouvel ouvrage, faute susceptible de :
- le priver de toute possibilité de contestation de la causalité des dommages de voisinage allégués;
- faire laisser à sa charge une part personnelle de la responsabilité finale encourue dans ses relations avec ses propres locateurs d'ouvrage.
L'arrêt inédit suivant en est l'illustration.
CA Paris, 23e chambre, 9 Novembre 1990, MARTIN, INÉDIT :
Or, l'expert commis en première instance, après avoir déploré que la Caisse Mutuelle d'Assurance-Vie n'ait pas fait constater, à titre préventif, l'état de la propriété voisine, a attribué la cause des désordres d'une part à un manquement aux règles de l'art, d'autre part à la mise en décompression du terrain consécutive à l'excavation mitoyenne. La carence préalable du maître de l'ouvrage ne constitue pas seulement, ainsi qu'il le prétend, une simple négligence privant l'expert d'un élément de preuve, mais elle est bien une faute en ce qu'elle n'a pas permis d'envisager toutes les causes d'un éventuel dommage, voire de le pallier, et, comme telle, elle impose qu'une partie des conséquences de ce dommage demeure à la charge de son auteur.