Elle Née dans un phare, cette vie m'est difficile,
Femme de médecin, à cinq lieues du rivage,
Je m'ennuie dans le confort de mon domicile
Et je me déplais dans les monts. Comme un mirage
Tu reviens me hanter ? Esprit grave et sérieux,
Dis-moi ce que tu es ; dis-moi ce que tu veux.
Lui Sur terre, je ne suis qu'un modeste passant,
Mais je suis l'otarie libre sur l'océan.
Je lis les abysses dans tes yeux vagabonds
Offre-moi ta main, offre-moi ton cœur... Partons
Aux îles Tuvalu ou dans les mers du Sud,
Partout. Ose défaire les liens de l'habitude.
Elle Même ici, enfermée, je respire les airs
Iodés du grand large et des courants profonds ;
Mes songes sont des flots, je rêve d’estuaires,
De ces endroits où l'ancre n'atteint plus le fond.
J'attendais ta venue, sombre fatalité,
Je te devinais à mon huis, à ma croisée.
Lui Comment vis-tu ici, sans un large horizon,
Toi que je sais sirène et toi que je sais muse ?
Tu ne vis qu'à travers ton imagination ;
Les années fuient comme une croisière ennuyeuse :
Le couchant estival de ta vie sédentaire
Prélude sombrement aux neiges de l'hiver.
Elle Solitaire damnée au cœur des nuits sereines,
Après mon bain d'écume, ou rêvant sur le quai,
Je recouvre parfois mon âme de sirène ;
J'observe, stupéfiée, les lumières de la baie,
Assise, repliée en une intime étreinte,
Et les vaisseaux voguant chantent leur morne plainte.
Lui Pourquoi dans notre course avoir fui l'océan ?
Vase et rochers savaient pourtant nous contenter ;
Nous aurions su alors épargner nos tourments.
Ce soir-même pourquoi ne pas y retourner ?
Souviens-toi : les brisants et les sombres bruines,
Les marines lueurs des aurores salines.
Elle Dois-je regagner l'onde, ô mon esprit fougueux
Et pur, choisir enfin cette autre vie, le bleu
Des eaux et retrouver l'âcre baiser du sel ?
Dois-je persévérer comme épouse fidèle
(Si fidèle est le mot pour celle qui demeure
En proie à l’obsession d’une vie antérieure) ?
Lui Femme, te souvient-il de ce serment pieux
Par lequel tu choisis cet homme parmi eux ?
Les années ont passé, noyées dans le silence,
Aujourd'hui, l'étranger de nouveau apparaît
Briguer ton vieil amour et sa reviviscence.
Qui suis-je, demandes-tu ; sais-tu donc qui tu es ?
Elle Je ne suis qu'une femme en peine sur la terre,
Mais je suis l'otarie libre sur l'océan.
Mes amours, ma jeunesse ont fui avec le temps ;
Je ne céderai pas aux folies du mystère.
Sirène ou pas, ceci est l'endroit qui me plaît
Rejoins-donc ton navire et laisse-moi en paix.