Si l'on atteint simplement l'état de samādhi sans pensées, que l'on comprenne ce domaine immaculé comme étant (une sorte de) sommeil profond impérissable. (III, 1, 36)
Il s'agit donc d'un état qui, en lui-même, n'est pas la liberté que recherche cet enseignement (son titre originel est, en effet, L'Enseignement qui est le moyen de se libérer). En effet, à elle seule, cette concentration, qui peut être très longue, ne procure que du repos pour le corps et l'esprit. L'ignorance, c'est-à-dire l'identification au corps, aux sensations et aux pensées, y reste présente à l'état latent. Dès que les objets des sens réapparaissent, les traces résiduelles de l'imagination passée se réveillent et le yogî est emporté à nouveau dans le cycle des renaissances. On y accède bien, en un sens, à l'absolu. Mais on ne le reconnaît pas. La concentration n'offre qu'un répit temporaire, comme une grand-mère qui fait du tricot : elle oublie un moment ses soucis.
Celui qui a pris la posture du lotus et qui a salué Brahmā, mais qui ne s'est pas libéré en sa vraie nature, comment peut-on dire qu'il est en samādhi ? (V, 62, 7)Le mot "samādhi" désigne la compréhension du réel, éveil qui consume tous les espoirs telles des brindilles. Le samādhi, ce n'est pas rester sans parler. (V, 62, 8)Le mot "samādhi" désigne le discernement (prajñā) suprême, posé en équilibre (samāhitā, adjectif verbal de samādhi), toujours comblé, et qui voit le réel tel qu'il est. (V, 62, 9)Le samādhi est la compréhension du réel. Il est l'éveil de l'Eveillé (buddha), la vision des choses comme elles sont, vision qui conduit à l'apaisement (viśrānti), à l'extinction (nirvāṇa) du mal-être, à la fraîcheur intérieure (antaḥśītalatā), à la liberté (mukti). On le voit, ce texte, source majeure du non-dualisme contemporain (c'était par exemple le livre de chevet de Papaji, alias Poonja), est d'inspiration bouddhiste. Samādhi y désigne la contemplation du réel tel qu'il est, la connaissance. Je propose donc de traduire samādhi par "contemplation" et, occasionnellement, par "compréhension". Du reste, certains passages (qui ne me reviennent pas en mémoire pour l'heure), rapprochent (par une étymologie traditionnelle, nirukti) samādhi de dhī "intelligence", "vision", et de dhyāna "méditation", "visualisation", "contemplation".Donc "être en samādhi", c'est simplement voir les choses telles qu'elles sont, sans imagination. La tradition contemplative chrétienne ne dit pas autre chose. Ainsi Louis Lavelle, héritier de Madame Guyon et de la mystique chrétienne à travers Fénelon, dit-il de la sagesse :"Il y a une certaine indifférence qui est la condition de l'unité, de l'activité, du contact avec le réel et qui exige que je sois toujours sans souvenir, sans désir, sans rêverie et sans projet" (Chemins de sagesse, p. 132).Vasiṣṭha n'aurait pas dit autre chose. D'ailleurs, comme le Bouddha, il n'a jamais rien dit.