Affaire Léonarda : la gauche des Don Quichotte
Publié Par Alexis Vintray, le 26 octobre 2013 dans Sujets de sociétéLa gauche est comme un Don Quichotte, en quête de causes et non de moulins, peu importe qu’elles soient bonnes ou mauvaises, comme dans l’affaire Léonarda.
Par Loïs Henry(*).
Entre 1893 et 1906, la France s’était entre-‐déchirée au sujet de l’affaire Dreyfus mais l’événement était bien plus beau. Les deux camps exprimaient des valeurs avec une consistance intellectuelle ; d’un côté la vérité nationale (Maurras) et de l’autre, la vérité éternelle (Zola, Herr, Picquart). En face, nous avions Alfred Dreyfus, un homme d’une noblesse inestimable, qui ne cessa de garder le silence car avait confiance en l’armée et en son pays. Il savait qu’il serait réhabilité car la France n’aurait jamais su tolérer pareil traitement. Si Dreyfus ne s’est pas suicidé à Cayenne, c’est probablement parce qu’il avait foi en son pays et en sa justice.
Aujourd’hui, nous avons une gamine mal élevée, parvenue qui se croit toute puissante, qui se prend pour une duchesse alors qu’elle n’est rien et qui n’a droit aux chapitres que pour satisfaire l’appétit d’une presse et d’une classe politique en quête d’une cause à défendre. Cette gamine représente pourtant tout ce qu’il y a d’insupportable : un orgueil démesuré, une tendance à insulter ceux qui ne sont pas d’accord avec elle, la croyance en son «intouchabilité» et une passion pour la peopolisation — bref, tout ce que les Français ne supportent pas. Mais elle est une bonne cause pour cette mouvance en recherche d’émotions fortes. Je disais un jour pour rire à une connaissance qui me reprochait de toujours insérer de la conflictualité dans mes propos que vu que ma cave était désespérément vide, que je n’avais pas le moindre aviateur anglais à cacher, la moindre torture allemande à subir ou le moindre juif à sauver, je cherchais ma cause et mon adversaire là où je le pouvais. Sans Calas, sans Dreyfus, sans l’Espagne de 1936, sans le CNR, la presse de gauche et la gauche du Parti socialiste cherchent désespérément une cause à défendre. Hollande n’a décidément pas de chance. Pas la moindre peine de mort à abolir, pas la moindre République à instaurer, pas le moindre État à sauver du fascisme. Même la crise économique se refuse à lui. Mitterrand avait eu la peine de mort, Chirac avait eu l’Irak et Sarkozy avait eu la crise de 2008. Pour les manuels d’histoire, notre époque est vraiment une douloureuse époque. Dès lors, nous sommes tous un peu des Don Quichotte, nous courons tous après nos moulins à vent, nous aussi, nous voulons entrer au Panthéon de l’Humanité, nous voulons tous agir pour agir, tendre uniquement vers la beauté de l’action et de la pensée vraie. Dès lors, quand on n’a pas d’idée pour entrer dans l’Histoire, il faut composer avec les événements et essayer de tirer son épingle du jeu. Ainsi, à défaut d’avoir la noblesse d’un Dreyfus, nous voilà donc avec la grossièreté d’une Léonarda. Les lycéens ont fait de même. Entre l’envie d’être en vacances un peu plus tôt et l’envie de la camoufler par la bonne action et la naïveté qui ont trait à leur âge, ils n’ont pas pu résister, les voilà à défiler avec leurs pancartes bidons pour le retour de la persécutée. Du temps de Musset, quand on n’avait pas de cause à défendre, on avait au moins l’obligeance de rester chez soi. Mais depuis mai 1968, certains sont convaincus d’avoir le germe révolutionnaire en eux quand ils ne sont que des insignifiants qui n’ont d’idées autres que celles qui prennent racine autour de leur éloignement du monde et d’idéal que celui dicté par l’école du cliché. Ces lycéens m’ont fait beaucoup de peine et je me suis affligé de voir combien était forte l’attraction de la pensée facile sur eux. Ah ! Cette passion de la « grande cause » ! Ceux‐là vendraient père et mère pour avoir droit à trois lignes dans le livre d’or de la pensée unique. Tambour battant, voilà les Verts, les communistes et le reste qui viennent s’insurger de la non‐humanité de Manuel Valls qui a osé appliquer la loi. Désormais, lorsque l’on expulsera quelqu’un, il faudra émettre un délai de 72 heures, prendre rendez-vous avec les personnes concernées, les encourager à suivre une préparation psychologique, et si, finalement, avant d’entrer dans l’avion, tout ce petit monde vous fixe d’un air « Je ne veux pas y aller», on ouvre grand ses bras, on y sert tout le monde et zut, « embrassons-nous » ! « Venez, restez, mettons fin à tout ce bordel, allons nous bourrer la gueule sur le dos du contribuable, il comprendra ! Restez avec nous, trinquons à l’union de tous les peuples, vivons comme l’homme de l’état de nature, tissons une harmonie entre nous, car nous sommes tous pareils et tous différents ». On dira maintenant avant d’intervenir contre des clandestins qu’on n’a pas pu car nous avons une humanité. Et si ça ne marche pas, il suffira de dire qu’on se sent comme un capo ou un SS à Birkenau.
Entre les lycéens, les écolos et « le camp Valls » (l’opinion publique), Hollande a fait le choix du courage. Hollande aurait du ne pas ouvrir la bouche sur cette non-histoire. C’est le vieil héritage monarchique de la fonction présidentielle qui veut que le Président ne se prononce pas sur les grands titres des médias. Sarkozy avait rompu cette tradition et avait voulu faire des lois avec l’actualité en considérant que le monde changeant, les moyens de communication s’améliorant, il fallait une politique de l’ici et du maintenant pour contenter la population et faire une politique d’une démocratie du XXI siècle et du suffrage universel permanent. Hollande fait aussi une politique du maintenant, mais n’en tire aucun instrument législatif. J’aurais applaudi à deux mains si Hollande avait laissé la loi faire son travail, j’aurais pensé que la fonction présidentielle avait encore un sens si Hollande ne s’était pas abaissé à prendre position dans une affaire de clandestin mal élevé. Je me serais excusé pour le mal que j’ai pu dire vis-à-vis de sa mollesse s’il avait su être ferme, refuser le moindre débat, refusé de jeter même un œil sur le dossier de cette fillette, refusé de s’intéresser à la construction médiatique autour de cette histoire (soi-disant bonne élève (on se questionne quant au référentiel choisi…), parfaitement intégrée, et toutes les conneries du genre). Mais non, Hollande a parlé. Pire, il a parlé pour ne rien dire. Je crois que Hollande a beaucoup trop joué au « ni oui ni non » quand il avait cinq ans. Comme tout le monde, j’y ai joué, puis j’ai eu six ans.
Hollande a toujours cinq ans. Il est cet enfant qui court après les moulins à vent, qui court après ses rêves, qui se voit en Jaurès, en Blum, en Mitterrand, il est là à s’imaginer prononcer un discours décisif devant le monde entier. Hollande vécut Jaurès, il se sentit s’effondrer contre la poussière du sol français qui fut ensanglanté quatre ans durant, il sentit ses chairs meurtries par la balle qui avait pénétré son corps. Devant sa glace, le voilà qui prend les airs de Jaurès, le voilà qui se dessine la moustache de Blum. A ses heures perdues, il entoure son cou de l’écharpe de Jean Moulin. Mais comme tous les enfants, Hollande, deux euros à la main, face à la boulangère qui lui sourit et à qui il rêve de demander 100 grammes de bonbons, se jette dans les jupons de sa mère et murmure un timide : « J’ai peur ».
(*)Loïs Henry est étudiant en khâgne et écrit régulièrement des articles pour Les Vendredis de la Colline, un groupe de réflexion.
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