Elle est à l’illumination vécue, au rimbaud
pratiqué par tous en vrai, à la lobotomie suffisante : nous vivons sous
acide. Et celle à venir ne saurait nous décevoir.
Changez-vous dès à présent les informations du jour. Elles sont, il est vrai,
insupportables…
Plutôt transportez-les à une puissance décuplée, à une intensité encore
inconnue. Forcez juste un peu la note, contaminez tous les discours dont notre
tête se trouve abondamment farcie et après malaxage restituez sur un ton
auto-convaincu, excité et ravi. Branchez-vous dès aujourd’hui sur les
fréquences du futur.
Dans Dernières nouvelles de l’avenir,
le langage de nos désastres mutants prend une tournure psychédéliquement
jubilatoire et une gravité loufoque. Franchement décervelé, ça parle depuis une
sorte de rimbaud-mickey perfectionné, dont les rêves néo-babyloniens trouvent
enfin leur tournure planétaire et leurs débouchés rentables, une fois pris aux
mots. L’époque à venir, acide et sous acide, est déjà là. On (quelqu’un,
plusieurs) nous en fait, avec un optimisme désarmant et une pédagogie inspirée
de nos meilleures méthodes, la démonstration par la pratique, jouant de tous
les registres de notre orgue mental, pratiquant en effet toutes les farcissures
des langages et registres contemporains à la fois, les télescopant et les
empilant ensemble dans des sortes de rhapsodies-sandwiches du plus bel effet.
Il arrive que ça éclabousse et même que ça spritze ! Un pape éclate et s’y
dégonfle tandis qu’un dalaï-lama prêchant aux chiens a bien du mal à se
débarrasser des cabots convertis accrochés par les dents à ses basques. C’est
dire si même la spiritualité la plus exigeante y trouvera son compte !
Qu’on se rassure, Dicenaire n’appuie sur
aucun procédé et varie les usages de la nov-langue décervelée que nous parlons
déjà. Polyphonique, un pêle-mêle de fantasmes régurgités, associant cerveau,
sexe (beaucoup), argent (beaucoup), génétique déjantée, langages de
l’entreprise et du managériat : un cocktail de voluptés diverses qui
voisinent, prennent feu les unes aux autres, en viennent à faire confondre
allègrement, vraiment allègrement ? génocides et partouzes. Un feu
d’artifice de voluptés mortelles ! Comme sur un grand huit, nous pourrions
y hurler de joie. Pourtant toute ressemblance avec une réalité existante ou
ayant existé ne paraît pas fortuite.
Les formes de l’exposé, car certains textes semblent destinés à nous
convaincre, sont diverses et variées. Cocasse leçon au tableau noir. Joyeuse
molestation de nos cellules. Interview (on ne dirait pas entretien) de Nemo sur
Monsieur Tout-le-monde. Joyeuse modification, scientifiquement appuyée, et
graduée, de la réalité. Cette dernière est en effet modifiable, comme on va
voir : tout le réalisme du XIXe siècle dans le roman, revisité par la
technique infaillible de notre « personnologue ».
Un tel texte drôle, et hélas vrai, fait percevoir, en concentré de doses, ce
qu’à petit volume nous ne cessons d’avaler tous les jours, plus long que des
couleuvres.
Et pour une fois, le discours du monde toujours terrifiant désopile.
Ce texte qui pourrait paraître nous répéter,
depuis « l’avenir » d’où il nous parvient et dans sa forcissure, et
bégayer, bégayer, bégayer, nous fait comprendre quelque chose de ce que nous
vivons, de l’effet du bombardement actif des discours qui nous visent,
incessamment, et ce faisant, en partie, il nous extrait, il nous délivre.
Merci, Sebastian Dicenaire.
[Pierre Drogi)
Sebastian Dicenaire, Dernières nouvelles
de l’avenir, Atelier de l’Agneau, 2013