La remarque a fusé il y a quelques jours, alors que nous étions à table à l’heure du dessert. Les trois couples amis de longue date, du temps du lycée pour les hommes, si je dois tout vous dire, réunis pour une soirée où les bons vins et les plats savoureux sont l’axe central. Une de ces soirées où les discussions passent du coq à l’âne, ponctuées de « tu en prendras bien encore un peu ? » ou bien de « vous allez me goûter ce vin-là » qui rien que de me les remémorer me mettent encore l’eau à la bouche.
L’hôtesse venait de déposer le dessert sur la table, un de ceux faits maison. Bien trop gros pour le nombre de convives et ce qui avait été englouti précédemment, mais pas encore assez pour qu’on ne s’attaque à son sort avec une vaillance qui aurait mis à mal un diététicien, s’il s’en était trouvé un à nos côtés. D’ailleurs à bien y réfléchir, sa présence éventuelle aurait été aussi déplacée ici que celle d’un moine en bure à l’élection de Miss France.
Un baba au rhum bien joufflu, à la pâte légère comme une plume d’aile d’ange, posé au centre de la table, attendait sans effroi apparent qu’on lui règle son compte sur le champ. Là, deux écoles s’opposent. La première, tenue par la pâtissière, voulait que l’on dégustât son œuvre telle qu’elle l’avait conçue. La seconde, défendue par son époux, conseillait de rajouter une lampée de rhum sur la chose, prétextant qu’elle avait légèrement séché en cuisine attendant de paraître. Les deux parties avaient leur logique propre et les invités ne voulant pas troubler cette délicieuse fin de repas, hésitaient dans leur choix. D’un autre côté, la bouteille de rhum était déjà ouverte, son goulot s’inclinait sur nos parts, nous nous sommes laissé bousculer sans résister beaucoup.
Tout en nous extasiant sur ce dessert imprévu, nous avons aussi constaté qu’il n’était plus aussi courant qu’à une époque passée. Il est très rare aujourd’hui de voir des pâtisseries proposer des babas individuels dans leurs vitrines et mêmes les restaurants ne se bousculent pas pour les mettre sur leur carte. Le gourmand qui voudrait se délecter de ce gâteau n’a que peu de chances d’en trouver un chez son artisan et s’il ne veut pas l’avoir dans le baba, il devra s’atteler à sa confection lui-même.