Être vivant, c'est d'abord avoir un cœur vivant, un cœur capable de ressentir pleinement, avec fluidité, comme celui d'un enfant. Avant d'aspirer au cœur équanime du sage, à l'ataraxie, l'absence de trouble, cherchons déjà à avoir un cœur vivant. La plupart des écoles de psychothérapie définissent quatre ressentis de base : la peur, la tristesse, la joie, la colère. Sommes-nous capables de les ressentir tous les quatre ?Y a-t-il un interdit sur l'un d'entre eux ? Un interdit sur la colère, par exemple ? Ou bien sommes-nous figés dans l'un d'entre eux : toujours tristes, en colère ou joyeux ? Certains sont en colère toute leur vie. D'autres se sont définitivement campés dans la bonne humeur. Ce n'est pas cela, être vivant.
Être vivant, c'est oser nous laisser brasser, nous rendre vulnérable, laisser les événements nous « travailler ». Un disciple de Swâmi Prajnânpad lui demanda un jour : « Comment cela se fait-il ? Swâmi Prajnânpad a vécu certains événements une ou deux fois, et il a changé ! Moi, j'ai vécu les mêmes événements des centaines de fois, et je n'ai pas bougé ? » Swâmi Prajnânpad répondit : « Ce qui se passe, c'est que les événements vous arrivent de l'extérieur, vous vous fermez, vous ne vous laissez pas affecter. C'est pourquoi aucun changement ne se produit dans votre existence. Tandis que celui qui se laisse affecter par les événements est obligé d'y faire face, il n'a pas d'échappatoire, il perd ses illusions et se libère. »
Nous évoluons dans un contexte généralisé de maltraitance du ressenti. Nos parents, notre éducation, l'école, la société, tout nous pousse à ne pas ressentir, à réprimer. Cela va des injonctions les plus grossières (« un homme, ça ne pleure pas »), aux plus subtiles (« après des années de thérapies et de pratique, je ne devrais pas être si fragile ! »). Alors, il ne faut pas ressentir, il faut que cela ne se voie pas, ou que cela dure le moins longtemps possible.
Qui plus est, l'enfance nous a confrontés à des situations si douloureuses que nous n'avons pas pu les ressentir complètement, nous avons dû nous fermer, nous « blinder » pour survivre. Ressentir, c'est donc également retrouver des émotions enfouies, laisser s'exprimer ce qui a été réprimé. Cela signifie aussi que les demandes infantiles, les distorsions issues d'une éducation maladroite, les blessures non cicatrisées de notre psyché fragile seront entendues et prises en compte. D'où l'importance d'un travail sur l'inconscient et la mémoire refoulée...
Emmanuel Desjardins
Spiritualité: De quoi s'agit-il ?