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Depuis combien de temps suis-je là, à faire le guet ? Veilleur dérisoire d’un impossible
espoir. Elle ne viendra pas, je le sais maintenant. Elle ne vient jamais le matin. Jamais.
Du haut du toit du manège, j’ai un peu froid. Mais les autres m’ont demandé de surveiller sa venue, alors j’obéis. J’ai toujours été obéissant. Et puis, moi aussi, comme eux, je veux savoir
et aussi la voir, Elle. Avant qu’ils n’arrivent, ceux qui ont fait un si long voyage pour nous informer. En bas, mon frère me fait des signes. Il a trouvé quelque chose au pied de la cabane du
vendeur de tickets. Les enfants ne sont pas arrivés, il est encore très tôt et le manège somnole. En trois bonds, j’apprends le délicieux sentiment de la rébellion. Ce que mon frère a découvert
comble de satisfaction mon estomac vide. Du chocolat. Echappé certainement d’une petite main s’accrochant la veille au cou d’un des chevaux de bois.
Pour notre plus grand bonheur. Je frotte le museau de mon frère pour le remercier, lisse ma queue poussiéreuse puis reprends ma place.
Le soleil, insolent de force, vient me surprendre dans un demi-sommeil, juste à temps. Je les vois passer au dessus de ma tête. Les émissaires.
Garuda et Kildir. Ma mission est terminée. Elle n’est pas venue.
Il est temps que je bondisse de branche en branche jusqu’à la roseraie. C’est le lieu du rassemblement. Les autres ont dit « Avant que les jets
d’eau ne se mettent à tourner, nos frères du Tibet et de Colombie nous auront rejoint ». Ils ont fait un long voyage pour nous donner des nouvelles d'Ingrid et de Lopsang. Ils ont besoin de
nous. Je ne dois pas être en retard. Je suis un écureuil conscient de son confort, alors que d'autres souffrent.
Demain, Elle sera là, lorsque le soleil commencera à décliner, incendiant le ciel. Et nous lui raconterons. Demain.