Au Burkina la rencontre annuelle entre le gouvernement et le secteur privé, dont la dernière édition, la 13ème du genre, s’est tenue du 07 au 08 octobre 2013 à Bobo Dioulasso sur le thème : « Le poids du secteur privé : quelles stratégies d’intégration dans l’économie formelle ? ».
C’est un thème pertinent au regard de la place qu’occupe l’économie informelle. En effet, elle regroupe plus de 70 % des actifs urbains, occupe 12 % des actifs au plan national et contribue à plus de 32 % au Produit intérieur brut (PIB). Un rapport d’enquête réalisée sur ce secteur en 2012 par le ministère de l’Industrie, du commerce et de l’artisanat, montre que sur 950 unités enquêtées, 90,8% des entreprises sédentaires informelles ne sont pas enregistrées au registre du commerce ; 95,6% de ces entreprises ne disposent pas d’un Identifiant fiscal unique (IFU) ; 96,2% sont non affiliées à la CNSS et 94% d’entre elles n’ont pas de cartes de commerçants. Pourquoi cet état de fait ? C’est malheureusement la question que l’on évite soigneusement de se poser !
Un simple coup d’œil jeté au rapport Doing Business (rapport qui évalue les indicateurs de facilité à faire des affaires) dans son édition de 2013 concernant le Burkina résume assez bien la situation. Le pays est classé à la 153ème place mondiale (sur 183 pays). En matière de protection des investisseurs, de paiement des impôts ou encore de commerce transfrontalier, le Faso se situe respectivement à la 150ème, 157ème et 173ème places. Dans un environnement des affaires non sécurisé et incertain, il est logique que les entrepreneurs restent cantonnés au secteur informel puisque le formel est rendu trop coûteux.
Mais cet environnement des affaires délétère prive aussi les burkinabè des opportunités qu’offre la mondialisation. En effet il faut 41 jours pour pouvoir exporter et 47 pour pouvoir importer un container là où il en faut 10, dans les deux cas, dans un pays de l’OCDE. L’entrepreneur burkinabè doit donc patienter cinq fois plus de temps pour exporter qu’un entrepreneur dans un pays riche ! Le coût d’exportation d’un container est deux fois et demie plus élevé que dans les pays de l’ODCE, et quatre fois plus élevé pour les coûts d’importation. Curieux effectivement, dans ces conditions, que les burkinabè ne profitent pas davantage de la mondialisation !
Il est vrai que des mesures telles que le renforcement des capacités des acteurs du secteur informel, des exonérations d’impôts, les facilitions dans la création d’entreprises, les accompagnements auprès des institutions financières ont été prises lors de ce cadre de concertation. Reste à savoir si elles seront appliquées, comment, dans quelle mesure et… pour qui.
Car l’autre problématique c’est la connivence politique entre le gouvernement et certains ténors du secteur privé. Cet état de fait entraine la création de monopoles et l’éviction d’une partie des acteurs, les moins nantis. Ceux qui refusent de suivre le dictat politique se retrouvent alors obligés de fonctionner sur le « marché noir ».
Les agents du secteur informel savent bien comment rejoindre le formel. Leurs capacités sont même renforcées du fait de la nécessité d’être très courageux et ingénieux pour survivre dans le secteur informel. Ils savent ce que vaut l’impôt dans la vie d’un Etat. Mais ils savent surtout qu’ils ne pourront réussir dans le formel tant que le politique sera le mentor des opérateurs économiques.
Car au Burkina Faso le secteur privé est « piloté » par la chambre de commerce et d’industrie qui est actuellement présidée par la « dame de fer » Alizèta Ouedraogo dite « Gando », qui n’est autre que la belle mère du petit frère du président du Faso. Voilà donc théoriquement un état de droit où chacun et chacune a le plein droit de participer de quelque manière que ce soit au développement de sa nation. Dès lors, il n’est pas anormal de s’étonner des bonnes issues qui peuvent résulter d’une rencontre entre le Big government et le Business si le secteur privé est dirigé par des personnes pour qui la frontière avec le pouvoir en place n’est pas toujours évidente.
Dans ce cadre, on voit donc mal comment une récréation de deux jours pourra résoudre la question du secteur informel. Car en effet, à quoi sert une rencontre entre un gouvernement et ses « amis » opérateurs économiques ? Les burkinabè sont en droit de se demander à qui profite cette récréation.
En réalité cette rencontre est un énième « cadre de concertation ». Ces cadres de concertations, à propos desquels un atelier interministériel s’est tenu à Kombissiri du 16 au 18 octobre, sont des rencontres participatives sur des questions diverses liées à la vie de la nation. Mais soit le dialogue pendant ces concertations est « encadré », et en réalité escamoté et donc superficiel. Soit la concertation est curative : le pouvoir les organise quand il est face au fait accompli, c'est-à-dire face à l’impasse. Ces cadres de concertations sont ainsi institués dans le seul intérêt du pouvoir en place.
Il est temps que les politiciens et les bureaucrates rangent leur decorum de pseudo démocratie participative et laissent les burkinabè prendre enfin en main leur avenir en leur rendant leur liberté économique.
Patrice Burkindi est