Je savais que Rue des boutiques obscures de Modiano avait reçu le prix Goncourt en 1978 et j’avais très envie de découvrir ce livre.
Un homme, qui se fait appeler Guy Rolland, décide de partir sur les traces de son passé : il a en effet été frappé dix ans plus tôt par une grave amnésie et ne se souvient d’absolument rien, même pas de son identité. Depuis son amnésie, il est l’unique employé d’une agence de détectives dirigée par un certain Constantin von Hutte qui, justement, va prendre sa retraite à Nice et laisse l’agence aux bons soins de Guy Rolland. On ne sait ce qui pousse ce dernier à partir sur les traces de son passé au bout de dix ans mais peut-être est-ce, précisément, parce qu’il se retrouve soudain seul. La première étape de son enquête le mène auprès d’un certain Paul Sonachitzé qui travaillait autrefois dans des bars et des hôtels où il lui semble avoir vu Guy Rolland accompagner un certain Stioppa de Djagoriew, qui se trouvera, d’après le journal, le lendemain à un enterrement dans une église russe. Guy Rolland décide de retrouver ce Stioppa et de l’interroger. D’indices en indices et de témoins en témoins, l’enquête prend forme. (…)
Ce roman, dont la situation de départ est assez convenue, ou en tout cas classique, réussit au fil des chapitres à enfoncer le lecteur dans un intense sentiment de mystère et d’étrangeté, au point qu’à certains moments on se demande si on n’a pas lâché le fil de l’histoire et s’il ne faudrait pas reprendre la lecture quelques pages en arrière (ce que j’ai fait à deux reprises). Ce personnage, Guy Rolland, on finit par ne plus très bien savoir s’il recherche vraiment son passé ou s’il cherche à s’inscrire dans une histoire qui n’est pas la sienne. Quand, vers la fin du roman, des « souvenirs » commencent à lui revenir, on ne sait pas très bien si ce sont des rêves éveillés ou de véritables souvenirs. Au début, tout se base pour lui sur une photo dans laquelle il croit se reconnaître mais, lorsqu’il montre cette photo aux différentes personnes qu’il croise par la suite, personne ne le reconnaît. Les témoins de son passé ne lui apprennent généralement pas grand chose, des détails insignifiants, ou des éléments qui leur semblent importants, à eux, mais qui semblent insignifiants à Guy Rolland. Celui-ci se perd dans des recherches d’adresses, de dates, de notices de bottins mondains, mais, le plus souvent, ce qui existait dix ou vingt ans plus tôt a totalement disparu : les gens sont morts, ou ont déménagé pour des pays lointains, ou on a perdu leur trace …
J’ai assez aimé Rue des boutiques obscures même si, parfois, j’ai trouvé que l’auteur se complaisait un peu trop dans le nébuleux et la complexité. J’ajoute que j’ai trouvé ce livre très cinématographique car, pendant ma lecture, j’imaginais très clairement les personnages et les décors qui sont remarquablement bien évoqués.