Choix. Entendons-nous bien. En apparence, le Front nationaliste joue le jeu de la démocratie électorale par temps de démagogues. Et pourtant. Si Fifille-la-voilà refuse l’étiquette d’extrême droite, et plus encore celle de fasciste, elle prépare l’opinion à accepter un processus de solutions qui tournent le dos à la démocratie et visent à rompre le pacte républicain – du moins ce qu’il en reste.
À ce titre, la normalisation et la dédiabolisation ont un prix: celui du point de non-retour à partir duquel il ne faudra plus seulement rester terrifié mais devenir terrible, pour reprendre une métaphore célèbre de Sartre. Une chose est sûre, l’idée d’un «front républicain» vide de sens et dans lequel, comme dans un trou sans fond, il conviendrait de se mélanger juste pour sauver l’honneur, sans principe ni fondation politiques, et surtout sans perspectives réelles, ne fait que renforcer le sentiment du «tous pourris» et de «classe des partis» contre la «classe du peuple». Le meilleur moyen de sacraliser (pardon pour le verbe) l’ennemi. Affaire sérieuse en effet. Jamais depuis la guerre, les Français n’ont à ce point engendré une logique de peur et d’exclusion dont les relents fascisants nous ramènent, par un mouvement d’involution, aux années 1930. Le déclassement, la paupérisation, l’atomisation sociale et l’absence d’alternatives crédibles conduisent toujours au pire, pour ne pas dire aux tentations brunes. Le FN se nourrit quasi mécaniquement de cette confusion des valeurs politiques, où déceptions, désillusions et désespoirs cohabitent parfois chez les mêmes personnes. À l’horreur de Nicoléon succède déjà la catastrophe de Normal Ier. Côté des politiques austéritaires et sécuritaires, qui parviendra bientôt à les distinguer? Quel écart, n’est-ce pas, entre les promesses – «le changement c’est maintenant» – et des choix qui peu à peu accréditent l’idée que tout changement serait vain... Voilà la clé du problème. L’absence de direction. Ou plus exactement l’absence de choix rompant radicalement avec les logiques ultralibérales. Nous le savons, la globalisation capitaliste ruine tout sur son passage, sécrète de la violence et de la peur à haute dose, et ressemble de plus en plus à un abîme de dé-civilisation et de liquéfaction de l’humain en tant qu’être-local. Fifille-la-voilà surfe sur ce sentiment. Nous avons perdu la maîtrise de notre destin? Retrouvons-la coûte que coûte.
Nation. Et revoilà notre problème majuscule: la question de la nation. Ne l’avons-nous pas un peu trop délaissée, au point de nous apercevoir, un beau matin, qu’on nous avait volé le bonnet phrygien? Qu’on le veuille ou non, l’État-nation a explosé sous les assauts du capitalisme financier néolibéral, réduisant les citoyens à des individus isolés, ramenés à leur fonction de consommateurs égoïstes comme garantie idéale d’une humanité docile, l’esprit de révolte en berne. Avec les traités européens et la règle d’or, la France a perdu son pouvoir budgétaire et sa capacité à mener des politiques publiques au nom de l’intérêt général. L’abandon de la souveraineté – pourquoi avoir peur des mots? – reste la meilleure occasion pour les libéraux, qu’ils soient «ultras» ou «sociaux», de mettre la France aux normes exigées par l’ultralibéralisme. Sommes-nous encore un peuple souverain? Sommes-nous encore des citoyens? Ne sommes-nous devenus «que» de simples sujets européens?
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 18 octobre 2013.]