L’OT et les OTAs (Épisode 4) Les OTA dans le collimateur, même pas peur !

Publié le 24 octobre 2013 par Jlboulin @etourismeinfo

On poursuit la série sur les OTA (Online Travel Agencies) autrement dit les agences de voyage en ligne.

Après une présentation des acteurs en présence et la place des organismes de destination touristique dans la bataille de la commercialisation, ce sont les agences en ligne qui sont dans le collimateur, même pas peur !

Tant l’actualité récente est riche sur le sujet, ce billet tente modestement d’en faire une synthèse. Autrement dit, armez vous d’un café long avant de mettre les OTA en joue !

  

Les OTA redistribuent les cartes de l’offre touristique

De la destination à la métropolisation

Inutile de chercher votre prochaine destination de vacances sur les sites des OTA. La Camargue, les Cévennes ou bien le Bassin d’Arcachon n’existent pas ! Vous trouverez les principales villes, quelques villages à fort potentiel touristique, rien d’exhaustif. Les OTA rabattent les cartes sur la notion même de territoire touristique délimité aux seules frontières des villes. Ils accentuent ainsi la métropolisation des destinations alors que la tendance nationale serait plutôt à des stratégies marketing de destinations à un échelon supérieur entre régions, départements et intercommunalités. Entre les OTA et les organismes publics, on ne joue pas avec le même viseur touristique.

Chaînes et labels, même punition

En toute objectivité, quitte à en fâcher certains, la problématique des labels et des réseaux volontaires nationaux reste justement leur manque de visibilité à l’international. Leurs plus-values résident dans la qualification et la standardisation de l’offre pour le client avec pour objectif d’accompagner les prestataires sur la montée en gamme de leurs prestations. Sur le volet commercial, les OTA ne s’encombrent pas avec des critères qui ne sont pas pertinents pour la quarantaine de langues parlées sur leur site. Ils n'affichent pas les labels nationaux dans leurs moteurs de recherches. La messe est dite.

La chaîne et son offre standardisée partout dans le monde reste un critère qui rassure le voyageur sur la qualité de la prestation comme une aide au choix dans la réservation. La problématique des chaînes reste principalement le manque d’exhaustivité de l’offre sur un territoire donné. C’est ainsi plus intéressant de passer par un site d'agences de voyages en ligne qui affichera les disponibilités et la transversalité des chaînes sur un même territoire avec ainsi une certaine exhaustivité. Au final, exceptés les clients fidèles, les internautes ont certainement de moins en moins d’appétence pour les sites et centrales de réservations des chaînes.

Le critère qui fait la différence c’est l’avis client

Les agences de voyage en ligne ont forgé leur réputation sur le rapport qualité prix des offres commercialisées. Mais le vrai critère différenciant ce sont bien les avis clients qui correspondent aux véritables attentes de la clientèle pour conforter le choix d’un séjour touristique. Une information objective fournie par le client lui même qui vaut toutes les promesses d’un commercial. Force est de constater le retard pris par les institutionnels sur ce volet. Les OTA se taillent en conséquence la part du lion.

On retiendra comme conclusion principale, une véritable interrogation (inquiétude?) sur la pérennité des centrales de réservations des labels et des chaînes.

Les pratiques abusives des OTA

La fausse aubaine pour l’hôtelier et le consommateur

La parité tarifaire donne le droit aux sites de réservation d’imposer le prix de la chambre. Dans la réalité, les tarifs proposés ne sont pas toujours aux meilleurs prix mais parfois au prix réel de la chambre. Par contrat les hôtels ne peuvent pas vendre une chambre moins chère que le prix affiché sur le site de réservation en ligne.

On admire au passage la sémantique (meilleur tarif, moins cher, bonnes affaires)
qui concourt à parfaire l’image de l’OTA sur sa politique et avantages tarifaires.

A chaque réservation effectuée sur son site, l’OTA prélève un taux de commissionnement qui flambe sans sommation de 12% à 30%. Une inflation qui ne connaît pas la crise.

Pire, si l’internaute trouve une chambre moins chère sur le site de l’OTA par rapport au prix affiché sur le propre site de l’hôtelier, par contrat ce dernier est contraint de refuser une réservation par téléphone au même prix que celui affiché sur le site de l’OTA. Alors qu’il serait évidemment plus intéressant pour lui de la vendre en direct au même prix et sans commissions.

Un référencement de premier choix

"Booking dépense 600 000 dollars par jour en achats de mots clés dans le monde" d’après Laurent Duc, Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (Umih). Ainsi à grands coups de liens sponsorisés, les OTA s'octroient les premières positions sur Google au nez et à la barbe de l’hôtel dont le lien de site Internet apparaît plus bas... dans les résultats naturels. La seule alternative pour l’hôtel est de rentrer en concurrence sur les enchères de liens commerciaux en achetant les mots clés relatifs à sa propre enseigne. Dans une recherche sur Google, rien n’est fait pour favoriser le positionnement des hôtels, bien au contraire. Des résultats sponsorisés de plus en plus présents dans Google qui interrogent les experts du référencement sur la fin programmée des résultats naturels. L’invincibilité des agences en ligne qui détermine l’invisibilité des hôtels.

On voit bien ci-dessous la difficulté du référencement dans les moteurs de recherche face à la concurrence exacerbée sur une requête portant directement sur l’enseigne de l’hôtel. Même si celui-ci achète sa présence sur Google Hotel Finder à droite de l’écran, il est positionné en dessous de ses concurrents commerciaux dont l'investissement aux enchères est supérieur. Lorsque Google annonce fièrement afficher les meilleurs résultats en fonction d’un internaute et de sa recherche, il oublie de préciser que les résultats sont aussi fluctuants selon les enchères de liens sponsorisés.

 

Des disponibilités relatives

Pire, non content de squatter les premières positions sur les moteurs de recherches pour les hôtels qu’ils n’ont pas en stock, certains OTA achètent aussi des liens sponsorisés pour les enseignes qu’ils ne distribuent pas. Quel avantage ? Lorsque le client clique sur le lien de l’hôtel non distribué, il est dirigé sur le site de réservation qui précise que l’hôtel n’a plus de disponibilités alors qu’en l'occurrence il n’est simplement pas distribué. L'OTA affiche alors une liste d’hôtels similaires et espère ainsi récupérer le client pour conclure la vente avec une offre alternative.

Pour des pratiques similaires, le groupe Expédia a déjà été condamné à payer 430 000 euros au Synhorcat (syndicat hôtelier) en affichant complet pour des hôtels avec des disponibilités réelles mais qui refusaient d’acheter une visibilité supplémentaire sur le site.

Du marketing poudre aux yeux

On en revient sur un des points précédents quant à l’image construite sur le prix et la disponibilité en temps réel qui rassurent et même incitent à la réservation par exemple :

 

Copie écran sur Venere.com

Des fonctionnalités en quasi temps réel, difficilement vérifiables mais qui ont su instaurer une confiance chez le consommateur et l’inciter à l’achat immédiat !

Du paiement 100% sécurisé !?

D’un côté, les organismes et consortiums bancaires qui s’acharnent à développer des vrais solutions de paiement sécurisés en ligne comme le 3D Secure (le payeur est bien le porteur de la carte).

De l’autre, Booking et consorts qui garantissent un paiement sécurisé au client en envoyant son numéro de carte bancaire à l’hôtelier par email et même parfois par fax : difficile de faire pire en matière de sécurité !

Les OTA à la une des médias

Des pratiques partagées et dénoncées par nos voisins du réseau de veille en tourisme au Québec. Ce sont même les grands médias nationaux qui s’emparent du phénomène qui n’a pourtant rien de nouveau. Des Carnets de Voyage sur Envoyé Spécial aux enquêtes de la Nouvelle Edition sur Canal+ dans les coulisses des centrales de réservation. Extrait : 

La Nouvelle Edition du 14/10/13 - Hôtellerie, quand les sites de réservation font la loi

Les OTA en proie aux législateurs

L'Autorité de la concurrence a été saisie en juillet dernier par l'Umih et la la Conféderation des professionnels indépendants de l'hôtellerie (CPIH) qui dénoncent les pratiques anti-concurrentielles des centrales de réservation en ligne.

Interpellé par le Synhorcat,  Razzy Hammadi, député de Seine-Saint-Denis et rapporteur socialiste du projet de loi sur la consommation à l'Assemblée nationale a promis d’apporter des amendements pour “remettre de la régulation” dans les sites Internet de référencement de l'hôtellerie française. Il entend bien ainsi se faire entendre sur plusieurs points sensibles parmi :

  • la parité tarifaire ;

  • la fiscalité en France des sites de réservation dont la grande majorité ne paye pas d’impôts en France, jouant sur les principes de holding et autres paradis fiscaux, alors qu’ils génèrent de l’activité commerciale sur le territoire auprès des hôtels eux-mêmes imposés ;

  • les liens fratricides (et malhonnêtes ?) qui unissent les OTA avec les comparateurs de prix et sites d’avis (comme Expédia et Tripadvisor bien que les deux entités soient indépendantes en bourse).

Sylvia Pinel, Ministre de l’Artisanat, du Commerce, et du Tourisme, et Fleur Pellerin, Ministre chargée de l'innovation et de l'économie numérique ont annoncé défendre les intérêts des hôteliers face aux agences de voyages en ligne lors du prochain conseil européen qui portera sur le numérique. Il aura fallu une simple visite d’un hôtel du 15ème à Paris pour que les ministres prennent conscience de l’ampleur du problème. Les politiques devraient plus souvent aller sur le terrain, pardon, les médias devraient arrêter de nous prendre pour des pigeons. On espère sincèrement que la mascarade de la visite n'est qu'un amplificateur médiatique d'une problématique de fond identifiée depuis longtemps.

Vers une réglementation des sites de location de vacances ?

Les sites de location de vacances entre particuliers ne sont pas à proprement parler des OTA mais tous deux se rejoignent sur de nombreux points : ils exercent une activité en ligne sans borne d'accueil physique, ils mettent en relation l’offre et la demande en prenant au passage une commission pour le service rendu. Des sites propulsés par le succès de l’économie collaborative dans le tourisme qui font aussi grincer les dents, en France comme au Québec sur une réglementation laxiste, une fiscalité inadaptée face à l’essor du marché et une perte sèche pour les territoires sur une taxe de séjour non perçue.

Les acteurs privés s’organisent aussi pour faire évoluer les lois, plutôt que de les subir, en accompagnant le législateur conscient de la nécessité de réglementer un marché qui lui échappe. La loi Duflot sur l’accès au logement et un urbanisme rénové (Alur) précise dans un amendement que “les locaux meublés loués de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile” doivent être déclarés en mairie pour les communes de plus de 200 000 habitants. Un changement d’usage (d’habitation vers location touristique) qui implique le versement de charges sociales et foncières. Par ailleurs, « lorsque le local à usage d'habitation constitue la résidence principale du loueur […], aucune autorisation de changement d'usage n'est nécessaire pour le louer pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n'y élit pas domicile » (art. 6 ter nouv. – CCH, art. L. 631-7 mod.).

La sémillante Magali Boisseau Becerril (Bedycasa) s’est fendue d’une proposition de loi proactive qui ne soit pas contraignante pour le marché et qui vienne préciser la réglementation actuelle. Sans rentrer dans le détail des 13 articles, les clauses concernent principalement :

  • une clarification des définitions de chambres d’hôtes et de chambres chez l’habitant qui ne comprennent pas les mêmes services ;
  • l’hébergeur ne devra pas offrir en location un prix excédant 80% des prix moyens constatés dans sa région équivalents aux chambres d’hôtels de catégorie 1 et 2 ;
  • une harmonisation de la taxe de séjour au niveau européen ;
  • une exonération d’impôts jusqu’à 3000€/an sur les revenus tirés de cette activité ;
  • la possibilité de pratiquer une sous-location plus chère que le loyer originel en reversant une partie de la marge au propriétaire.

Avec l’appui de ses principaux concurrents (AirBnb, Séjourning, HouseTrip) elle entend même assurer la présidence d’une fédération Union Host qui réunira l’ensemble des acteurs : voyageurs, loueurs, organismes publics (OT, CRT, CCI, communes, ..) et privés, experts tourisme, etc. Les objectifs seront de définir le cadre légal et réglementaire à la croisée des intérêts des différents acteurs en présence.

Magali Boisseau Becerril précise que “cette proposition vise tout de même à une meilleure harmonie entre les différentes parties impliquées et à permettre également au consommateur de pouvoir faire son choix en toute connaissance de cause.”

Quoique l’on pense de ces propositions, il ne s’agit pas d’être toujours manichéen mais de reconnaître les initiatives individuelles ou collectives qui visent à améliorer l’existant. Même si l’on ne peut s’empêcher de mettre un bémol sur le but intrinsèque des acteurs privés avec leurs propres intérêts économiques et une démarche d’intérêt public qui n’est pas complètement innocente.

Il y aurait encore beaucoup à dire sur la réglementation des locations de vacances avec le développement de l’économie collaborative. Il se pourrait même que le sujet fasse débat aux rencontres Voyage en Multimédia à Saint-Raphaël en février prochain, de source sûre.

Les principaux accusés contre-attaquent en brandissant l’argumentaire chiffré sur les ressources générées sur l’activité économique locale. Jusqu’à faire des concessions pour faire respecter les lois notamment sur la perception de la taxe de séjour.

La politique de l’autruche ou la pugnacité du Jack Russell ?

On entend beaucoup pester les hôteliers, les syndicats et autres organisations structurées dans un intérêt commun.

Les labels de locations de vacances restent à contrario bien silencieux (circonspects ?) face à l’essor des sites collaboratifs qui viennent concurrencer directement leur marché. Si leur protectionnisme a sans doute construit leur succès et la force de leur marque, ils devraient certainement s’interroger sur l’antinomie sémantique entre une politique protectionniste et la tendance collaborative du marché dont l’esprit d’ouverture en fait sa principale richesse. Ils auraient sans doute matière à collaborer, à pactiser avec le diable, en misant sur leurs atouts plutôt que de rentrer en frontal dans une bataille perdue d’avance.

Force est de constater aussi la relative discrétion voire l’absence de réaction des acteurs institutionnels (à moins que certains d'entre vous se réveillent au moins dans les commentaires ?). On pourrait parler avec provocation d’une forme d'inquiétante insouciance. Une segmentation du tourisme national où la défense de l’intérêt commun n’est qu’un rêve funeste dans un mille-feuille institutionnel pourtant remplis de matières grises et de forces vives, non ?

Alors quelles attitudes adopter face à cette poussée irréversible des OTA ? La politique de l’autruche ou la pugnacité du Jack Russell ? Dans le blog, on se positionne d’avantage sur la deuxième option, mais rassurez-vous on ne mord pas, on secoue juste le cocotier. Et on médite aussi un peu quand même sur les proverbes mahorais : "à trop secouer le cocotier, on finit par recevoir une noix sur la tête".

C'est bien beau de secouer le cocotier mais au final on fait quoi ?

Les réponses au prochain épisode : le 28 octobre prochain. Un suspense haletant qui laisse le temps de savourer quelques noix en attendant. Et merci si vous avez lu jusqu'ici, on est rassuré par votre intérêt !

Portrait chinois : si vous étiez un animal, vous seriez plutôt autruche ou Jack Russel ?