Les poupées minérales : l’expansion imprévisible (1)
Devant moi, Hampi, une bribe dans l’immensité indienne, un lieu impensable a priori, différent, hors du monde, en suspension et en équilibre incertain. Un paysage peuplé de jardins zen naturels et surdimensionnés, où des rochers empilés les uns sur les autres, défient les lois de la gravité. Comme si des Dieux disparus avaient sculpté le paysage à l’intention des hommes, une leçon grandeur nature, un idéal impossible à copier. Face aux statues de l’Île de Pâques, on perçoit la main de nos ancêtres disparus. Mais là, rien de tel, juste la nature belle et brute.
Comme posés au hasard au sein de cet univers massivement minéral, des temples surgissent au détour des chemins. Leur nombre semble infini. Tel un horizon de la création, leur limite est sans cesse repoussée. Je sens que mes pas n’épuiseront jamais la réserve de ces natures mortes, offrandes anonymes à des êtres tout puissants, car, quand je crois en avoir terminé, un nouveau portique dépasse d’une roche, un escalier à peine dessiné pousse à l’escalade, ou une sorte de ponton s’avance dans l’eau.
Je regarde, perplexe, les masses rocailleuses qui jalonnent les environs. Tout autour de moi, elles trônent sans ordre, posées, de ci de là, par des architectes inconnus. Impossible de voir d’où elles ont surgi. Aucune montagne à proximité dont elles ont pu se détacher. Ont-elles grossi d’elles-mêmes ? Ont-elles été enfantées par la Terre ? Ont-elles, telles des plantes, poussé et émergé depuis le sol ?
Devant le miroir de ce panorama dénué de toute vie végétale comme animale, dans cet eldorado du minéral, dans ce monde où le vivant n’a pas sa place, je sens venir à moi le flux de l’énergie de la matière inerte.
Quel chemin, le minéral a-t-il pu emprunter pour, partant de l’infinie simplicité du monde du Big Bang, arriver à la beauté complexe du paysage de Hampi ?
(extrait des Radeaux de feu)