« L’acouphène est le phénomène qui fait que j’entends des sons tels que sifflements, bourdonnements, grésillements sans que cela ait un rapport avec mon environnement, écrit le psychothérapeute Jacques Martel. L’acouphène se retrouve souvent chez des personnes qui vivent un très grand stress de performance. Il apparaît souvent à la suite d’un événement où un choc émotif a été vécu et où le niveau de stress a augmenté d’une façon significative : divorce, perte d’un emploi, cambriolage, etc. J’ai besoin d’être reconnu et qu’on respecte mon identité, mes droits. J’ai cependant peur de perdre mon emploi ou un certain statut social (travail ou vie personnelle) et je ne veux pas y faire face. Je peux parfois avoir de la difficulté à remettre en cause certaines de mes idées et je peux même devenir entêté. Je m’obstine à rester dans une situation insatisfaisante. Je résiste à des changements que je n’ai pas choisis et sur lequel je n’ai pas le contrôle. Je sais inconsciemment que si rien ne change, il pourra y avoir séparation, aussi bien au niveau personnel qu’en affaires. »
P.B. : Peur de changer son mode de fonctionnement, peur de l’inconnu, impossibilité à assumer ses erreurs, à se remettre en question, Jacques Martel dresse le profil psychologique type de l’acouphénien qui résiste au changement et s’installe dans un processus de blocage et de repli sur soi. Dans cette chronique d’une surdité annoncée, quel conseil donner ?
« Lorsque cela m’arrive, je dois prendre le temps de me questionner si j’ai été à l’écoute de ma voix intérieure. C’est comme si je n’étais pas parfaitement syntonisé sur « mon poste de radio intérieur ». Lorsque je syntonise un poste de radio qui est en ondes et qui n’émet pas de musique ou de parole, je peux « entendre le silence ». Par contre, si je déplace le récepteur sur une fréquence où il n’y a pas de poste qui émette, j’entends un grésillement ou du sifflement, comme si j’utilisais un poste à ondes courtes. Y a-t-il des émotions que j’aurais refoulées de crainte de troubler mon équilibre intérieur ? La vie me rappelle ainsi d’être à l’écoute de ma voix intérieure, de mes besoins et de mes désirs. »
P.B. : « L’acouphénien » s’est déconnecté de ses besoins véritables, de ses résonances intérieures et peu à peu, s’installe dans un mode de vie quasi autistique, dans une situation de dépendance, d’assistanat.
« Je dois me prendre en main afin de diminuer le « niveau de bruit ou les interférences » qui peuvent exister dans mes pensées et dans mes émotions, car le fait d’entendre ces sifflements ou ces bourdonnements m’indique peut-être qu’il y a aussi quelque chose que je ne veux plus entendre et que ces sons empêchent que cela parviennent à mes oreilles. »
P.B. : Jacques Martel souligne à juste titre que « l’acouphénien » est souvent un hypertendu qui s’ignore, si peu à l’écoute de lui-même qu’il ne peut s’en rendre compte. Alors la tentation est grande de reporter son attention sur le monde extérieur, de le décrypter jusqu’à la maniaquerie plutôt que de décoder son fonctionnement interne. Hypersensible aux bruits du monde extérieur, hypersensible aux bruits péristaltiques de son propre corps, le son est devenu cet ennemi qui vient de l’intérieur.
« L’acouphène m’indique que mon corps est sous tension, écrit Jacques Martel. Cela va tellement vite dans ma tête que j’ai l’impression que « tout va sauter ». Je suis très attentif à tout ce qui se passe autour de moi. Lorsque j’ai de l’acouphène, je me sens souvent loin d’une personne que j’aime. Je me sens séparé d’elle parce que nous avons de la difficulté à communiquer. Le silence vécu me fait peur et m’est insupportable. J’ai besoin d’être rassuré, d’avoir des explications, des paroles gentilles, mais tout cela est inexistant. »
P.B. : Le rapport à l’autre conflictuel, la communication difficile, voire impossible, au sein du couple, de la relation amoureuse, le besoin de se sentir épauler, d’être en sécurité avec quelqu’un sont, pour Jacques Martel, des « générateurs » potentiels d’acouphènes. La parole gentille qui manque, la relation immature qui la sous-tend, l’infantilisation sentimentale, entraînent une frustration qui s’exprime par le signal continu dans les oreilles de l’acouphène.
« Je me sens ainsi agressé dans cette non-communication, je n’ai d’autre choix que de rentrer dans ma coquille pour me protéger de ce mur de silence. Je vis une certaine dualité : j’ai besoin de solitude, mais seulement lorsque je la choisis et non pas quand elle m’est imposée ou qu’elle survient hors de mon contrôle ! Ce son que j’entends peut aussi me permettre de rester en contact avec une souffrance vécue que je ne veux pas oublier. Ce son ou bruit me permettra-t-il de m’apaiser d’une certaine façon ? C’est ce qui arriverait si je l’entendais réellement dans le physique. Parfois, le silence me renvoie à la notion de mort et, si j’ai peur d’elle, mon cerveau « fait du bruit » pour m’éviter d’y penser. »
P.B. : L’acouphène est le cri étouffé d’une mort à soi-même qu’on ne veut ou qu’on ne peut pas transformer sans une aide extérieure. Mais le monde des entendants étant par essence un univers hostile, l’acouphénien a tendance à se replier dans sa coquille, dans la cochlée de son oreille interne.
Jacques Martel insiste également sur la nature exacte du bruit auditif entendu. Le désigner, le reconnaître, l’explorer est aussi une façon de mieux l’appréhender. « Il est important que j’identifie exactement ce que j’entends (sifflement, grésillement, bourdonnement, cloches, klaxons, etc.) pour identifier ce que je vis. Il se peut que j’entende les sons suivants : le bruit d’un ruisseau, le rugissement d’un torrent, des cloches, le « sifflement » des abeilles, une seule note de flûte, le son de la cornemuse, le vent dans les arbres, des milliers de violons, un vrombissement profond. »
P.B. : Ne faut-il pas alors dans le cadre d’une cure de thérapie sonore faire écouter au patient le bruit naturel correspondant à celui de son acouphène afin de le « positiver », voire par plasticité cérébrale, de rétablir sa nature mélodieuse et agréable ?
« Lorsque cela survient, c’est que je suis en contact avec un des sons qui existent sur les plans intérieurs et qui est représentatif d’un plan de conscience en particulier. »
P.B. : Jacques Martel reprend ici les expériences parapsychiques de Paul Twitchell qui, dans son ouvrage Le carnet de notes spirituelles, décrit les musiques liées aux différents plans de la Création. En effet, si "l’acouphénien" considère son acouphène comme un son naturel, comme un bruit d’eau par exemple, il aura gagné la bataille et sera moins gêné par ce son continu.
« Dans ce cas, je ne fais pas d’acouphène ; il s’agit d’un son naturel. Mon oreille intérieure, spirituelle est davantage ouverte. J’ai à dire merci d’entendre ce son parce qu’il m’indique que je suis en contact plus conscient avec un des mondes intérieurs de la création. Je reste calme et mon attitude est celle de celui qui habite juste à côté d’un ruisseau et qui entend ce son normalement. Le cerveau enregistre ce son comme normal et je me sens à l’aise de fonctionner dans mon quotidien avec ce son naturel. »
On ne sera pas forcément d’accord avec tous les points de l’analyse de Jacques Martel mais il y a dans sa réflexion matière à méditer et à mettre en pratique.
Philippe Barraqué
Musicothérapeute
Docteur en musicologie
Source : Le grand dictionnaire des malaises et des maladies, Jacques Martel, éditions Quintessence.
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