La cessation de paiement en novembre n’aura probablement pas lieu en Union Européenne mais le boulet ne sera pas passé
loin de la tête des dirigeants européens.
L’adoption du budget européen n’est pas un long fleuve tranquille. Il y avait d’abord eu
cette première historique, le Parlement Européen qui avait rejeté le première version du budget
pluriannuel (2014-2020) le 13 mars 2013. Un accord a été trouvé ensuite avec les députés européens après certaines modifications mais le texte n’a pas été encore formellement adopté.
Un "shutdown" européen ?
Le "shutdown" des États-Unis (paralysie du gouvernement
fédéral) qui a duré dix-sept jours (du 1er au 17 octobre 2013) semble faire des émules de l’autre côté de l’Atlantique.
Une nouvelle bombe à retardement est arrivée au Parlement de Strasbourg le lundi 21 octobre 2013, à
l’ouverture de la session ordinaire. C’est son Président, l’Allemand SPD Martin Schulz (dont je reparlerai
plus tard) qui l’a annoncée en lisant une missive de la Commission Européenne : « J’ai été informé ce matin par les services du Président de
la Commission Européenne du risque de cessation de paiement à la mi-novembre. (…) J’ai demandé une réunion d’urgence de la commission des budgets mardi pour examiner le fond de l’affaire et si
une demande est soumise par le Conseil, un vote pourrait être organisé jeudi. ».
Il ne s’agit pas du projet de budget pluriannuel, mais bien du budget de 2013 pour lequel il manquerait au
moins 2,7 milliards d’euros. En fait, deux autres rectificatifs budgétaires sont attendus d’ici la fin de l’année.
En effet, les députés européens avaient accepté d’adopter le budget 2014-2020 sous réserve que le Conseil
européen débloque un supplément de 3,9 milliards d’euros pour le budget 2013. C’est pour cette raison que le budget pluriannuel ne sera pas adopté définitivement avant la session de novembre.
Mais un autre supplément de 400,5 millions d’euros a été demandé pour venir en aide aux sinistrés des
inondations du printemps dernier en Allemagne, en Autriche et en République tchèque, ainsi qu’aux victimes des incendies de forêts de l’été 2012 en Roumanie.
Or, il y a un désaccord entre certains pays et le Parlement Européen sur ces 400,5 millions d’euros. Toujours
désireuse de réduire au maximum les montants, l’Allemagne notamment souhaiterait inclure ces 400,5
millions dans les 3,9 milliards initialement prévus en rectificatif. Alors que les députés européens considèrent que ce sont des dotations supplémentaires (exceptionnelles) qui doivent se
rajouter.
Certains députés européens, assez perplexes, se demandent si ces rectificatifs seront toujours acceptés par
le Conseil européen, donc, par les vingt-huit gouvernements des États en rajoutant cette nouvelle demande de 2,7 milliards d’euros.
Un député européen qui n’a pas sa langue dans la poche et n’hésite pas le langage cru, le coprésident du
groupe écologiste, Daniel Cohn-Bendit a rapidement exprimé sa mauvaise humeur sur ce sujet :
« Il y a quelque chose de bizarre dans cette histoire. Vous n’allez pas me dire que la Commission Européenne a découvert vendredi après-midi qu’elle
n’avait plus d’argent. Quelqu’un se fout de notre gueule dans cette affaire. » ("La Croix").
Accord en vue pour jeudi
Finalement, ce mardi 22 octobre 2013, la commission des budgets a en urgence accordé le versement exceptionnel demandé de 2,7 milliards d’euros pour
compléter le budget 2013, somme payée directement par les États européens. Cette décision devrait probablement ne rencontrer aucun obstacle pour être adoptée en séance plénière le jeudi 24
octobre 2013.
Le Commissaire chargé du budget, Janusz Lewandowski, a expliqué que l’adoption des 2,7 milliards d’euros ne serait toutefois pas suffisante :
« Cette somme va permettre d’honorer une partie des demandes de remboursements soumises en octobre par les États, mais elle ne sera pas suffisante
pour tout payer. (…) Des choix vont devoir être faits, et le règlement de certaines factures présentées en 2013 devra être différé. » ("Le Monde").
Les 3,9 milliards d’euros que les États avaient promis aux députés européens de verser en fin octobre 2013 ne
devraient d’ailleurs pas être utilisables pour le budget 2013.
Évidemment, une cessation de paiement de l’Union Européenne (regroupant vingt-huit États) aurait été moins grave que celle des États-Unis (fédérant cinquante États). En effet, le budget de
l’Union Européenne ne représente qu’environ 1% du PIB alors que le budget des États-Unis compte environ 17% du PIB (cette proportion est faible par rapport à un budget comme celui de la France
car beaucoup de missions publiques sont du ressort des budgets internes aux États des États-Unis).
Comme je l’avais indiqué à propos du "shutdown" aux États-Unis, une telle cessation de paiement ne pourrait
jamais se faire en France en cas d’enlisements parlementaires pour l’adoption de nouveaux crédits, les institutions empêchant tout blocage.
La France plus performante que les États-Unis ?
C’est d’ailleurs ce dont certains Américains commencent à prendre conscience malgré la réputation assez
mauvaise de la France aux États-Unis sur ces questions.
Ainsi, Stephen Clarke a reconnu le 5 octobre 2013 dans "The Daily Telegraph" que la France serait peut-être
plus performante que les États-Unis : « On peut dire ce qu’on veut de la France, même au beau milieu d’une énorme "crise", elle veille à ce que
l’essentiel fonctionne, tant sur le plan symbolique que pratique. (…) Elle fait mentir ce vieux cliché, que les Français sont les premiers à croire, et qui veut que les États-Unis soient le pays
de l’efficacité non-stop, où personne ne prend de vacances et où tout le monde n’a d’autre souci que de produire plus que les économies étrangères. Eh bien non, quand les choses se gâtent, le
gouvernement américain se contente de tout arrêter, et des hordes de gens se retrouvent en congés sans solde pour une durée indéterminée. ».
Puis, évoquant les grèves en France qui n’obtiennent plus de grande mobilisation, il ajoutait :
« C’est le revers positif de l’inefficacité supposée des Français, ils se montrent moins empressés quand il s’agit de mettre le pays en panne. (…)
Par conséquent, même la démocratie américaine, prétendument modèle, est à la remorque de la France dans ce domaine. (…) Cela fait vingt ans que je vis en France, et depuis que je suis arrivé, le
gouvernement n’a cessé de dire qu’il n’avait pas les moyens de payer son généreux système de santé. N’empêche qu’il continue à le faire. C’est pour ça que je dis toujours à mes amis français
qu’ils ont beau se plaindre, ce qui est chez eux un passe-temps national, ils ne savent vraiment pas à quel point ils ont de la chance. ».
Qui est le modèle ?
Malgré les nombreuses oppositions, doutes ou mécontentements à l’intérieur de la majorité, le
gouvernement de Jean-Marc Ayrault réussira évidemment à faire adopter (à l’arraché) sa loi de finances pour 2014. Le budget pluriannuel de l’Union
Européenne sera probablement adopté dans un mois sans nouveau rebondissement. Peut-être que la vieille Europe serait finalement un bon modèle pour les États-Unis ?
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (23 octobre
2013)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Shutdown pour Barack Obama.
L’Europe des
Vingt-huit.
La
révolte du Parlement Européen.
La construction européenne.
L’Union Européenne, c’est la paix.
Daniel Cohn-Bendit.