Je viens de terminer la lecture des 290 pages. Avant de vous dire ce que j’ai en retenu, je précise qu’il vaut la peine de s’y attarder, pour plusieurs raisons.
D’abord pour l’aspect inusité. Publier un bouquin est un exercice rare pour un chef en fonction. Et complètement à contre-courant de la mode politique actuelle, qui carbure aux 140 caractères et à la phrase-choc de 5 secondes pour se faufiler dans les bulletins radio et télé. Mettre le temps que nécessite l’écriture, et la recherche, est en soit un petit miracle pour un chef de parti politique.
En entrevue hier en fin de journée (vendredi), François Legault avouait candidement que le projet est un peu «casse-gueule». Une grosse entreprise pour des retombées très incertaines. Combien de gens vont le lire?
«Au moins, les gens ne pourront pas dire qu’on ne propose rien, qu’on improvise pour une campagne électorale. Ça fait un an que je travaille là-dessus. Et ceux qui n’aiment pas mon plan pour relancer le Québec, je vais leur demander de me montrer le leur», dit-il.
Legault n’étant pas un orateur de grand talent — il est d’abord un homme d’affaires qui sert en politique — ce style de communication par l’écriture, plus posé, calme et explicatif, où il peut dérouler les chiffres sans perdre l’attention des gens, lui convient bien.
C’est bel et bien lui qui a écrit le livre. Aucun doute. En parcourant les pages, en lisant les phrases courtes, directes, dans un style sans fla-fla, mais parfois trop carrées, on entend François Legault parler. Il ne s’agit pas d’une thèse de doctorat, le livre n’est pas encombré de tableaux, mais si vous cherchez un livre de détente, romantique ou écrit avec finesse, il faudra regarder ailleurs.
C’est davantage un bouquin pour contribuer au débat public. Il y a des longueurs dans certains passages, alors qu’ailleurs, on voudrait en savoir davantage, notamment sur les exemples inspirants à l’étranger (Californie, Boston, Barleclone, Zurich, Tel-Aviv, Stockholm…), où il a réussi à piquer notre curiosité. Car il y a effectivement des projets emballants de développement économique, environnemental et urbanistique à travers la planète.
«Quand j’étais ministre, j’étais stupéfait de constater que les fonctionnaires ne regardaient pas ce qui se faisaient de meilleurs ailleurs. Il y a des exemples qui fonctionnent», dit-il.
Richard Bergeron devrait d’ailleurs lire ce livre, puisque Legault parle des tramways pour Montréal. En fait, tous les candidats à la mairie de Montréal devraient le lire, puisque la vision de Legault pour la métropole est assez claire et détaillée, à commencer par ce qu’il juge la priorité: réaliser la transformation urbanistique de la Cité du Havre, autour de l’autoroute Bonaventure. «On ne relancera pas le Québec sans relancer Montréal. Et il faut commencer par un grand projet qui redonne confiance», dit-il.
Outre le futur maire de Montréal, plusieurs acteurs de la société retrouveront leurs aspirations et leurs expertises dans le livre, notamment les chercheurs universitaires, les scientifiques, les professeurs du primaire et du secondaire, les architectes, les amateurs de plein air, les intervenants de l’industrie touristique et les amants des technologies vertes.
…
L’oeuvre cadre avec le personnage. Sans grande surprise, François Legault reprend ses thèmes de prédilection: innovation, développement économique, nationalisme, finances publiques, éducation. Et surtout: le changement.
On sent dans ces pages l’urgence d’agir qui anime François Legault depuis qu’il est entré en politique. Et même avant. Il aime brasser la cage, tenté de nouvelles avenues, sortir du moule. Il dérange et il vit bien avec ce facteur de controverse. C’est de cette manière qu’il a bâtit Air Transat en quelques années (et qu’il est devenu indépendant de fortune à l’âge de 39 ans). C’est également comme ça qu’il dirige la Coalition avenir Québec. Qu’on aime ou non ce style, parfois un peu carré et précipité, c’est lui, tout d’un bloc.
Ses passages à la tête du ministère de la Santé et de l’Éducation en témoignent également. Ses méthodes ne font pas toujours plaisirs (souvenez-vous des contrats de performance avec les universités), mais il n’est pas un politicien qui attend sa réélection.
François Legault est un réformateur.
Et les réformateurs ne tiennent pas en place quand ça ne bouge pas à leur goût. Si les prochaines élections font régresser la CAQ, et que le Projet Saint-Laurent n’attire pas les citoyens, quittera-t-il la politique pour une deuxième et dernière fois?
«Non», tranche-t-il sans hésitation, de l’autre côté de la table qui nous sépare. «Même si je perds, je reste. La CAQ et ses militants auront à décider si je demeure le chef, mais je vais rester. Je crois à ce que je dis, je crois à ce projet, c’est important pour le Québec.»
Vous aurez la patience d’attendre, de convaincre? Il éclate de rire. «C’est vrai que la patience n’est pas ma plus grande qualité, mais en politique, j’ai appris qu’il faut choisir ses batailles et c’est parfois long», dit-il.
Il prépare d’ailleurs activement son parti pour la bagarre électorale qui pourrait survenir plus tôt que tard. Malgré les sondages difficiles et l’incertitude, il se dit confiant. «On ne fera pas une campagne électorale de 33 jours seulement sur la Charte des valeurs. Les gens vont vouloir qu’on leur parle d’emplois, de qualité de vie, de recherche universitaire. Je suis confiant que notre Projet Saint-Laurent est bon. Que ça va emballer les gens. J’ai hâte de faire campagne en proposant quelque chose. Je déteste passer mon temps à critiquer», dit-il.
Mais le changement, ce n’est pas tout. Surtout s’il est perçu comme négatif.
En entrevue, François Legault dit avoir tiré une leçon de la dernière campagne électorale.
«La dernière fois, on n’a pas réussi à rallier toute la population avec nos idées. On n’a pas été capable d’apporter un certain espoir. Le message était trop centré sur le ménage. On va pouvoir combler cette lacune avec le projet Saint-Laurent, qui touche la qualité de vie des gens et les bons emplois. Le ménage, ça visait à donner un répit fiscal aux gens, mais on a davantage entendu parler des coupes que des bienfaits qui allaient en résulter pour les Québécois», dit-il.
Il souhaite asseoir les fondements d’un projet plus porteur de rêve, plus positif, que le simple discours de changements de structure un peu technocrate. Dans son livre, il écrit d’ailleurs:
«Ce dont le Québec a peut-être le plus besoin en ce moment: croire en lui-même et se donner les moyens de réaliser ses projets, d’atteindre ses objectifs.»
Le projet Saint-Laurent, qui vise le développement économique, la recherche, l’éducation, la qualité de vie et le tourisme, essentiellement dans le grand triangle Montréal-Sherbrooke-Québec (avec des pointes au Saguenay et en Gaspésie), va-t-il rallier les citoyens?
Va-t-il réussir le défi de convaincre les gens de le suivre? On verra!
…
En attendant, voici six axes que j’ai retenu de son bouquin et du Projet Saint-Laurent:1- Éducation
«C’est avec l’éducation que commence l’égalité des chances et que tombent les barrières sociales», écrit François Legault. La qualité de l’éducation, dit-il, doit s’améliorer dans une société où l’avenir économique est intimement lié au savoir.
«Faute de ressources suffisantes, nos institutions d’enseignement supérieur peinent à suivre le rythme, à offrir une formation de calibre mondial. Un coup de barre s’impose. L’éducation doit, comme on l’avait compris à l’époque de la Révolution tranquille, redevenir notre grande priorité collective, notre première cible», écrit-il.Il ajoute:
«Si on veut être prospères dans vingt-cinq ans et payer nos soins de santé, c’est aujourd’hui qu’il faut investir en éducation», écrit-il.C’est avec une meilleure éducation que le Québec pourra éventuellement combler son écart de richesse avec l’Ontario (12 %), le Canada (23 %) et les États-Unis (37 %). François Legault en a fait l’une de ses motivations politiques premières.
Un chiffre du livre frappe d’ailleurs l’imagination: si le Québec avait le même niveau de richesse que l’Ontario, les coffres du Québec recevraient 7 milliards de dollars de plus par année…
Il précise dans le bouquin:
«L’écart de richesse entre le Québec et le reste du Canada est d’abord dû à la qualité et non à la quantité de nos emplois.»2- L’innovation.
Je le disais, François Legault est un homme pressé. Investir à long terme dans l’éducation, c’est bien, mais puisqu’il veut combler l’écart de richesse avec l’Ontario en 10 ans — «Toute une job!», reconnaît-il — il faut agir sur d’autres fronts.
Il souhaite donc créer des milieux de vie et de travail de qualité, des clusters, comme on en retrouve dans plusieurs endroits du monde: Silicon Valley, Boston, Zurich, Stockholm, Tel-Aviv, Barcelone… Des endroits attirants, beau et technologiquement avancés pour les citoyens et les travailleurs de talent.
Il écrit:
«Les clusters sont des lieux géographiques regroupant des centres de recherche et des industries, un amalgame qui permet de passer de l’idée au marché, autrement dit du concept théorique à l’application commerciale, ou si vous préférez, du laboratoire jusqu’au produit sur les tablettes et en ligne. Les organismes publics et privés, les universités et les entreprises y soutiennent ensemble la recherche et le développement. Dans notre monde transformé par l’économie du savoir et de la connaissance, la recherche assure la croissance à travers la capacité des divers partenaires, investisseurs et chercheurs à trouver des applications commerciales aux avancées scientifiques et techniques. La recherche, créatrice de valeur, est la pierre angulaire de ces grands projets, et c’est ce que nous devons encourager et développer ici.»François Legault souhaite d’ailleurs rendre une partie des crédits d’impôt accordés aux entreprises chaque année pour la recherche et développement (800 millions $ annuellement) conditionnel à l’investissement du privé dans les centres de recherche et les universités. «On pourrait amener 600 millions de dollars par année en recherche dans les universités. Il ne faut pas mettre de côté la recherche fondamentale, c’est important. Mais il faut faire beaucoup plus de recherche appliquée que maintenant. C’est ce que les pays scandinaves ont fait, avec beaucoup de succès», dit-il en entrevue.
Dans son livre, il décrit ce qu’il souhaite comme clusters, ces zones d’innovation dans la vallée du Saint-Laurent:
«Nous encouragerons le nettoyage, la décontamination et la restauration de certains de ces espaces contaminés, pour permettre aux acteurs régionaux de valoriser des emplacements abandonnés et oubliés. Ces zones doivent devenir des modèles d’aménagement durable et moderne dans lesquels on pourra travailler et vivre. Elles devront répondre à des critères précis d’architecture, de préservation des écosystèmes environnants et de gestion écoresponsable. Les normes de construction devront respecter les références de la certification LEED et miser sur l’efficacité énergétique. Les plans d’aménagement devront prévoir des parcs, des espaces réservés aux services, des quartiers résidentiels en plus des zones commerciales afin d’offrir un cadre de qualité de vie de très haut niveau.»3- Qualité de vie.
Ce qui nous amène tout naturellement à la qualité de vie, un volet important du livre. Et pour un comptable comme François Legault, le paragraphe de la page 97 surprend:
«Investir dans la beauté d’une ville, dans le dynamisme de sa culture et dans la qualité de ses infrastructures facilite le progrès social et économique. Cela fait partie des conditions gagnantes, puisqu’il devient plus facile d’attirer des esprits créatifs et des investisseurs. L’harmonie favorise le mieux-être, ce qui nourrit le climat de collaboration entre les divers partenaires.»Il souhaite notamment doter le Québec d’une Politique nationale de l’architecture et de l’aménagement, pour que les zones d’innovation qu’il propose ne soient pas du même acabit que les parcs industriels monstrueux qui pullulent au Québec. L’Angleterre s’est notamment doté d’une politique semblable.
Il donne plusieurs exemples de réussites, que ce soit à Toronto, Québec, Stockholm ou Barcelone. Et cette politique nationale devra tenir compte du Saint-Laurent, de l’eau, pour cesser de tourner le dos au fleuve et le rendre aux citoyens et travailleurs.
Legault affirme:
«On peut dire que la Grande Bibliothèque de Montréal doit une partie de son succès à son architecture exceptionnelle. Comme quoi l’État ne doit pas se contenter du rôle de donneur d’ouvrage: il doit aussi imposer une vue d’ensemble, des valeurs communes et des critères pour assurer la beauté des bâtiments.»4- Décontamination.
C’est l’une des nouveautés intéressantes du livre. Cesser l’étalement urbain et construire sur des terrains disponibles en ville, près des infrastructures de transports. Et pour y arriver, il propose de décontaminer une partie des 9000 terrains contaminé — vous avez bien lu, c’est plus de 9000 terrains contaminés en friches au Québec, et c’est un inventaire partiel.
Passage du livre:
«Un grand ménage s’impose, d’abord pour nous tous, les citoyens, qui ne pouvons profiter en aucune façon de ces espaces malsains, ensuite pour les entrepreneurs en quête de lieux où s’installer et enfin pour les générations futures à qui nous nous devons de laisser une maison propre. (…) On me dira que la restauration des terrains pollués va coûter cher. Je répondrai que ce sera moins cher qu’on ne pourrait le croire. Et le faire s’avérera même très rentable. Il faut donc surtout voir dans cette initiative un investissement, c’est-à-dire de l’argent que l’on dépense maintenant, mais qui va en rapporter bien davantage plus tard.»Il donne l’exemple suivant:
«De 1998 à 2006, le Programme Revi-Sols, à Montréal, a accordé 75 millions de dollars en subventions pour l’établissement de terrains propres. On estime aujourd’hui que ces 75 millions ont généré des investissements de plus de 2,5 milliards de dollars et la création de 16 000 emplois. L’Institut de la statistique du Québec calcule que ces investissements ont entraîné pour la Ville de Montréal une augmentation de 72 millions de dollars des revenus fonciers. Ces mêmes investissements auraient produit, pour le gouvernement fédéral, des revenus ponctuels de 89 millions et des revenus récurrents de 80 millions, et, pour le gouvernement du Québec, des revenus ponctuels de 122 millions et des revenus récurrents de 104 millions.»La dépollution de l’eau du fleuve fait également partie des plans du chef de la CAQ. Il y a un passage fort intéressant sur un quartier de Stockholm, en Suède.
Extrait:
«Le projet Hammarby Sjöstad se voulait un modèle de projet respectant les règles du développement durable. Le design des bâtiments vise l’efficacité énergétique. L’accessibilité aux transports en commun est maximale. Les espaces verts y sont présents en grande quantité et les citoyens ont retrouvé l’accès aux rives. Aujourd’hui, plus personne ne visite Stockholm sans passer par Hammarby Sjöstad. Des milliers de politiciens et fonctionnaires municipaux des quatre coins du monde sont venus explorer ce théâtre des plus grandes avancées technologiques en matière de traitement de l’eau, de biodiversité et de développement durable.»5-Tourisme.
C’est le 5e axe qui a attiré mon attention. Le fleuve Saint-Laurent est un joyaux, et s’il faut le redonner aux riverains et aux Québécois, il peut aussi servir de moteur touristique.
François Legault écrit:
«Le Saint-Laurent (…) est une «icône» qui offre un potentiel exceptionnel, mais largement sous-exploité, en particulier les portes d’entrée que sont les villes de Québec et de Montréal. Mais il en va de même pour bien d’autres destinations, notamment la côte de Charlevoix et le fjord du Saguenay, des lieux d’une splendeur incomparable, qui gagneraient à être mieux connus. En fait, nous devons faire découvrir aux voyageurs et aux touristes du monde entier la majesté de ce joyau qu’est le Saint-Laurent.»Il y a un large passage sur les croisières et la volonté de s’entendre avec Ottawa pour une stratégie de revalorisation des quais le long du fleuve.
6- Le pétrole du Québec.
On connaît déjà la volonté de François Legault d’exploiter le pétrole du Québec. Il veut également que l’État prenne des participations importantes dans les entreprises qui en ferait l’extraction.
Son modèle: la Norvège. Il y consacre d’ailleurs un chapitre complet.
Extrait:
«Redonner le Saint-Laurent aux Québécois, ce serait aussi faire le choix d’exploiter de façon responsable ses richesses naturelles. Je pense à l’industrie de la pêche, bien sûr, qui mérite d’être mieux soutenue. Mais je pense surtout au formidable potentiel que le sous-sol du golfe recèle en hydrocarbures. Les Québécois ont le devoir d’explorer et d’extraire ces hydrocarbures pour réduire leur dépendance au pétrole étranger et pour assurer leur bien-être futur. Nous devons le faire de façon responsable. Cela veut dire trois choses. Il faut exploiter nos ressources en obtenant pour la collectivité québécoise sa juste part. Il faut le faire en pensant aux générations à venir qui ne pourront peut-être pas bénéficier de cette ressource non renouvelable. Et il faut surtout le faire dans le respect le plus total de l’environnement. La Norvège, pays producteur très prospère et très socialement développé, nous montre la voie. Le Québec peut devenir la Norvège d’Amérique.
Les Québécois doivent profiter de ce précieux héritage que le destin leur a légué: un fleuve géant, majestueux, qui est la porte d’entrée sur un continent et qui est la source de richesses inouïes. Cet héritage doit être préservé. Mais il importe aussi de le faire fructifier pour améliorer notre présent et assurer l’avenir.»…
Je ne vais pas vous en déballer davantage. Ceux qui veulent en savoir plus pourront lire le livre, et débattre des idées avancées, bonnes ou mauvaises.
Il s’agit d’une contribution à un débat important: comment rendre le Québec plus prospère et plus vert pour assurer que nos programmes sociaux puissent tenir le coup pour des générations à venir?
Grosse commande. Alors vaut mieux y réfléchir dès maintenant. François Legault apporte sa réflexion.